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L'industrie prête à franchir le pas du télétravail

Elle l'a pratiqué en tant que cheffe d'entreprise, mais c'est comme présidente de la Fédération des industriels luxembourgeois que Michèle Detaille presse l'Etat d'agir pour organiser au mieux l'activité professionnelle à distance.

Pour Michèle Detaille, l'urgence est d'abord de trouver un accord entre Etats. Puis viendra le temps de la réglementation nationale.

Pour Michèle Detaille, l'urgence est d'abord de trouver un accord entre Etats. Puis viendra le temps de la réglementation nationale. © PHOTO: Anouk Antony

Patrick Jacquemot

Pour le télétravail, cette crise du covid-19 aura véritablement été révélatrice...

Michèle Detaille : «Pour un certain nombre des 600 sociétés membres de la Fedil, pas exactement. Certaines avaient déjà une bonne expérience car travaillant avec des équipes disséminées dans le monde, effectuant de la télémaintenance ou ayant adopté cette pratique dans la gestion du temps de travail de leurs salariés. Non, à mes yeux, ces derniers mois auront démontré trois faits importants sur cette organisation professionnelle.

D'abord, que nos entreprises et les personnels sont éminemment adaptables au changement. J'entends encore les voix de ceux qui disaient que le télétravail était impossible... Ensuite, cela a montré l'efficacité du home office, car c'est bien à la maison que -pour beaucoup- nous nous sommes retrouvés confinés à travailler avec notre ordinateur. Là encore, résonnent les propos craignant que la formule soit contre-productive. La formule a fait ses preuves. Enfin, cela a montré que l'activité du Luxembourg pouvait se reposer sur ce home office à large échelle, et non de façon anecdotique ici ou là.

Cependant, vous semblez aussi avoir quelques réserves?

«Il faut nuancer ce succès. Car ce télétravail n'a été une réussite que parce qu'il était contraint et sur une courte période. Il ne convient certainement pas à plein temps. Pas plus qu'il n'a été adapté à certains profils, pas suffisamment autonomes. Des salariés ont été plus désemparés que d'autres, en perdant leurs repères, habitudes, collègues et contacts immédiats. Enfin, il faut rappeler, et notamment dans l'industrie, que certaines fonctions (directement en production) ne peuvent télétravailler. Si le Statec parle de 69% de salariés qui ont pu pratiquer un peu ou plus du home office, cela signifie que pour un tiers des effectifs ce n'était pas envisageable. Dans l'industrie, ce chiffre est même plus élevé.

Lire aussi :Le télétravail a sauvé des vies

Reste que l'on sent bien qu'un élan est né. Parmi les salariés comme parmi les chefs d'entreprise. La Fedil y est-elle sensible?

«Effectivement, le télétravail a des avantages qui ont été mis en avant. Moins d'espaces à aménager pour l'ensemble de ses salariés (au prix du m2...); une formule tantôt en présentiel tantôt à la maison qui peut attirer ou fidéliser des salariés (hommes comme femmes); nettement moins de bouchons et un peu moins de pollution; des compétences que l'on peut aller trouver plus loin que le bassin de vie national ou frontalier; un temps de vie sociale supplémentaire gagné et qui est important pour le bon développement des individus (amis, vie associative), etc. Aussi, la Fedil ne peut que trouver la formule séduisante, même si je le répète ce ne pourra être une solution miracle.

Alors, selon vous, quelle étape doit maintenant franchir le télétravail au Grand-Duché?

«A très court terme, il faut que notre Etat réagisse auprès de ses voisins, comme il l'a fait rapidement au début de la crise. Le Luxembourg doit trouver les solutions (fiscales notamment) qui rassureront prioritairement les salariés, belges, français, allemands. Jusqu'à présent, ce temps accordé de pouvoir travailler en dehors de son pays d'embauche était limité ou taxé, il faut revoir ces règles entre pays.

© PHOTO: Anouk Antony

«A très court terme, il faut que notre Etat réagisse auprès de ses voisins, comme il l'a fait rapidement au début de la crise. Le Luxembourg doit trouver les solutions (fiscales notamment) qui rassureront prioritairement les salariés, belges, français, allemands. Jusqu'à présent, ce temps accordé de pouvoir travailler en dehors de son pays d'embauche était limité ou taxé, il faut revoir ces règles entre pays.

Comme il le fait pour les infrastructures de transport, on pourrait même réfléchir à des partenariats de coopération pour développer les infrastructures indispensables au télétravail dans les territoires voisins où elles s'avéreraient insuffisantes (réseaux, bureaux pour se réunir en dehors du siège luxembourgeois de l'entreprise pour une partie des équipes).

Et que l'on ne pense pas que la mesure sera au seul bénéfice du Grand-Duché, car il a aussi à perdre dans un déploiement plus vaste du télétravail (moins de recettes fiscales, de consommation, de cotisations sociales).

Le ministre du Travail, Dan Kersch (LSAP) parle déjà de créer une loi nationale spécifique...

«Si c'est une loi que veut ce gouvernement, passons par là. Mais aux yeux de la FEDIL, il faut surtout un texte souple et gagnant-gagnant. Que les conventions puissent être signées dans l'entreprise et au cas par cas, pas selon des quotas à atteindre ou je ne sais quoi. Le texte devra préciser les droits et devoirs du télétravailleur comme ceux de son employeur, aussi bien en temps de connexion qu'en conditions proposées par l'entreprise pour assurer l'installation d'un poste de travail au domicile d'un particulier (mobilier, abonnement internet, cybersécurité renforcée, allocations pour l'énergie, etc).

Lire aussi :Le mal de dos et les yeux fatigués des télétravailleurs

La voix de la FEDIL pourra être portée par l'Union des entreprises luxembourgeoises lors d'une bipartite si le sujet est abordé. Mais je le répète, le télétravail n'a rien d'une baguette magique qui résolve l'ensemble des difficultés. Il impose des pratiques de gestion humaine propres à du management à distance, des compétences à développer, des infrastructures techniques à assurer, un second lieu de travail à aménager et un cadre légal complexe. Il y a donc un cheminement à trouver entre partenaires sociaux pour être le plus efficace sur cette question.»

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