Virgule
Centre Pompidou-Metz

Deborah de Robertis et l'exposition Lacan: un acte manqué

Alors que «L'Origine du Monde» s'exposera bientôt à Metz aux côtés de plusieurs de ses réinterprétations, Deborah de Robertis est absente du programme.

L'artiste luxembourgeoise avait marqué les esprits en 2014 avec sa réinterprétation de «L'Origine du Monde» baptisée  «Miroir de l'Origine».

L'artiste luxembourgeoise avait marqué les esprits en 2014 avec sa réinterprétation de «L'Origine du Monde» baptisée  «Miroir de l'Origine». © PHOTO: Anouk Antony

Journaliste

C'était un jeudi. Le 24 mai 2014, Deborah de Robertis fait irruption au musée d'Orsay, à Paris, pour y écarter les cuisses en dessous de l'un des tableaux les plus célèbres de l'établissement, «L'Origine du Monde», du peintre Gustave Courbet. En fond sonore, la voix enregistrée de l'artiste résonne dans la salle, scandant «Je suis l'origine/Je suis toutes les femmes/Tu ne m'as pas vue/Je veux que tu me reconnaisses/Vierge comme l'eau/Créatrice du sperme».

Lire aussi :L'artiste luxembourgeoise Deborah de Robertis expose son sexe devant "L'Origine du monde"

Au-delà d'être artistique, la performance se veut politique. «Je ressens comme un trop-plein viscéral, c'est plus fort que moi: puisque le monde de l'art ne m'expose pas, je l'exposerai», explique Deborah de Robertis tout en se remémorant son geste. Une réaction de rupture avec les institutions doublée d'une volonté de prendre sa place dans le musée motive l'artiste luxembourgeoise. «À ce moment-là, je veux m'émanciper, et ne pas dépendre de cette hiérarchie patriarcale. J'ai une volonté que les choses changent.»

Neuf ans plus tard, beaucoup gardent du «Miroir de l'Origine» un souvenir mordant de scandale artistique. L'acte choque, dérange, perturbe. Neuf ans plus tard, les choses ont cependant évolué dans le monde de l'art. «Si cette performance avait été réalisée en 2023, elle aurait été mieux comprise, et n'aurait pas fait scandale de la même façon», estime la performeuse.

Une rencontre au Centre

À la toute fin de l'année, «L'Origine du Monde» quittera Paris pour se rapprocher du Luxembourg. Du 31 décembre 2023 au 27 mai 2024, la peinture de Courbet trouvera refuge au sein de la galerie 2 du Centre Pompidou-Metz à l'occasion d'une exposition sur le psychanalyste Lacan intitulée «Quand l'artiste précède le psychanalyste», dont le curateur est Bernard Marcadé.

Lire aussi :«L'Origine du monde» sera exposé en 2023 à Metz

Aux côtés du célèbre tableau seront exposées plusieurs réinterprétations artistiques de l'œuvre originelle, indique l'artiste, qui a obtenu cette information de la chargée d'exposition lors d'un rendez-vous au Centre Pompidou. Que ceux qui pourraient s'attendre à pouvoir y contempler l'extrait vidéo de la performance artistique de la Luxembourgeoise se préparent à la résignation: l'œuvre n'est -pour le moment- pas au programme, indique l'institution, qui a refusé nos demandes d'interview sur le sujet.

Pourtant, l'artiste indique avoir été approchée par un représentant du Centre Pompidou-Metz lors de la Luxembourg Art Week, en novembre dernier. Un premier contact qui a par la suite abouti à un rendez-vous avec la chargée d'exposition au sein même du musée à la fin du mois de février. Après avoir mis en avant cette rencontre dans un post publié à la fois sur Instagram et sur Facebook, le musée a ensuite supprimé la seule preuve numérique de cet échange. «J'estime que 10 ans après la performance initiale, mon œuvre a toute sa place dans cette exposition, pour des raisons politiques», affirme Deborah de Robertis.

Lire aussi :Deborah de Robertis contre-attaque

De ce rendez-vous au musée, l'artiste retirait un sentiment «enthousiaste» et «positif», en sortant du rendez-vous. «Il est temps, d'un point de vue sociétal, que cette œuvre qui n'a jamais été exposée, dix ans après sa création, prenne enfin sa place», martelait alors la Luxembourgeoise. Quelques semaines plus tard cependant, le centre a ensuite laconiquement fait savoir qu'«il n'est pas prévu de présentation d'œuvres de Deborah de Robertis dans l'exposition Lacan».

Si aujourd'hui, avec une directrice femme, après #MeToo, en plein bouleversement féministe, le Centre Pompidou-Metz, qui compte parmi les acteurs principaux du monde de l'art, refuse de faire ce geste-là, alors qui le fera?
Deborah de Robertis
artiste

Cinq ans après #MeToo, «Le Miroir de l'Origine» semble pourtant plus en phase que jamais avec l'actualité, au-delà d'être un excellent parallèle avec l'œuvre originelle de Courbet. «À sa création, ''L'Origine du Monde'' ne trouvait pas sa place et les spectateurs éprouvaient de la gêne face à cet objet d'art», rappelle la performeuse. Une gêne aussi éprouvée ce fameux 24 mai 2014 par les visiteurs du Musée d'Orsay.

«Si aujourd'hui, avec une directrice femme, après #MeToo, en plein bouleversement féministe, le Centre Pompidou-Metz, qui compte parmi les acteurs principaux du monde de l'art, refuse de faire ce geste-là, alors qui le fera?», questionnait Deborah de Robertis début mars, à la suite de son rendez-vous au Centre Pompidou. Oubliée de l'exposition Lacan, l'artiste luxembourgeoise espérait alors encore réussir à s'y frayer un chemin. «On ne peut pas m'opposer une réponse institutionnelle comme ''il n'y a plus de place''. Et, justement, ce serait un geste politique que de me dire ''maintenant, il y a de la place''», confiait-elle.

Lire aussi :La mise au point de Deborah de Robertis

«Je mérite d'être à ma juste place, au sein de l'exposition, avec mon travail», martèle la Luxembourgeoise. Depuis plusieurs années, la performeuse est sortie des musées pour investir d'autres institutions, à l'image du Parlement européen de Strasbourg en 2019, ou tout simplement la rue. «Ce vent de fraîcheur qui souffle sur les expositions actuelles me donne moins de matière à contester. J'ai fait ce que j'avais à faire au moment où j'avais à le faire.»

Évoluer de l'intérieur

Si l'artiste est plutôt optimiste face à ce changement, constatant que le monde de l'art bouge et que les artistes féminines y trouvent leur place, elle n'ignore pas l'opportunisme de certains acteurs du milieu. «Nous devons être très vigilants à ce qu'il n'y ait pas une instrumentalisation des causes féministes. Les institutions doivent évoluer à l'intérieur, et aller au-delà du simple soutien d'un travail féminin», met en garde Deborah de Robertis.

Lire aussi :Déborah de Robertis se dénude au sanctuaire de Lourdes

Cette évolution, Deborah de Robertis la pressent dans la nouvelle génération de professionnels artistiques. «Ce qui était beau dans ce premier rendez-vous avec le Centre Pompidou-Metz, c'est qu'il est venu de la jeunesse. C'est justement parce que des personnes de cet âge-là portent une forme de regard neuf sur le monde, une forme d'idéalisme et d'ouverture qu'ils m'ont approchée. Et si ça pouvait marcher, ça aurait été grâce à eux.»

Début avril cependant, soit un peu plus d'un mois après le rendez-vous entre l'artiste et la chargée d'exposition, cette dernière donc fait savoir à la performeuse luxembourgeoise que le «Miroir de l'Origine» ne serait pas au programme. «Je ne vais pas vous cacher mon incompréhension», a réagi Deborah de Robertis dans une lettre adressée à la directrice du musée, Chiara Parisi, à la mi-mai. Dans sa missive, qu'elle a ensuite partagée sur Instagram en interpellant l'institution -qui a par la suite bloqué la performeuse- l'artiste déroule une série d'interrogations face à ce «revirement radical».

Lire aussi :Déborah de Robertis s'est une nouvelle fois dénudée

«Ainsi, pour finir, serait-ce parce que le curateur de l’exposition, Bernard Marcadé, me connaît trop "intimement" pour craindre la visibilité qui me serait attribuée et que je serais en droit de penser qu’il a commis ici un "acte manqué" qui n’a dans le fond peut-être rien à voir avec notre exposition?», questionne finalement l'artiste dans sa lettre, qu'elle achève par une demande de rendez-vous avec la directrice du Centre Pompidou-Metz.

La réponse ne s'est pas fait attendre, puisque cette dernière lui a répondu par mail, déclarant ne pas être au courant du tout de cette mise à l'écart. Neuf ans après son introduction remarquée au sein du Musée d'Orsay, les portes de certaines institutions artistiques semblent encore peiner à s'ouvrir pleinement à Deborah de Robertis.

Sur le même sujet