L'ex-directeur nie, la présidente part
Réactions en chaîne dans le volet grand-ducal du scandale 1MDB. Marc Ambroisien se dit être "un fusible". Ariane de Rothschild quitte prématurément la présidence de la filiale luxembourgeoise.
Banque Edmond de Rothschild. © PHOTO: Pierre Matgé
Par Pierre Sorlut
«Je considère être un bouc émissaire, voire un fusible. Je rejette toutes les accusations qui sont portées contre moi.» Visé par des enquêtes judiciaire et journalistique pour des soupçons de complicité de détournement d'argent public, l'ancien directeur de la banque Edmond de Rothschild à Luxembourg, Marc Ambroisien, nie tout en bloc.
Marc Ambroisien en 2012. Il travaillait depuis deux ans avec Khadem Al Qubaisi. © PHOTO: Marc wilwert
En avril, l'ancien dirigeant de l'établissement avait été ciblé dans l'émission de la télévision publique française Cash Investigation. Dans un enregistrement audio reconstitué, il paraissait laisser entrer à dessein des fonds d'origine douteuse dans les coffres de la banque. «L'enregistrement existe. Il a été fait, mais il est sorti de son contexte. Il ne s'agit ni d'une conversation avec ce client ni d'une conversation ayant rapport aux fonds qui sont soupçonnés d'être litigieux» conteste M. Ambroisien dans une conversation accordée en exclusivité au «Luxemburger Wort» en présence de son avocat François Prum.
Un client difficile à assumer
«Ce client», c'est Khadem Al Qubaisi, l'ancien patron du fonds souverain d'Abou Dhabi, Ipic (International Petroleum Investment Company). Le haut fonctionnaire émirati est soupçonné dans plusieurs pays (Suisse, Etats-Unis, Singapour et Luxembourg) d'avoir détourné du fonds souverain malaisien 1MDB (pour 1Malaysia Development Berhad) plusieurs centaines de millions de dollars.
Le scandale éclabousse de nombreuses personnalités, à commencer par l'omnipotent Premier ministre malaisien Najib Razak à l'origine de la création du fonds en 2009. Depuis juillet et l'annonce d'une saisie record de 1 milliard de dollars, la justice américaine le désigne responsable d'un détournement tentaculaire.
Leonardo DiCaprio également impliqué
Le scandale atteint même Leonardo DiCaprio. L'acteur américain figure parmi les producteurs du film «Le Loup de Wall Street». A ses côtés dans la liste des financiers apparaît Riza Aziz, gendre du chef du gouvernement malaisien et propriétaire de la maison de production Red Granite, bénéficiaire des fonds détournés du fonds souverain.
Des quelque 4 milliards de dollars détournés, 472 ont atterri au Luxembourg entre 2012 et 2013. Celui qui a dirigé la filiale luxembourgeoise du groupe Edmond de Rothschild de novembre 2012 à septembre 2015 n'est pas nommément visé par la justice luxembourgeoise, mais il incarne malgré lui celui qui a fait «entrer le loup dans la bergerie».
L'Aston Martin "pas un cadeau"
Des documents présentés par les journalistes français font mention d'une Aston Martin offerte par le haut fonctionnaire arabe à son banquier luxembourgeois. «J'ai acheté cette voiture d’occasion à son prix de marché. Ce n'est pas un cadeau du client», se justifie aujourd'hui Marc Ambroisien.
Marc Ambroisien conteste l'authenticité de ce document obtenu par la journaliste Clare Rewcastle-Brown du média indépendant Sarawak Report. © PHOTO: Sarawak Report
Le Thionvillois de 54 ans n'accepte plus d'endosser seul la responsabilité de l'accueil de Khadem Al Qubaisi parmi les clients de la prestigieuse, et d'habitude discrète, banque privée. Celle-ci ne souhaite plus voir son nom associé à son ancien patron au Grand-Duché.
Ambroisien persona non grata à la banque
Contactée au lendemain de la diffusion du reportage de Cash Investigation, Edmond de Rothschild Luxembourg n'avait pas souhaité s'épancher sur le dossier. Elle se contentait de faire savoir que le sujet était «connu de la banque» et que celle-ci «collaborait pleinement avec la justice».
Interrogée sur les relations entretenues avec son ancien directeur, la maison d'origine helvétique répondait, sibylline, que Marc Ambroisien «n'exerçait plus aucune fonction au sein du groupe». On ne voulait alors pas non plus retrouver la trace du communiqué diffusé lors du départ de l'ancien directeur qui «avait choisi de poursuivre sa carrière de manière indépendante tout en restant proche du groupe».
Ariane jugeait Marc "exceptionnel" à son départ en 2015
Dans une communication envoyée le 28 août 2015 aux quelque 2.700 collaborateurs (et dont le «Luxemburger Wort» s'est procuré copie), la grande patronne Ariane de Rothschild tenait à «remercier très chaleureusement Marc Ambroisien pour son exceptionnelle contribution au développement de Edmond de Rothschild (Europe) où il est entré en 1997», après avoir quitté l'administration fiscale française. «Marc a fait de notre Groupe un précurseur en matière d'ingénierie patrimoniale», poursuivait l'épouse de l'ancien président Benjamin de Rothschild.
Une communication de la présidente dont le "Luxemburger Wort" a eu copie. © PHOTO: Pierre Sorlut
Selon le «Message d'Ariane de Rothschild», Marc Ambroisien devait continuer à travailler «étroitement» avec la banque. Il était devenu agent lié. En utilisant la licence bancaire d'Edmond de Rothschild, il continuait ainsi à gérer depuis l'extérieur et dans une sorte de family office le patrimoine de ses principaux clients, dont Khadem Al Qubaisi.
"Introduit par le groupe"
Le dirigeant du fonds souverain des Emirats arabes unis avait approché le groupe en 2010. «Ce n'est pas une démarche commerciale que j'ai faite moi-même. Je ne l'ai pas croisé dans une soirée ou autre. C'est le groupe qui l'a introduit dans le cadre d'un beauty contest avec d'autres banques», explique aujourd'hui Marc Ambroisien.
«Je suis allé à Abou Dhabi. Je lui ai présenté nos services. Il a trouvé cela très bien. Et nous avons été retenus», détaille celui qui était alors responsable des activités de gestion de patrimoine, numéro deux au Grand-Duché. Il insiste par ailleurs sur la nature du client en question. De par ses fonctions, Khadem Al Qubaisi est considéré dans le langage bancaire comme un «PEP», pour «politically exposed person». «Dans toutes les institutions financières, cela implique un contrôle renforcé de toutes les opérations et à tous les niveaux. Et évidemment aussi lors de l'entrée en relation, laquelle est primordiale,» détaille Marc Ambroisien.
L'auditeur PwC n'a pas réagi non plus
«Il n'y a jamais eu de signal d'alarme concernant KAQ?» demandons-nous à l'ex-banquier. «Concernant le fonds souverain malaisien, il n'y a jamais eu aucun warning. - Et sur d'autres dossiers? - Il n'y a jamais eu de warning par rapport aux fonds qui sont entrés, et donc évidemment aucun lien avec 1MDB», tranche l'ancien directeur général d'Edmond de Rothschild Luxembourg.
Celui qui a dû mettre en sommeil ses activités professionnelles pour se consacrer à sa défense indique que des «dizaines de personnes» dans la banque, au Grand-Duché et dans les départements conformité à Paris ou à Genève, avaient veillé au dossier «KAQ» pendant plusieurs années. «Des contrôles diligentés tous les ans par les auditeurs externes (PwC, qui n'a pas souhaité commenter les dossiers de clients particuliers, ndlr.) font l'objet d'un rapport spécifique sur les PEP» précise encore Marc Ambroisien. Ce rapport est transmis chaque année au régulateur, la Commission de surveillance du secteur financier. Sa secrétaire générale indique même que des contrôles sont effectués dans les banques.
Déclaration de soupçon en avril
L'ancien directeur souligne enfin que les notaires et d'autres professions réglementées, sollicités à de nombreuses reprises dans le cadre d'investissements pour le compte de Khadem Al Qubaisi au Luxembourg ou en France, n'ont pas non plus réagi.
Selon nos informations, la banque luxembourgeoise a attendu le printemps de cette année et le reportage de Cash investigation pour enregistrer une déclaration de soupçon auprès de la cellule de renseignement financier (CRF) du parquet luxembourgeois.
Personne n'aurait rien vu?
«Si vous cherchez, en 2015, ce Monsieur (KAQ, ndlr) était encore considéré par un magazine spécialisé comme la 14ème personne la plus influente dans le monde arabe. La presse ne relatait alors pas d'autre chose que du positif le concernant», croit savoir Marc Ambroisien. Lui et plusieurs dizaines de personnes et des logiciels de surveillance, dont World-Check édité par Bloomberg (et cité par M. Ambroisien), seraient passés à travers une campagne médiatique (voir tendance Google sur les mots clés Khadem Al-Qubaisi et 1MDB), dont un article du même fournisseur d'informations financières résumant ce scandale international aux multiples imbrications, notamment via le fonds souverain d'Abou Dhabi et son responsable.
Aujourd'hui, Marc Ambroisien affirme avoir coupé les ponts avec l'ancien dirigeant du fonds émirati dont les médias locaux assurent l'arrestation au mois d'août. «J'ai été administrateur de ses diverses sociétés dans le cadre de mes fonctions. J'ai été proche de lui dans le cadre de mes fonctions. C'est le propre du métier (…) d'accompagner un client dans ses investissements» assure celui qui a été entendu par la police avant et après cet été. Celle-ci mène depuis quelques semaines son enquête sur ce qui pourrait devenir l'un des plus gros scandales financiers connus au Luxembourg. Le 29 juin, le jour du délibéré du procès LuxLeaks, 90 enquêteurs avaient effectué une perquisition record dans les bureaux de la banque au Limpertsberg.
Ariane de Rothschild a démissionné
Interpellée par la journaliste française Elise Lucet et son équipe de Cash investigation lors d'un événement public, Ariane de Rothschild n'avait pas souhaité s'exprimer sur le cas Al Qubaisi. Un homme venu «voler à son secours» avait alors tenté de la rassurer: «Vous êtes intouchable Madame» avait-il laissé filer devant les micros.
Ariane de Rothschild en 2013 © PHOTO: Arte
Sans un mot, au cœur de l'été, Ariane de Rothschild a prématurément quitté la présidence du conseil d'administration de la filiale luxembourgeoise. Dans ses explications, Marc Ambroisien avait détaillé: «Pour les PEP, il y a des rapports spécifiques qui sont étudiés tous les ans dans les comités d'audit ou dans les conseils d'administration.»
François Pauly intègre le conseil
Après une vague de départs au sein de la banque, dont ceux de la présidente Ariane de Rothschild et de son ancien «directeur conformité» Jean-Marc Thomas, le CEO Marc Grabowski devient président directeur général et l'ancien administrateur délégué de la BIL François Pauly prend position à la vice-présidence du conseil d'administration d'Edmond de Rothschild Luxembourg.