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Selon un rapport de l'OCDE

L'administration fiscale noyée sous ses vieux rulings

Le Luxembourg tarde à communiquer les informations relatives aux accords fiscaux anticipés passés entre janvier 2010 et mars 2016. Plus de 5.000 tomberaient dans le périmètre du mécanisme de transparence de l'OCDE.

Les rulings sont apparus dans le débat public à la faveur de Luxleaks en novembre 2014

Les rulings sont apparus dans le débat public à la faveur de Luxleaks en novembre 2014 © PHOTO: Chris Karaba

Pierre Sorlut

Par Pierre Sorlut

Le Luxembourg tarde à communiquer les informations relatives à ses anciens rulings note l'organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE) dans un rapport publié ce lundi. «Le Luxembourg a répondu à tous les engagements [en matière d'échange automatique de rulings, ndlr.] à l'exception de l'aptitude à identifier les accords fiscaux anticipés octroyés dans le passé et à les classer dûment», résume l'organisation des pays développés qui a fait de la lutte contre l'évasion fiscale des entreprises l'un de ses chevaux de bataille.

L'OCDE reproche au Grand-Duché «des délais significatifs» pour échanger les rulings octroyés entre janvier 2010 et mars 2016 et l'invite à y remédier «aussi vite que possible». Dans la pratique, le Luxembourg a émis 5.600 rulings sur la période, 219 entre avril et décembre 2016. Ces derniers couvrent des traitements fiscaux a posteriori. L'OCDE recommande par ailleurs au Luxembourg de «continuer à travailler à l'identification des nouveaux bénéficiaires du régime de propriété intellectuelle.

Le tri d'ici la fin de l'année

L'organisation paraétatique basée à Paris explique pourquoi les fonctionnaires de l’Administration des contributions directes sont débordés. «Dans le cadre de la taxation des entreprises, l'autorité en charge de la signature des rulings était partagée entre huit bureaux, chacun d'eux étant responsable d'une région du pays ou d'un secteur économique (...). Mais une large partie de ces rulings provenait d'un bureau», relève l'OCDE qui fait référence au bureau d'imposition des sociétés numéro 6. L'organisation domiciliée au château de la Muette (16ème arrondissement) indique cependant que ledit département de l'ACD collectait des informations depuis 2007. Elles ont depuis été rassemblées dans un fichier central harmonisé selon différentes catégories: le nom du contribuable, son numéro d'identification fiscale, le nom de son groupe, les mots clés décrivant l'objet du ruling, ses dates de réception et de validation, le montant investi et un lien vers les documents pertinents.

«Les employés de l'administration ont manuellement passé en revue l'ensemble des rulings (...) pour déterminer lesquels tombaient dans le périmètre du mécanisme de transparence. Pour accélérer l'identification des rulings du passé, les contribuables ou leurs conseillers étaient contactés», lit-on encore dans le rapport. L'OCDE révèle qu'une équipe de quatre «temps plein» est responsable de l'étude des listes établies par les responsables des huit bureaux émetteurs de rescrits. Les informations demandées sur les rulings passés et futurs ont été mises à disposition, mais leur classification selon les termes du plan de lutte contre l'érosion de la base fiscale des entreprises (dit Beps) est encore en cours selon l'organisation. En juin 2017, 4.615 rulings avaient été identifiés et l'administration a fait savoir qu'elle aurait fait le tri d'ici la fin de l'année.

Même problème aux Pays-Bas

L'OCDE relève par ailleurs que le Luxembourg s'est doté de la base légale nécessaire à l'échange d'informations fiscales. «Le Luxembourg porte un fardeau administratif qui tient à l'émission massive de rulings», résume l'organisation.

Les Pays-Bas souffrent du même mal que le Grand-Duché. L'OCDE indique que plus de 100 inspecteurs du fisc néerlandais étudient au cas par cas 13.000 rulings accordés entre 2010 et 2016. L'Irlande et la Belgique, souvent citées comme des juridictions fiscalement accommodantes avec les entreprises, échappent aux recommandations de l'OCDE. La Pologne rassemble le plus de remontrances.

Un rapport pour éviter les disputes

En novembre 2015, l'OCDE avait soumis au G20 réuni à Antalya son paquet Beps de 15 mesures visant à lutter contre l'érosion de la base fiscale des entreprises. L'événement intervenait un an après les révélations Luxleaks. La publication de centaines d'accords fiscaux passés entre l'ACD et l'auditeur PwC pour le compte de ses clients avaient informé le grand public sur l'optimisation fiscale des grandes entreprises via l'émission de rulings, à laquelle l'OCDE ne voue pas de nuisance a priori. «Dans la pratique, les accords fiscaux anticipés offrent au contribuable une certaine visibilité et peuvent lui épargner d'éventuelles disputes», note l'organisation. En octobre 2015, le Luxembourg s'était enorgueilli d'avoir fait voter à l'unanimité la directive sur l'échange automatique de rulings pendant sa présidence de l'Union européenne.

La cinquième action du plan Beps prévoit l'échange automatique (non sollicité) des accords fiscaux qui concernent des contribuables d'autres juridictions participant à l'accord. Il concerne les «rulings» ayant trait à l'application d'un régime fiscal préférentiel, à des prix de transferts transfrontaliers, à une révision à la baisse des profits taxables, à l'établissement permanent d'un contribuable ou à des conduits liés à une tierce partie.

Tous les ans, l'OCDE réalise un rapport de suivi impliquant 44 juridictions. «Une meilleure compréhension de la manière par laquelle les recommandations Beps sont mises en pratique réduit le risque de disputes entre gouvernements», justifie l'OCDE.

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