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Knauf? "Qu'ils la mettent au Luxembourg!"

350 personnes ont participé mardi soir à Illange à l'unique débat public de l'enquête qui précède l'installation de Knauf Insulation sur l'ancienne mégazone destinée aux Chinois. Ambiance tendue pour les politiciens locaux.

Thierry Labro

Il n'aura fallu attendre que 38 minutes, mardi soir, pour entendre les riverains d'Illange, de Thionville ou de Yutz rire une première fois à l'évocation de la taille des deux cheminées que Knauf s'apprête à construire sur la mégazone d'Illange, distante de 300 mètres.

Dans une salle polyvalente remplie comme un œuf par 350 personnes sous les yeux attentifs des policiers en civil des «renseignement généraux», la salle dit «Non, non, non!» quand la directrice des relations extérieures du groupe, Sian Hughes, évoque le bienfait des retombées économiques attendues par toute la région. «20 millions d'euros réinjectés dans l'économie locale, les salaires, le transport, dans l'emploi local et régional», rappelle avec douceur la Galloise venue de Bruxelles.

Knauf resté sans réponse

«Nous n'avons jamais eu de réponse. De réponse définitive.» Au pied du podium installé sur le terrain de handball, le directeur général de Knauf pour l'Europe de l'Ouest lève les yeux au ciel. Mark Leverton raconte comment l'administration luxembourgeoise de l'Environnement n'a jamais donné de réponse définitive à l'entreprise. «Nous avons eu de plus en plus de questions, dans toutes les directions, on n'en voyait jamais la fin! Mais ça encore, ça fait partie du jeu. Ce qui est plus problématique, c'est que nous avons demandé à avoir un horizon, une perspective, pour que nous sachions quand nous aurions une réponse, un oui ou un non, au sujet de notre installation. Nous n'avons jamais eu de réponse. Et pour nous, c'était critique!» Confronté à une croissance forte, le groupe ne parviendra plus à satisfaire la demande sans créer de nouvelles unités de production. «Nous nous sommes aussi rendu compte que nous étions au milieu d'un jeu politique où les uns et les autres se répondent par médias interposés et nous n'y sommes pas habitués. Nous, ce qui nous intéresse, c'est de pouvoir produire les matériaux, ici d'isolation, dont nos clients ont besoin», assure-t-il.

19h41, une dame aux cheveux blancs pose la première des 18 questions, souvent jetées avec un certain agacement à une tablée de cinq représentants de Knauf et de cinq hommes politiques.

«Depuis le 8 novembre 1999, nous avons eu des enquêtes publiques. M. Weiten [le président du Département et ex-maire de Yutz, ndlR.], vous vous êtes engagé à ce qu'il n'y ait pas d'industrie polluante. On vous a cru! En fait, on se fout de nous! Vous nous polluez! Knauf rejette 19 polluants dans l'atmosphère!» La dame évoque des femmes enceintes, dessine en deux phrases ces 177 enfants qui jouent dans la cour de l'école voisine, la salle applaudit.

Près de 350 personnes,dont deux rangées d'élus, ont pris part à la réunion.

Près de 350 personnes,dont deux rangées d'élus, ont pris part à la réunion. © PHOTO: THIERRY LABRO

Invitée par le commissaire enquêteur, qui rendra fin septembre un avis décisif pour le préfet, à ne pas se perdre en «états d'âme», la dame oblige le responsable de l'hygiène, de la sécurité et de l'environnement de Knauf, Philippe Coune, à répéter que Knauf est largement en dessous des valeurs prévues par la réglementation française, qu'il s'appuie sur les analyses des consultants d'Apave.

Un problème écologique et politique

«Les Luxembourgeois n'en veulent pas, nous non plus!», «Pourquoi à Illange et pourquoi pas en Allemagne de l'Est?», rien ne convaincra jamais la salle. «La Moselle est industrielle et c'est un handicap!», répond un Patrick Weiten de plus en plus agacé.

La réunion est terminée depuis trente minutes. Le maire d'Illange, à droite, et le commissaire enquêteur, continuent de répondre aux sollicitations d'habitants "agacés".

La réunion est terminée depuis trente minutes. Le maire d'Illange, à droite, et le commissaire enquêteur, continuent de répondre aux sollicitations d'habitants "agacés". © PHOTO: THIERRY LABRO

Pour la comprendre, il faut revenir aux origines: fin des années 1990, Toyota cherche un terrain pour implanter sa nouvelle usine. Rien n'est disponible dans cette région et l'usine ira à Valenciennes. M. Weiten voulait alors libérer cet espace de 120 hectares. Seulement les trois enquêtes publiques successives ont accouché d'un «non» et il est allé à Paris chercher auprès du gouvernement un décret d'utilité publique pour racheter les terrains.

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Le projet TerraLorraine, censé faire venir des milliers d'entrepreneurs chinois à la rencontre d'entrepreneurs acheteurs locaux, avait finalement été enterré après les élections régionales de 2015.

Deux ans de discussions «cachées» à Illange

Et, malgré lui, Knauf n'a pas arrangé les choses. Les 37 usines de fabrication de produits isolants tournant à plein régime, l'industriel avait ouvert des négociations dès 2016 à la fois au Luxembourg pour aller à Sanem, et en France pour Illange.

Sans que personne ne soit informé avant le printemps dernier, Knauf venait de choisir cet endroit pour investir 110 millions d'euros dans cette usine sur 15 hectares.

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«Votre arrivée, c'est du romantisme des ,Trente glorieuses‘, qui nous renvoie 50 ans en arrière pour quelques emplois...», commente un monsieur.

«Vous préférez que tous les frontaliers, ces 100.000 personnes qui vont travailler au Luxembourg, soient de plus en plus nombreux?» lui demande M. Weiten. «La Lorraine n'a pas vocation à être le vivier du Luxembourg!»

Un dialogue de sourds de deux bonnes heures.

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