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Jeff Koons au Centre Pompidou Paris

Une ode au bling bling

Pour sa deuxième exposition en France, Jeff Koons propose une centaines d'oeuvres en un parcours chronologique qui retrace 35 ans d'une carrière prolifique et souvent décriée. A découvrir jusqu'au 27 avril au Centre Pompidou Paris.

Jeff Koons "Antiquity 3", 2009-2011

Jeff Koons "Antiquity 3", 2009-2011 © PHOTO: Tom Powel Imaging

PAR SOPHIE GUINARD

A l’automne 2008, Jeff Koons était dans les appartements royaux et la galerie des glaces du château de Versailles. Y exposer dix-sept sculptures ultra contemporaines, quelle provocation, quel scandale, quelle imposture! La polémique avait fait rage. Gageons qu’aujourd’hui, pour sa deuxième exposition en France, la rétrospective couvrant trente-cinq années de sa production sera plus consensuelle.

Conçue en collaboration avec le Whitney Museum of American Art, qui l’a présentée à New York entre juin et octobre 2014, l'exposition propose, en quelque cent sculptures et peintures, un parcours chronologique des différents cycles du travail de l’artiste. Embarquement pour une traversée plus qu’étonnante… Jeff Koons est né en 1955. C’est un artiste certes, mais aussi un homme d’affaires avisé qui a imposé ses œuvres au fil de différentes séries, la première étant les «Inflatables». Ce sont ces jouets gonflables qui la composent, chinés dans les boutiques de l’East Village à Manhattan et disposés sur des miroirs, qui accueillent le visiteur.

Jeff Koons, Rabbit, 1986

Jeff Koons, Rabbit, 1986 © PHOTO: Museum of Contemporary Art Chicago

Présentés dans la blancheur froide des murs du dernier étage du Musée national d’Art Moderne, ils côtoient des grille-pain et autres aspirateurs, plaqués au mur ou empilés dans des boîtes en plexiglas: la série «The New», semble, elle, synthétiser la vision de Koons de la société américaine, entre modernisme et consommation.

Quant à «Equilibrium» – des ballons de basket en suspension – elle serait la métaphore de «cet état d’équilibre que nous rechercherions tous»… Suivent «Statuary» – des répliques en acier inoxydable d’un lapin gonflable, d’un buste de Louis XIV et autres objets de décoration – qui «cherchent à dessiner un panorama de la société»; «Banality» – des objets en porcelaine ou en bois polychrome avec lesquels l’artiste détourne l'image des stars (un kitchissime «Michael Jackson» taille réelle avec sa guenon préférée ou un «Buster Keaton» sur un âne); ou encore «Made in Heaven » – peintures hyperréalistes et sculptures en verre de ses ébats sexuels avec sa femme de l’époque, la Cicciolina, star du porno italien.

Le chien rose fluo de François Pinault

Parmi ses séries plus récentes, citons «Celebration» – un cœur géant, une lune bleue, un chien de trois mètres de haut, le fameux Balloon Dog (ici l’exemplaire rose fluo de François Pinault), sculptures polies et travaillées avec perfection qui semblent bien légères alors qu’elles pèsent plusieurs centaines de kilos; «Easyfun» – des miroirs colorés en forme de têtes d’animaux; ou encore les séries «Popeye» et «Hulk Elvis» où l’on retrouve nos deux héros de la culture de masse américaine et des jouets gonflables – mais attention, en acier quand même! – , comme le fameux homard pendu par la queue. Et au milieu, une cloche en bronze… C’est à la série «Antiquity» que revient l’honneur de terminer le parcours.

Les plus récentes productions de Koons se réfèrent à l’histoire de l’art, du paléolithique («Balloon Venus» en référence à la Vénus de Willendorf) au classicisme («Gazing ball», répliques de statues d’Hercule et d’Ariane sur lesquelles trône une boule de jardin bleue…).

Un univers lisse et aseptisé

Dans cet univers lisse et aseptisé, tout est brillance et merveilleuse technologie mais froid, si froid. L’arrogance, l’autosatisfaction, le narcissisme (ah! cet autoportrait en marbre!) et l’exhibitionnisme sont partout.

Jeff Koons à son exposition à Francfort 2012.

Jeff Koons à son exposition à Francfort 2012. © PHOTO: Liebieghaus Skulpturensammlung Frankfurt

Alors, il y a fort à parier que cet univers kitch et percutant, soigné et coloré va susciter adoration ou détestation. D’aucuns y verront supercherie, d’autres vision décalée du monde. Ou de l’art tout simplement: tout cela est amusant, ironique et surtout déstabilisant. Car n’est-ce pas cela l’art contemporain, susciter une réaction?

En passant sans cesse du puéril le plus pur au pornographique le plus hard (salle interdite aux moins de 18 ans), d’objets du quotidien tout ce qu’il y a de plus banal à des reproductions géantes exceptionnelles par les techniques de pointe mises en œuvre, cette ode au bling bling qui veut réconcilier art moderne et culture populaire ne peut en tout cas pas laisser indifférent. Surtout lorsqu’on sait que le «Balloon Dog » orange a été adjugé pour cinquante-huit millions de dollars l’an dernier, record pour un artiste vivant...

«Jeff Koons, la rétrospective», jusqu'au 27 avril 2015, Centre Pompidou, 75004 Paris.

www.centrepompidou.fr

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