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Musée national d’histoire et d’art Luxembourg

«Montrer l’implication du pays dans l’histoire coloniale»

Régis Moes, conservateur au Musée national d’histoire et d’art Luxembourg, nous dévoile les coulisses de l'exposition «Le passé colonial du Luxembourg» dont le vernissage a lieu ce jeudi soir.

«Notre Congo», album de collection de chromolithographies, Chocolat Jacques, 1948.

«Notre Congo», album de collection de chromolithographies, Chocolat Jacques, 1948. © PHOTO: Tom Lucas - Collection privée

Journaliste

A partir de ce 8 avril et jusqu’au 6 novembre 2022, le Musée national d’histoire et d’art Luxembourg (MNHA) proposera à ses visiteurs de découvrir le passé colonial du Grand-Duché. Car si l'on peut affirmer que «l’État luxembourgeois n’a jamais été une puissance coloniale», «l’idéologie coloniale, qui repose sur le principe d’inégalité entre Européens et colonisés, n’a pas épargné le Luxembourg».

Régis Moes, comment est venue l’idée de faire une exposition portant sur le sujet du colonialisme, pourtant assez peu évoqué au Grand-Duché ?

«On y pensait depuis un certain nombre d’années, je dirais que ça a commencé vers fin 2018-2019. L’année 2022 était un point de repère important puisqu’on fête le centenaire d'un changement de la politique coloniale du Luxembourg. En 1922, les Luxembourgeois pouvaient devenir fonctionnaires au Congo belge. C’est une date-clé. J’ai largement étudié ces faits et la thématique puisque j’y ai consacré mon mémoire de master il y a une dizaine d’années.

C’est un sujet polarisant, il y a toujours débat sur le sujet, sur la question de la restitution des biens aux autochtones. Le mouvement Black Lives Matter plus proche de nous a également fait ressurgir la question.

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Les derniers débats de société sur le sujet nous ont fait adapter notre approche: les premiers objets de l’exposition sont en lien avec ce qui s’est passé en 2020, notamment en juin lorsque le collectif d’artistes ‘Richtung 22’ a mis en prison la fontaine de Claus Cita située à Bascharage, en la recouvrant de barreaux pour dénoncer le passé colonial du sculpteur.

Que pourrons-nous découvrir dans l’exposition ? Est-ce qu’il y a des exclusivités encore jamais exposées?

«Nous avons fait le choix de la consacrer strictement à une approche vue du Luxembourg, de montrer l’implication du pays dans l’histoire coloniale. Nous nous sommes donc focalisés sur des objets en lien direct avec ce passé, comme des affiches, des photos, des statuettes, des tableaux. Grâce à nos partenaires, les visiteurs pourront découvrir des documents, des objets en trois dimensions qui retracent cette histoire. Des objets qui proviennent aussi de familles d’anciens coloniaux.

En termes d'exclusivité, nous avons eu l’honneur que la famille grand-ducale nous permette l'accès à ses archives, plus précisément à des documents attestant son implication dans une entreprise de coton au Mozambique.

Notre but est vraiment de ne rien dénaturer, de montrer notre histoire coloniale, il sera possible de voir des propos tenus dans la revue missionnaire de l'époque, avec ses justifications, qui à la nôtre, peuvent sensiblement choquer.

En 2001 par exemple, l’approche était différente, il y a eu un documentaire sur des anciens coloniaux ayant vécu au Congo, et on se demandait si le ‘paternalisme’ des colons avait servi.
Régis Moes, conservateur au MNHA

Combien de temps a-t-il fallu pour la mettre en place?

«Il nous aura fallu environ trois ans à raison d’un travail intensif, un délai assez court finalement compte tenu du reste de nos tâches.

Combien d’intervenants et de contributeurs ont participé à la réalisation de cette exposition?

«Il y a environ une vingtaine de prêteurs privés et institutionnels, comme le Musée royal de l'Afrique centrale - Tervuren – en Belgique, ou encore le Musée d’ethnologie de Lisbonne. Pour les intervenants, nous avons fait le choix de présenter différents témoignages sur des pancartes à fond bleu. Les visiteurs pourront retrouver des ONG telles que l’Asti, Finkapé, ou encore Lëtz Rise Up. Le but étant de représenter au mieux le regard critique des militants.

Nous avons également pu bénéficier des témoignages oraux de neuf personnes, qu’il s'agisse d'anciens missionnaires, ou de personnes originaires du Congo qui vivent au Luxembourg depuis très longtemps, mais aussi de personnes métisses issues de cette histoire coloniale. Elles mettent en lumière des traumas en lien direct avec cette période, démontrant toute de la complexité de cette histoire à la base politique et économique. Il faut selon moi beaucoup de courage pour s’exprimer, pour amener quelque chose au public. C’est une histoire lourde de conséquences puisque les stéréotypes et les clichés inhérents aux personnes noires perdurent jusqu’à aujourd’hui.

Pensez-vous que l’exposition soit un jalon de plus qui contribuera à la pleine reconnaissance du passé colonial du pays?

«On peut difficilement répondre maintenant, ça dépendra vraiment de la réception du public, je pense que c’est une question politique. Auprès des historiens et d’une partie de la population, ce sujet n'est pas un tabou. Mais depuis quelques années, un plus large pan de la société s'y intéresse. On a maintenant d’autres acteurs du milieu associatif qui s'approprient ce passé pour le mettre en perspective.

En 2001 par exemple, l'approche était différente. Il y a eu un documentaire sur des anciens coloniaux ayant vécu au Congo, et on se demandait si le ‘paternalisme’ des colons avait servi. De nos jours, on parle beaucoup des mécanismes du racisme systémique.

On parle peu d’histoire du Luxembourg au sens large, même dans les écoles, l'histoire luxembourgeoise est très peu abordée.
Régis Moes, conservateur au MNHA

Dans les années 70, on était fiers de ce passé. Dans les années 80, les forces de gauche se mettent alors à le critiquer ouvertement, notamment lors du vote de la loi d'aide au développement en 1982 puisque le gouvernement disait avoir toujours aidé les pays du sud; ce à quoi l’opposition socialiste rétorquait qu’il fallait surtout parler d'un passé colonial bien moins reluisant.

Par ailleurs, on parle peu d'histoire du Luxembourg au sens large, même dans les écoles, l'histoire luxembourgeoise est très peu abordée. L’exposition pourrait dans tous les cas aider à accorder plus d'attention à cette partie de l’histoire.

Pourquoi le Luxembourg est-il aussi discret sur le sujet au contraire de la Belgique, dont l'histoire est intimement liée à celle du Grand-Duché en matière de colonialisme?

«Je dirais que c'est peu abordé dans l’espace public, tout comme cela a été le cas pendant longtemps en Belgique où pendant 50 ans, on a vanté le fait que les colons belges aient ‘apporté la civilisation au Congo’, par le biais des chemins de fer, de la construction d’écoles, d’hôpitaux... Les revendications associatives ont fait remonter tout ceci à la surface. Tout le monde a en tête les déboulonnages de statues du roi Léopold II. On observe vraiment un changement de ton sur cette histoire. Notre rôle en tant que musée et d’historiens, c’est de présenter la vérité qui comprend cette évolution sociétale depuis une quinzaine d’années.

Des classes seront-elles conviées à venir découvrir l’exposition?

«Oui, même s’il s'agira essentiellement de lycéens, car la médiation avec des élèves du fondamental serait un peu trop fastidieuse. Des professeurs nous ont déjà contactés pour des visites scolaires, et nous organiserons très certainement des sessions débat à la fin des visites avec les jeunes, comme nous le faisions déjà avant la pandémie. Plusieurs conférences sont par ailleurs prévues tout au long du temps que durera l'exposition, à différentes dates.*»

*Les dates de conférences sont à retrouver dans le slideshare ci-dessous.

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