ABLV: les questions en suspens
En début d'année, la banque lettone ABLV et sa filiale luxembourgeoise ont connu quelques péripéties financières. La commission des finances du Parlement s'est penchée sur le rôle de la CSSF dans la gestion du dossier.
Aucune information n'est disponible jusqu'à présent sur le sort de la filiale luxembourgeoise de la banque lettone ABLV. © PHOTO: Chris Karaba
En début d'année, la banque lettone ABLV a connu quelques péripéties financières. Chute de la banque, mise en "suspens de paiement" de sa filiale luxembourgeoise, puis rebondissement dans cette affaire où la CSSF se retrouve critiquée sur la gestion du dossier.
En déclarant la filiale luxembourgeoise de la banque ABLV en sursis de paiement, la Commission de surveillance du secteur financier (CSSF) a, sans le vouloir, créé un précédent dans l'histoire du secteur bancaire au Luxembourg. Car à peine quelques semaines plus tard, le Tribunal de commerce du Luxembourg en décide autrement: il annule la demande de mise en sursis émise par l'autorité de surveillance. Alors la CSSF a-t-elle pris une mauvaise décision dans cette affaire? Pourquoi n'a-t-elle pas fait appel de la décision du Tribunal de commerce? Et quelles leçons faut-il tirer de cet épisode? Autant de questions qui étaient hier au centre des discussions de la commission des finances du Parlement. A la demande du CSV, les députés ont interpellé le ministre des Finances au sujet de la filiale luxembourgeoise de la banque lettone.
"On peut légitimement se demander pourquoi la CSSF a pris une telle décision. Mais ce qui est encore plus surprenant, c'est qu'elle n'a pas fait appel de la décision du Tribunal en première instance. Cela montre bien que la CSSF est fondamentalement d'accord avec la décision du Tribunal, qu'elle reconnaît en quelque sorte avoir commis une erreur", déclare Laurent Mosar au micro des journalistes.
Le siège de la banque lettone à Riga. © PHOTO: ABLV
CSSF contre Tribunal de commerce
Mais d'abord un rappel des faits. En février, la banque ABLV est accusée de blanchiment d'argent par le Trésor américain et même d'être impliquée dans des programmes de développement d'armes illégales en Corée du Nord. Le 24 février, la Banque centrale européenne déclare "en état de faillite ou faillite probable" ABLV Bank, dont la situation s'était fortement dégradée. La BCE justifie cette décision en invoquant les liquidités insuffisantes de la banque, qui "ne sera probablement pas en mesure de payer ses dettes" et de "résister à des retraits massifs de dépôts" de clients affolés. La BCE estime également qu'ABLV Luxembourg, filiale de la banque lettone, présente "une défaillance avérée ou prévisible".
Dans la foulée, la CSSF place la filiale luxembourgeoise d'ABLV en sursis de paiement. Au lendemain de cette décision, les dirigeants de la filiale luxembourgeoise protestent et indiquent qu'ils n'ont rien à se reprocher: l'entité luxembourgeoise, qui emploie 20 personnes et est spécialisée dans la banque privée, travaille de manière autonome.
Coup de théâtre quelques semaines plus tard: le 9 mars, le Tribunal de commerce du Luxembourg rejette la demande de mise en liquidation de la filiale luxembourgeoise émise par la CSSF. La banque sera mise en sursis de paiement pour une durée de six mois, mais ce "de manière protectrice". La CSSF passe le flambeau à deux "administrateurs judiciaires à la suspension de paiement".
"Une décision malheureuse"
"Il nous paraît évident que la procédure lancée par la CSSF était une décision malheureuse, empêchant la banque de chercher un repreneur", affirme Laurent Mosar.
Le député s'interroge d'ailleurs "sur ce qui se passerait si la banque en venait à attaquer en justice l'Etat luxembourgeois ou la CSSF après avoir obtenu un prix de rachat moins élevé que la somme qu'elle aurait pu obtenir sans l'intervention de la CSSF".
La question est loin d'être saugrenue: la maison-mère ABLV Bank a annoncé en mai dernier son intention d'attaquer en justice la Banque centrale européenne pour avoir provoqué sa faillite après des accusations de blanchiment d'argent. La BCE, chargée de la supervision des banques dans la zone euro, est largement critiquée sur la gestion du dossier.
Selon Laurent Mosar, la CSSF n'aurait pas dû déclencher la fermeture d'ABLV parce qu'"elle était financièrement saine et aurait pu survivre". "Selon mes informations, elle aurait pu survivre pendant au moins un an, quasiment sans recettes supplémentaires".
Le député chrétien-social se réserve le droit, après les vacances d'été, de rappeler le ministre des Finances et le directeur général de la CSSF, Claude Marx, à la commission des finances. Le temps de voir "comment la situation évolue, comment les négociations se poursuivent pour trouver un repreneur."
A l'issue de la réunion, le ministre des Finances a balayé les critiques formulées par le CSV. "Il y a d'un côté le droit européen qui s'applique. ABVL en tant que banque systémique, se trouve sous la responsabilité de la BCE. Celle-ci prend des décisions et des lignes directrices auxquelles la CSSF doit se conformer. Et la CSSF s'y est pliée d'une manière remarquable. De l'autre côté il y a les règles nationales. Quand on porte une affaire devant un tribunal, celui-ci peut prendre des décisions dans tous les domaines qui ne sont pas harmonisés au niveau européen, comme c'était le cas dans cette affaire-ci".
"Je suis d'avis que la CSSF travaille de manière absolument correcte et pas uniquement dans ce dossier-ci. Elle agit de manière complètement autonome", a renchéri le ministre ajoutant qu'il n'était "pas le patron de la CSSF, je suis le ministre de tutelle!" "Je pense qu'on cherche ici à faire un mauvais procès à la CSSF ce qui est très regrettable. Il n'y a aucune raison de le faire!"
Quelle issue?
Si la maison-mère lettone a depuis fait faillite – mi-juin, elle s'est mise en liquidation judiciaire et toutes les personnes qui possédaient des avoirs de moins de 100.000 euros ont été remboursées – aucune information n'est disponible jusqu'à présent sur le sort de la filiale luxembourgeoise.
La "durée de protection" de six mois s'étend jusqu'au 9 septembre prochain. Aucun repreneur n'a été annoncé jusqu'à présent. Eric Collard, "administrateur judiciaire à la suspension de paiement" ne souhaite pas communiquer sur le sujet.
Et Pierre Gramegna a rapidement coupé court: "Je n'ai pas de commentaire à faire..."