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«Etre pro-actifs et pas seulement réactifs»

La conférence Global Distribution de l'ALFI s'ouvre aujourd'hui au Centre de conférences. Camille Thommes, directeur général de l'ALFI, détaille les perspectives de développement du secteur des fonds luxembourgeois.

Camille Thommes

Camille Thommes © PHOTO: Guy Jallay

C'est une success story à la luxembourgeoise. Créée en 1988, l'Association luxembourgeoise des fonds d'investissement (ALFI) fête cette année ses trente ans d'existence. Partie de zéro, l'industrie des fonds d'investissement a connu une croissance époustouflante en trente ans. Mais aujourd'hui, les défis du secteur se font toujours plus ardus, comme le souligne le directeur général de l'ALFI Camille Thommes.

Monsieur Thommes, après une année 2017 exceptionnelle, comment se profile l'année 2018 dans votre secteur d'activité?

L'industrie des fonds a en effet réalisé une très bonne année 2017, en atteignant une croissance de 12 %. Pour la première fois, les actifs sous gestion ont dépassé la barre des 4.000 milliards d'euros. A l'heure actuelle, le montant dépasse les 4.200 milliards d'euros, les actifs ont augmenté de 80 milliards par rapport à décembre 2017.

L'évolution est donc très positive, même si nous avons constaté une certaine volatilité au cours des cinq premiers mois. Si les fonds continuent à enregistrer des souscriptions nettes positives, la croissance est moins forte qu'au cours de la même période de l'année précédente. Mais il n'y a pas de raison de s'inquiéter: le tassement est lié aux mouvements sur les places boursières et à la montée inquiétante des tensions au niveau du commerce international. Globalement, nous pouvons être satisfaits de la bonne marche de notre secteur.

Quels ont été les segments les plus porteurs?

Le nombre de fonds Ucits reste marqué par une certaine stabilité. Il ne faut cependant pas voir cela de manière négative: beaucoup d'acteurs de la Place sont en train de revoir leur palette de fonds d'investissement, en les rassemblant ou fusionnant dans un souci de simplification et d'efficacité. Les fonds alternatifs, qui constituent le deuxième pilier de notre secteur, sont en forte croissance. Ils représentent environ 16 % des encours sous gestion au Luxembourg.

Nous continuons à enregistrer d'importantes entrées: on le voit notamment à travers les structures REIF – Real Estate Investment Funds – qui affichent une forte progression depuis leur mise sur le marché. La bonne dynamique est aussi du côté du secteur immobilier et du private equity. C'est un signe très positif: cela montre que nous pouvons tirer profit de notre expérience dans le domaine des fonds Ucits, grâce à une bonne infrastructure de marché et un éco-système de fonds performant.

La place financière luxembourgeoise.

La place financière luxembourgeoise. © PHOTO: Guy Wolff

Le Luxembourg a une longue expérience en tant qu'emplacement de choix pour les fonds d'investissement durable. Comment se porte le marché actuellement?

Le Luxembourg est aujourd'hui mondialement reconnu comme une plate-forme idéale pour aider les sociétés, les gouvernements et les investisseurs du monde entier à atteindre leurs objectifs de développement durable. Dans le domaine de la finance climatique, en particulier, le Luxembourg a défini ses objectifs pour se positionner en tant que centre international. Nous pensons qu'il y a encore beaucoup d'opportunités à saisir dans ce segment afin de renforcer notre position et diversifier notre activité.

Dans le contexte d'un Brexit à l'issue toujours incertaine, la place financière luxembourgeoise se voit renforcée par l'arrivée d'acteurs londoniens. Est-ce que les premiers effets du Brexit commencent à se faire sentir dans les chiffres du secteur?

Si certains peuvent se réjouir des opportunités à court terme découlant du Brexit, avec la relocalisation d'activités établies à Londres sur le territoire européen, nous pensons qu'il faut aussi considérer les conséquences moins positives d'une telle rupture sur le long terme: il n'y aura pas de gagnants au Brexit! Car le Royaume-Uni est un partenaire commercial important de l'Union européenne, et plus encore du Luxembourg. Nous avons encore vu, ces derniers mois, que la CSSF a lancé un appel aux gérants de fonds afin qu'ils se préparent activement aussi à la possibilité d'un «hard Brexit».

Le mouvement de relocalisation est donc loin d'être terminé?

Dès le départ, une série d'acteurs britanniques ont annoncé leur intention de relocaliser leurs activités vers notre place financière. Depuis, leur «substance» n'a pas cessé d'augmenter, la relocalisation d'une partie du personnel se poursuit. Dans notre secteur, on compte 16 entreprises qui ont décidé de se créer un deuxième pilier fort au Luxembourg pour garder l'accès au marché européen. Plusieurs gestionnaires de premier plan comme M&G et Columbia Threadneedle ont annoncé le renforcement de leurs structures luxembourgeoises en prévision du Brexit. Dans le domaine du private equity, la Place a suscité l'intérêt de Blackstone qui a renforcé sa présence au Luxembourg.

Les actifs nets sous gestion ont progressé de 80 milliards d'euros en 2017. Combien peut être attribué à l'effet Brexit au Luxembourg?

La CSSF n'a pas rendu ces chiffres publics et nous n'avons pas d'autres informations que celles dévoilées par les maisons de gestion elles-mêmes. Le gestionnaire d'actifs M&G par exemple avait annoncé son intention de transférer 39 milliards d'euros dans des structures luxembourgeoises. Or, toutes les entreprises ayant transféré une partie de leurs actifs vers des véhicules luxembourgeois n'ont pas dévoilé de détails concernant leurs activités.

D'une manière générale, les premiers effets du Brexit ont commencé à se faire sentir dès l'année dernière. Ce qui est vraiment important, au fonds – et c'est vraiment là la bonne nouvelle – c'est que le Luxembourg demeure un centre financier très attractif, une place financière d'envergure mondiale, un hub européen pour de nombreuses entreprises.

Le Brexit a pourtant accéléré l'agenda en faveur d'une intégration plus poussée en Europe. Le modèle de délégation est aujourd'hui remis en cause. Cela implique une remise en cause fondamentale de notre secteur...

C'est un dossier dans lequel nous avons été très actifs depuis le début. Et c'est un combat que nous partageons quasi unanimement avec les autres associations européennes de notre secteur. Nous ne voyons pas l'intérêt de la réforme annoncée, surtout pas la partie concernant la délégation, puisque c'est un modèle qui a fait ses preuves au cours de ces 30 dernières années sans aucun incident majeur.

Nous avons d'ores et déjà, dans les textes européens, des dispositions très strictes sur la manière selon laquelle toute délégation doit être organisée, sur les contrôles qui doivent être effectués, sur les responsabilités à partager. C'est un modèle qui satisfait tout le monde et c'est pourquoi nous estimons que ce changement n'est absolument pas indispensable. Un deuxième point que nous critiquons est que l'Autorité européenne des marchés financiers (ESMA) sera en charge de l'agrément et de la surveillance de certains fonds d'investissement. Ce projet est rejeté à l'unanimité par tous les acteurs européens.

Camille Thommes

Camille Thommes © PHOTO: Guy Jallay

Avez-vous réussi à vous faire entendre, à imposer vos revendications?

Le Conseil des ministres est en train d'analyser les différentes propositions, tandis que le Parlement européen a publié un rapport provisoire sur la proposition de réforme au mois de juillet 2018. Les rapporteurs qui ont été désignés à cette occasion sont d'avis que l'ESMA ne doit pas avoir les pleins pouvoirs pour autoriser certains fonds d'investissement. C'est une position que nous défendons également.

Au niveau de la délégation, les deux rapporteurs sont d'avis que l'ESMA ne doit pas disposer d'un pouvoir de décision, mais peut bénéficier d'un certain droit d'information. C'est néanmoins un point qui nous dérange, parce que nous estimons que cela va compliquer le processus d'autorisation et de surveillance des fonds tout en rallongeant les délais. Pour nous, cela doit rester une prérogative des autorités nationales. Nous sommes d'avis que l'article 31a de la proposition européenne doit être retiré entièrement. Maintenant, il faut voir ce que prévoit le texte qui sera débattu par le Parlement européen, probablement dans les prochaines semaines. Nous rentrons maintenant dans une phase très critique et il faut rester extrêmement vigilants!

Ce projet européen ne risque-t-il pas finalement de mettre en péril l'incroyable success story construite au cours des 30 dernières années...?

Les prospectus des fonds indiquent toujours que «past performance is no guarantee for future performance». Cela vaut aussi pour l'industrie dans son ensemble! Il ne faut pas céder à la panique, c'est clair, mais à nous maintenant de continuer à progresser, face à une concurrence toujours plus forte. Nous avons traversé la crise financière sans trop de dommages, mais nous ne pouvons pas nous reposer sur nos lauriers. Notre ambition est d'être actifs et pas seulement réactifs. Il faudra continuer à investir, à renforcer notre boîte à outils et notre éco-système.

Il est vrai que ce gouvernement a réduit la charge fiscale de manière graduelle, mais nous sommes d'avis que cela ne suffit pas.

Quels seront les principaux axes de développement dans le futur?

Nous voulons par exemple créer un véhicule spécial pour les fonds immobiliers. Nous avons d'ores et déjà demandé au gouvernement de mettre en place un tel véhicule qui existe déjà dans d'autres juridictions. Ensuite, il faudra s'assurer que les directives européennes clés pour le secteur des fonds soient transposées à temps en droit luxembourgeois.

Enfin, nous devons améliorer notre cadre fiscal et adapter nos taux d'imposition. Il nous faut rester compétitifs face aux places financières concurrentes comme les Etats-Unis, la France ou l'Irlande qui ont des taux d'imposition plus bas que nous et qui ne prélèvent pas de taxe d'abonnement. Il est vrai que ce gouvernement a réduit la charge fiscale de manière graduelle, mais nous sommes d'avis que cela ne suffit pas. Même si certains ne l'entendent pas de cette oreille, nous sommes convaincus qu'une place financière compétitive passe par une politique fiscale attractive.

La taxe d'abonnement assure presqu'un milliard d'euros de recettes fiscales à l'Etat. Pourquoi remettre cette revendication de longue date sur le devant de la scène?

Nous remarquons qu'aujourd'hui les besoins des investisseurs changent, que la tendance est à la gestion passive. Je pense par exemple aux ETF qui sont confrontés à une pression sur les coûts opérationnels et les marges. Le Luxembourg ne s'en sort pas si mal que ça, il est vrai, mais il y a encore largement de quoi faire en matière de fiscalité. Pour le marché des fonds verts, par exemple, on pourrait réfléchir à une sorte d'offre fiscale avantageuse afin de rendre notre place financière encore plus attractive. Car qui dit taux d'imposition attractif, dit nouvelles activités, nouvelles créations d'emplois et croissance des recettes fiscales...

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