L'offshore au coin de la rue
Depuis ses bureaux luxembourgeois, le cabinet juridique au cœur du scandale «Panama Papers» aiguille ses clients. Des clients sur qui il renvoie la responsabilité en cas de fraude.
Pour en savoir plus, nous avons poussé la porte de Mossack Fonseca au Luxembourg © PHOTO: Chris Karaba
Par Pierre Sorlut
Mossack Fonseca, le cabinet juridique panaméen duquel ont été extraits 11,5 millions de documents a pignon sur rue dans la capitale et occupe une poignée de bureaux au deuxième étage d'un immeuble de la rue des Bains.
Et en dépit de la pression exercée sur la firme en ce lundi matin suite à la parution la veille au soir des «Panama Papers», une équipe du «Luxemburger Wort» y a quand même été reçue par le manager de l'entité, Samuel Fernandez, un Panaméen désireux de montrer que l'implantation n'était pas une coquille vide.
Quatre employés
L'intéressé indique ainsi que quatre personnes travaillent à plein temps dans cette structure servant de point de contact avec la clientèle locale et européenne. Le Luxembourg constitue l'un des 37 bureaux décentralisés de cette firme éminemment internationale. «Mossfon», comme on la désigne maintenant communément, opère cependant essentiellement sur les places financières: des îles exotiques, mais aussi à Londres, Zurich ou Hong Kong. Pas depuis Bruxelles, ni Paris, ni Berlin.
Le travail juridique et de domiciliation n'y est en revanche pas effectué, nous apprend-on. Il s'agit ici d'assurer l'interface avec les clients, institutionnels et particuliers, pendant les heures durant lesquelles les services panaméens ne travaillent pas. Sept heures séparent l'horaire du Grand-Duché de celui de sa contrepartie centre-américaine. Tous les dossiers, nous dit-on encore, y sont remontés. Des clients contactés par ailleurs soulignent à ce titre l'aspect pratique de l'entité qui permet de ne jamais «avoir affaire avec le Panama».
L'âge d'or du Panama derrière nous
Les représentants locaux de la firme refusent en revanche de commenter l'évolution du volume d'activité. Pas plus qu'ils n'ont répondu aux sollicitations de l'ICIJ avant la publication des premières données ce dimanche. Les graphiques mis en ligne sur le site du consortium de journalistes ICIJ laissent à penser que l'âge d'or de la structuration via le Panama et «Mossfon» est derrière nous.
Un fiscaliste désireux de ne pas voir son nom associé à l'épineux dossier indique à cet égard que, du fait des nouveaux standards en matière d'échange d'informations, les véhicules panaméens rencontrent moins de succès auprès des avocats. «Après, il y a toujours des gens en retard d'une guerre», nuance-t-il. Puis il n'est pas si aisé pour banquiers et gérants de fortunes de se défaire d'un client et de la structure créée pour lui il y a des années. Et quoi qu'il en advienne, sa seule existence a été comptabilisée dans les statistiques de l'ICIJ.
Pour autant, le Luxembourg ne figure pas dans celles relatives aux «paradis fiscaux» utilisés par Mossack Fonseca pour ses clients et ne compte que dans le tableau des pays comptant le plus d'intermédiaires actifs. A ce titre, le classement des dix établissements recensés par l'ICIJ comme étant les plus consommateurs en véhicules «offshore» a comme une odeur de naphtaline. Y apparaît Landsbanki, une banque en liquidation depuis 2010.
En son sommet trône Experta Corporate & Trust Services, la filiale de la BIL (Banque internationale à Luxembourg) active dans la domiciliation et la gestion de fortune. C'est elle qui a (au monde!) le plus utilisé les coquilles vides panaméennes pour le compte de ses clients selon l'ICIJ. Une activité que l'établissement de crédit détenu par la famille royale du Qatar et l'Etat luxembourgeois ne dément pas. Dans un communiqué de quelques lignes envoyé après d'intenses heures de réflexion sur son contenu, la BIL dit «prendre au sérieux» les «allégations» du consortium de journalistes. Elle confirme aussi qu'Experta a «dans le passé» accompagné ses clients pour créer des «structures offshore dans un objectif de planification patrimoniale et conformément au cadre légal et international», est-il écrit sobrement. Quelqu'un qui a vu la gestion des dossiers de l'intérieur confirme de manière plus tranchée et rappelle qu'une partie des affaires du Luxembourg s'est faite sur l'évasion fiscale des ressortissants des pays voisins. Les structures panaméennes servaient à ça et beaucoup d'entre elles ont été démontées sous la pression internationale et pour bénéficier des amnisties proposées dans les pays voisins, nous explique-t-on. En revanche, Experta ne traitait exclusivement qu'avec Mossack Fonseca pour le business centre-américain. Ce qui explique le volume d'affaires du prestataire de services dans cette «fuite» émanant du système d'informations de «Mossfon».
Le bureau luxembourgeois visé pour escroquerie fiscale
Le cabinet a ouvert ses bureaux de la rue des Bains en 2010 alors qu'il se contentait jusqu'alors (de manière plutôt artisanale) d'un couple de représentants permanents domiciliés à Rameldange (Ines Saiz de Dex et Jost Dex), lesquels disposaient d'un bureau en ville. Et, dans son édition en ligne, Paperjam explique pourquoi la maison mère panaméenne a donné plus de substance à son activité luxembourgeoise. En 2009, Mossack et Fonseca se sont retournés contre les prestataires locaux, ce jusque devant les tribunaux, en les accusant «d'escroquerie fiscale».
Les deux fondateurs de «Mossfon» prétendaient alors que les époux Dex utilisaient une structure panaméenne pour éluder l'impôt au Luxembourg et portaient ainsi potentiellement préjudice à la réputation de la firme. En mai 2013, les juges ont finalement conclu à l'irrecevabilité des poursuites «pour défaut d'intérêt à agir des citants directs» relate le média économique et financier.
Jamais de problème juridique pour la firme
La question réputationnelle se pose aujourd'hui à nouveau et dans une tout autre mesure. Depuis Panama City, le cabinet comptant quelque 500 collaborateurs se défend évidemment d'être sorti du cadre réglementaire: «En tant qu'agent agréé nous aidons simplement à enregistrer des sociétés et avant d'accepter travailler avec un client, nous procédons à une due-diligence rigoureuse, un processus qui répond voire dépasse toutes les règles locales en la matière». A deux reprises dans son communiqué, la firme souligne qu'elle n'a jamais, en ses 40 ans d'histoire, été condamnée pour «crime» («criminal wrongdoing»), pas même poursuivie.... par aucune cour. Mossack Fonseca fait également valoir qu'il appartient à la banque, son client, de connaître le bénéficiaire économique final du compte de la société que le cabinet a aidé à créer.
Déclaration de Mossak Fonseca (en anglais) by Radio-Canada
La firme souligne enfin les efforts consentis ces dernières années par le gouvernement panaméen pour accéder aux standards internationaux de transparence... dont ils sont pour l'instant bien éloignés. Puisque Panama a échoué à la première phase d'examen du Forum mondial pour la transparence sur l'échange d'informations sur demande. Cela n'empêche pas le porte-parole de Mossfon de mettre en avant les progrès du Panama qui vient d'être retiré de la liste grise du Gafi (Groupe d'action financière). Une situation qui rappelle finalement celle du Luxembourg de la fin 2014 et le scandale LuxLeaks. Il s'était alors déjà fait rattraper par son passé.