Une bonbonnière sans bonbons
Jadis maison familiale, bientôt centre d'art et de création, le «Kamellebuttek» du quartier Brouch d'Esch/Alzette s'apprête à accueillir ses premiers artistes et visiteurs.
Le «Kamellebuttek» est un lieu de rencontres et de création. © PHOTO: Pierre Matgé
Le quartier Brouch à Esch/Alzette, ses maisons et ses habitants: la rue Marcel Reuland ne se distingue pas particulièrement. La maison au numéro 14 sort pourtant du lot: la façade du futur «Kamellebuttek» est bigarrée de couleurs et de formes. «On avait demandé l'autorisation à la commune, qui nous a donné son accord. Au début les voisins étaient quelque peu surpris. Aujourd'hui ils trouvent cela génial, quelques-uns m'ont même demandé de poursuivre le travail sur leur façade.» Raphael Gindt est satisfait. «Ma grand-mère a seulement regretté que j'aie décidé de démonter les rideaux.»
Raphael Gindt a transformé la maison de sa grand-mère en galerie et atelier. © PHOTO: Pierre Matgé
Raphael Gindt, artiste indépendant, avait son atelier dans cette maison qui appartient à sa grand-mère. Lorsque cette dernière décida d'aller vivre dans une maison de soins, la famille a fait le choix de ne pas vendre l'immeuble et de la mettre à disposition de Raphael Gindt et de Daniel Lloyd, les deux artistes ayant déjà dans le passé installé leurs ateliers au deuxième étage et dans le garage. «Nous sommes locataires du rez-de-chaussée et du deuxième étage», précise Raphael Gindt.
Le premier étage se compose de quatre grandes chambres, lumineuses et peintes en blanc. Ces pièces pourront être louées par des artistes, créateurs ou autres acteurs culturels. «Notre but est de soutenir la création et l'expression artistique sous toutes ses formes. Il n'est pas question de mettre à disposition d'entreprises purement commerciales de simples lieux de travail», note l'artiste, d'autant plus confiant dans son idée que les demandes ne manquent pas – à l'instar de l'intérêt d'un locataire du centre 1535° de Differdange... «Il est clair que ces pièces ne conviennent pas à tous les genres de travaux ou à certains artistes.»
Même si l'empreinte des deux artistes est bien présente, Raphael Gindt a voulu préserver l'histoire et le cachet de la maison de sa grand-mère. © PHOTO: Pierre Matgé
C'est donc en juin 2017, que les deux artistes – épaulés par Flore Frieden pour le volet administratif et organisationnel et en accord avec la famille de Raphael Gindt – se lancent dans des vastes travaux de transformations. En parallèle à la réalisation de la façade, le mur du salon a été abattu, les pièces repeintes, les sols recouverts de parquet et de lino, la cuisine relookée. Les portes en chêne, le piano du salon, la cheminée en briques rouges et quelques rares meubles ont été épargnés. Les lustres d'un autre temps continuent à diffuser leur lumière. «Ils étaient trop beau pour être démontés, on a décidé de les garder», fait valoir Raphael Gindt.
Préserver le cachet d'antan
Les frais de rénovation de la salle de bains du premier étant trop élevés, les deux artistes décidèrent de simplement la repeindre dans les mêmes couleurs utilisées pour la façade. «Nous ne voulions pas tout faire disparaître pour faire du neuf à tout prix. Le cachet d'antan fait partie de l'histoire des lieux. Il fallait le conserver.»
Les mêmes peintures ont été utilisées à l'intérieur de la maison que sur la façade. © PHOTO: Pierre Matgé
Après quelques ruptures de tuyaux, la réfection d'une partie du matériel électrique, de nombreuses heures de travail – et quelque 50.000 euros investis – les travaux sont sur le point d'être achevés.
Les pièces du rez-de-chaussée laissent présager de leur utilisation future. Férus d'art urbain, tant Daniel Lloyd que Raphael Gindt profiteront de leurs nouvelles cimaises pour exposer dans un premier temps leurs propres œuvres.
Adeptes des bombes aérosols aux coloris variés et flashy, les deux graffeurs illuminent avec leurs toiles monumentales, sculptures et autres objets les salles repeintes en noir du salon et de la cuisine. «Au début, ma famille était quelque peu réticente au choix du noir. Maintenant que les travaux sont achevés, elle est satisfaite du résultat final.» Le contraste entre les murs et le bois de portes et du sol a convaincu.
Lieu d'exposition, le 14, rue Marcel Reuland, accueillera par la suite des expositions d'autres artistes – une s.à r.l. a dû être créée pour ce volet. «Il y a toujours un manque de lieux d'expositions pour les jeunes artistes, nous voulons les soutenir».
Un chaos ambiant
D'où vient le nom «Kammellebuttek» (magasin de bonbons)? «C'est avant tout ironique. Ici, nous avons tout sous la main, mais dans notre chaos ambiant il nous faut des fois pas mal de temps pour retrouver l'une ou l'autre chose», explique Raphael Gindt. C'est dans un bureau de poste que Daniel Lloyd est tombé nez à nez avec un «Mär si kee Kammellebuttek» du préposé. Il n'en fallait pas plus aux deux artistes pour choisir le nom. Ils étaient loin d'imaginer qu'à quelques pas de là, près de l'école primaire, un «vrai» magasin de bonbons a fait le bonheur de bon nombre d'écoliers. «Je ne connaissais pas cette histoire», avoue Raphael Gindt, qui assume pleinement son idée de bonbonnière sans bonbons.
Quelques oeuvres ont déjà été accrochées sur les nouveaux murs noirs. © PHOTO: Pierre Matgé
Un autre devrait voir le jour début 2019; une école d'art. Les cours proposés devraient être gratuits. Une convention avec les ministères de l'Education nationale et de la Culture est en cours de finalisation, se réjouit Raphael Gindt. Pour les travaux de réaménagement, les initiateurs du «Kamellebuttek» n'avaient sollicité aucune aide publique.
A quelques jours de l'ouverture officielle du «Kamellebuttek», prévue le 29 septembre, Raphael Gindt et Daniel Lloyd s'accorderont une rapide escapade à Chypre où un festival d'art urbain les attend. Ensuite, ils mettront les bouchées doubles pour le grand jour. «Tout n'est pas encore prêt», conclut, philosophe, le petit-fils-locataire-artiste-galeriste-entrepreneur.
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