Bettel en porte-à-faux sur la politique fiscale
Le président de la Commission accuse le Grand-Duché de bloquer les avancées en matière de fiscalité, notamment la proposition de la France. Xavier Bettel s'explique.
Xavier Bettel lors de son arrivée à Bruxelles pour le sommet européen en juin dernier. © PHOTO: Conseil européen
Par Pierre Sorlut
«Il est inacceptable que les multinationales ne paient pas, ou quasiment pas, d'impôts. Nous sommes en faveur de toute initiative susceptible d'améliorer le cadre réglementaire y relatif», a réagi ce jeudi le Premier ministre Xavier Bettel aux attaques proférées par son prédécesseur à l'Hôtel de Bourgogne, aujourd'hui président de la Commission européenne. Jean-Claude Juncker reproche par voie de presse au gouvernement luxembourgeois «de ne pas vouloir imposer aux niveaux appropriés les bénéfices des multinationales qui agissent planétairement et qui ne paient pas l’impôt dû», lisait-on sur le site internet de Paperjam hier matin.
Le chef de l'exécutif européen y qualifie même «d'erreur historique» l'attitude de la coalition gambienne qui consiste à «bloquer les propositions de la Commission» en matière de taxation des Google, Apple, Facebook et Amazon (GAFA). Au sortir de l'été, le fraîchement élu président français Emmanuel Macron avait proposé de taxer les géants du numérique sur leur chiffre d'affaires. La mesure rendrait vaine l'optimisation fiscale internationale pratiquée par les GAFA, certaines juridictions permettant de réduire à néant leur base fiscale imposable.
Menace d'une levée de l'unanimité
«Je ne comprends pas très bien pourquoi le gouvernement luxembourgeois ne suit pas le président Macron, alors qu’il revendique une amitié intime», fait mine de s'interroger Jean-Claude Juncker dans Paperjam. Il y assène ensuite: «Si le Luxembourg se borne à dire non, il n'aura plus d'influence sur l'architecture qui sera imprégnée à ce monde globalisé».
Le chef de l'exécutif européen brandit la menace d'une levée de l'unanimité dans la procédure de vote sur les problématiques fiscales, en vigueur aujourd'hui. Depuis Saint-Vith, municipalité à un jet de pierre de la frontière belgo-luxembourgeoise où «Le Quotidien» est parti à la rencontre de l'ancien Premier ministre, Jean-Claude Juncker évoque la possibilité «de passer à un vote majoritaire». «Pour l'instant, l'unanimité est requise. Le Luxembourg fait partie des pays qui bloquent», précise M. Juncker. Le Grand-Duché se place ainsi dans le camp de Malte, de Chypre et de l'Irlande opposé à la proposition dite française qu'une vingtaine de pays soutiendraient.
Invité à réagir par le «Luxemburger Wort», Xavier Bettel juge la position de Jean-Claude Juncker «identique à celle du gouvernement» dans la mesure où il pense qu'il est nécessaire de taxer dûment les multinationales. Le Premier ministre apporte toutefois des précisions.
Level playing field forever
«En revanche, comme de nombreux autres pays de l'UE, nous sommes d’avis qu'il s’agit d’une question allant au-delà du cadre communautaire et qu’une imposition sur le chiffre d’affaires n’est pas la meilleure voie», fait savoir M. Bettel dans une déclaration envoyée par courrier électronique. Il lui semble par ailleurs «très difficile sinon impossible» de détacher des entreprises dites du «numérique» par rapport à celles ayant pignon sur rue qui elles aussi peuvent adhérer au commerce ou services en ligne, dans une translation de type «brick and mortar» à «click and mortar».
Lors du sommet européen dédié au numérique organisé fin septembre à Tallinn, M. Bettel avait repoussé l'initiative du président français Emmanuel Macron au sacro-saint motif qu'une taxation purement européenne des principaux acteurs du web allait nuire à la compétitivité du Vieux Continent. «Le Luxembourg est ouvert à la discussion sur la fiscalité du numérique, mais dans le cadre de l'OCDE et en taxant les profits plutôt que le chiffre d'affaires», avait expliqué le chef du gouvernement, pas fan non plus de la définition d'une assiette commune consolidée pour les entreprises, un projet dans les cartons de la Commission depuis plusieurs années.
Xavier Bettel cherche à gagner du temps. Il est rattrapé par la patrouille à trois semaines d'une réunion dite Ecofin (le 6 décembre) durant laquelle les ministres des Finances de l'UE discuteront du dossier.