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J-1 avant le verdict du procès Luxleaks en appel

L'heure du dernier jugement?

La justice luxembourgeoise se prononce mercredi à 15 heures pour la deuxième fois dans le procès de l'optimisation fiscale à l'échelle industrielle. Un jugement clément pourrait mettre fin à une stigmatisation internationale du Luxembourg.

Antoine Deltour à la Cour d'appel en janvier.

Antoine Deltour à la Cour d'appel en janvier. © PHOTO: Chris Karaba

Pierre Sorlut

Par Pierre Sorlut

Les trois Français accusés du procès Luxleaks ont confirmé leur présence demain à 15 heures devant la Cour d'appel luxembourgeoise pour entendre la sentence qu'ils craignent ou la relaxe qu'ils espèrent. Antoine Deltour et Raphaël Halet, comparaissent devant la justice luxembourgeoise pour avoir soustrait à leur employeur PricewaterhouseCoopers (PwC) Luxembourg des centaines de copies d'accords fiscaux passés entre le cabinet d'audit et le fisc luxembourgeois pour le compte de grandes entreprises. Les deux lanceurs d'alerte avaient le 29 juin dernier écopé respectivement de douze mois de prison avec sursis et 1.500 euros d'amende, et de neuf mois avec sursis et 1.000 euros d'amende. Ils sont tous deux poursuivis pour vol, violation du secret professionnel, accès frauduleux dans un système informatique et blanchiment de documents soustraits. Les deux Français avaient fait appel de la condamnation.

M. Deltour, 31 ans, et M. Halet, 40 ans, visaient l'acquittement dans le procès en appel des LuxLeaks qui s'est déroulé du 12 décembre 2016 au 9 janvier 2017.

Le journaliste français Edouard Perrin, 45 ans, qui avait récupéré les documents fiscaux auprès de MM. Deltour et Halet, avant de les utiliser dans deux émissions de Cash investigation, diffusées sur France 2 en mai 2012 et juin 2013, avait lui été acquitté en première instance des charges qui pesaient sur lui, à savoir complicité de divulgation de secrets d'affaires, de violation du secret professionnel et blanchiment d'informations volées, dans sa relation avec Raphaël Halet. M. Perrin avait réapparu à la barre suite à un appel général prononcé en août par le ministère public luxembourgeois qui ne voulait pas «saucissonner» les éléments du dossier.

Des lanceurs d'alerte reconnus, mais pas protégés

En première instance, Antoine Deltour et Raphël Halet avaient dit avoir agi au nom de l'intérêt général et revendiqué le statut de lanceur d'alerte, ce que le tribunal avait bien voulu entendre. «Suite aux révélations LuxLeaks ils ont contribué à une plus grande transparence et équité fiscale. Les deux prévenus ont donc agi dans l’intérêt général et contre des pratiques d’optimisation fiscale moralement douteuses» résumait le jugement. Mais si le président du tribunal, Marc Thill, avait reconnu aux deux Français le statut de «lanceur d'alerte», il avait néanmoins constaté que celui-ci ne les protégeait pas, ni en droit national ni en droit européen.

M. Deltour ne s'exprimera pas sur ses intentions avant d'avoir étudié l'arrêt

En deuxième instance, les débats juridiques se sont cristallisés autour de la protection possiblement accordée aux lanceurs d'alerte par l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'Homme (CEDH) consacré à la liberté d'expression et étudié en détail par le représentant du ministère public, John Pétry, dans un réquisitoire présenté prématurément dans la procédure. Les peines de première instance y ont été allégées. Seul Antoine Deltour y écopait encore de prison avec sursis. Plusieurs jours durant, la défense a tenté de faire valider chacun des critères énoncés par le premier avocat général. Les arguments n'ont pas pris. L'avocat général a persisté à contester la plénitude de la protection du lanceur d'alerte, dont aurait pu bénéficier l'ancien auditeur au regard de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme.

Sur la place publique, le procès Luxleaks en appel avait donné lieu à une mobilisation pour une meilleure protection des «whistleblowers» à l'échelle de l'UE. Des organisations non gouvernementales et des membres du Parlement européen avaient depuis Luxembourg mis en avant l'utilité publique des lanceurs d'alerte. Le juge de première instance l'avait reconnue. A l'issue des débats à la Cour le 9 janvier dernier, l'avocat d'Antoine Deltour William Bourdon avait conclu que le juge de deuxième instance Michel Reiffers deviendrait «l'honneur de la justice luxembourgeoise, l'honneur de la justice européenne», s'il acquittait les deux anciens employés de PwC.

Une «certaine fatigue»

Si la relaxe est le but ultime des trois accusés et qu'elle est quasiment acquise pour le journaliste, les deux lanceurs d'alerte n'excluent pas d'abandonner les recours dont ils disposent (Cour de cassation à Luxembourg et Cour européenne des droits de l'Homme à Strasbourg) en cas de jugement clément. Interrogé sur une telle éventualité, Raphaël Halet dit vouloir «étudier le jugement» une fois à disposition. Même écho du côté des représentants d'Antoine Deltour. Selon son avocat luxembourgeois Philippe Penning, M. Deltour «ne s'exprimera pas sur ses intentions avant d'avoir lu et étudié l'arrêt rendu.» Dans les couloirs de la cour cependant, son entourage avait parlé d'une «certaine fatigue» du Français, lequel pourrait laisser tomber sa quête de réhabilitation. Indirectement, une telle éventualité mettrait fin à la stigmatisation du Luxembourg de l'évasion fiscale telle que décriée à travers le procès Luxleaks.

Le 5 novembre 2014, l'ICIJ avait publié sur son site internet 548 rescrits fiscaux liant l'administration luxembourgeoise à plus de 350 sociétés, ainsi que 16 déclarations fiscales. Les documents avaient été respectivement soustraits par Antoine Deltour (le 13 octobre 2010) et Raphaël Halet (en 2012). Le scandale avait poussé le gouvernement luxembourgeois à battre en retraite sur l'échange transfrontalier de documentation fiscale et avait fragilisé le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, fraîchement investi. Les révélations de LuxLeaks ont également servi de catalyseur à l'adoption de normes favorisant une homogénéisation de l'imposition des firmes multinationales à travers les pays de l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques).

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