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Après la victoire de Cameron

Le "Brexit", imaginé au Luxembourg

Entre incertitude et opportunité, les acteurs économiques du Luxembourg sont partagés au moment d'évoquer la sortie du Royaume Uni de l'Union européenne.

Le Royaume-Uni est un partenaire important pour le Luxembourg

Le Royaume-Uni est un partenaire important pour le Luxembourg © PHOTO: AFP

par Thierry Labro

«Est-ce que Monsieur Cameron ne regrette pas d’avoir annoncé un référendum avant la fin 2017?» Sorti deux minutes d’une réunion en Suisse avec le président du Rwanda, le p.-d.g. de l’Association des banques et des banquiers du Luxembourg (ABBL), Serge De Cillia, est presque taquin à l’idée d’évoquer le Brexit, la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne (UE). «On entre surtout dans une période de questions puisqu’on ignore comment seraient réglées les relations entre l’UE et le Royaume-Uni», dit-il avec prudence.

«Européen convaincu, je suis favorable à ce que Londres reste dans l’UE. Mais c’est au peuple britannique de décider. On estime aujourd’hui à 2% à peu près de PIB annuel le coût de cette sortie, avec tout ce que cela peut avoir comme conséquences pour l’économie et en particulier pour le secteur financier et l’industrie exportatrice. Si le Royaume Uni, un des plus gros contributeurs au budget de l’UE sort, cela voudra dire que les autres devront payer plus. Evidemment, le Luxembourg perdrait surtout un allié de poids dans les discussions sur les marchés financiers et la fiscalité.»

«Londres-Luxembourg, un axe fort»

Le président de l’Association luxembourgeoise des fonds d’investissement (ALFI), Marc Saluzzi, va même un cran plus loin, en faisant de Londres et Luxembourg «un axe fort qui s’est construit en même temps que l’Union européenne. Nous préférons cent fois que le Royaume-Uni reste à l’intérieur de l’UE! C’est ce que nous avons répété lors de notre road show annuel à Londres. Les managers de fonds britanniques sont les deuxièmes contributeurs les plus actifs de la place de Luxembourg!»

Les deux hommes se différencient sur l’attitude à adopter face aux sociétés qui voudraient, en cas de Brexit, quitter Londres pour s’établir à l’intérieur de l’Union européenne. Alors que le patron de l’ABBL rappelle que «le Luxembourg se vend comme une place internationale, cherche de nouvelles parts de marché surtout avec les Chinois, l’Asie ou l’Amérique latine et qu’à ce titre, l’ABBL répondra discrètement aux demandes informelles de renseignement qui pourraient arriver», son homologue de l’ALFI n’imagine pas que «les sociétés qui ont un passeport européen et qui travaillent en Europe depuis Londres ne prévoient pas d’élaborer un plan B. Il s’agira pour nous d’être capables, au bon moment, de convaincre ces sociétés que Luxembourg est l’endroit où elles doivent aller.»

Tout en «refusant de spéculer», le ministre des Finances, Pierre Gramegna, ne dit pas autre chose: «Si les entreprises cherchent un autre endroit pour s'installer, elles penseront au Luxembourg, du fait de la prédominance de sa place financière. Les deux places sont très complémentaires, notamment pour ce qui est de l'industrie des fonds. Nous sommes les deux pays qui s'engagent le plus pour que les directives européennes soient transposées de manière à assurer l'attractivité de l'Europe.»

Mais le Luxembourg (13.849 fonds pour 3.095 milliards d’euros d’avoirs au 31 décembre dernier) n’est pas le seul à imaginer sans le dire qu’il puisse y avoir une sorte effet d’aubaine. Avec 5.837 fonds (pour 1.661 milliards d’euros) en Irlande, 11.272 fonds (1.585) en France ou 5.842 fonds (1.582) en Allemagne, il existe des alternatives.

La BCE trop exigeante?

Pour continuer à travailler dans l'UE, des acteurs de la City devraient répondre à une double réglementation, celle de Londres et celle de l'UE, ce qui peut les amener à déménager. Sans compter que la Banque centrale européenne a beaucoup poussé pour que «les chambres de compensation assurant le règlement-livraison de produits financiers, principalement libellés en euros, soient physiquement installés sur le sol de la zone euro afin de mieux évaluer les risques et de permettre l'accès à la liquidité de la BCE», rappelle Caroline Stephan dans une note de conjoncture de BNP Paribas.

«Un enjeu de taille», ajoute-t-elle, «en raison des liens particulièrement étroits (...). Les banques européennes sont très présentes sur le marché de financement de gros (activités régulières de prêts, d'emprunts et de négociations). En septembre 2014, 35% des actifs étrangers des institutions financières monétaires britanniques se situaient au sein de l'UE et 20% de leurs actifs étaient libellés en euros, soit 38% des actifs libellés en devises étrangères.»

Le Premier ministre aura peut-être les coudées franches vis-à-vis de l'UKIP mais il devra gérer les conservateurs les plus sceptiques.

Le Premier ministre aura peut-être les coudées franches vis-à-vis de l'UKIP mais il devra gérer les conservateurs les plus sceptiques. © PHOTO: AFP

«C’est une épée de Damoclès qui sera en permanence sur nos têtes. A chaque fois que les négociations connaîtront des difficultés, les marchés s’inquiéteront et cela pèsera aussi sur les devises. On entre dans une période d’incertitude et ce n’est pas bon», relève encore M. Saluzzi.

L'agence de notation Moody a elle aussi rappelé hier son avertissement d'il y a un mois: la note du Royaume Uni ne devrait pas changer mais un Brexit aurait des conséquences, puisqu'il «faudrait que le gouvernement puisse recréer les bénéfices qu'il tire de l'UE». «Les conservateurs veulent davantage de compétition, aider les nouveaux entrants et utiliser la Banque britannique d'affaires pour booster les investissements et aider les PME dans leurs besoins de capitaux. S'engager dans ce secteur aurait des effets négatifs sur les leaders du secteur du crédit comme Lloyds, Barclays, RBS, HSBC et Santander UK».

Une chance pour nos PME

Une réforme du marché intérieur pourrait profiter aux PME luxembourgeoises encore plus qu'aux PME britanniques, estime Carlo Thelen

Une réforme du marché intérieur pourrait profiter aux PME luxembourgeoises encore plus qu'aux PME britanniques, estime Carlo Thelen © PHOTO: AFP

Car le débat va bien au-delà du seul secteur financier. Pour Mme Stephan, «les échanges de marchandises ont progressé de près de 75% depuis 1999 tandis que les échanges de services ont doublé. La moitié des exportations de services sont destinés à l'UE. Près de la moitié des investissements directs à l'étranger du Royaume-Uni se font dans l'UE, les Pays-Bas étant un partenaire privilégié (13%). De même près de la moitié des investissements directs au Royaume-Uni ont été réalisés par ses partenaires européens.»

Sortira? Sortira pas? Les jeux sont loin d'être faits. Comme en témoignent ces sondages qui disent que 74% des employés de la City et 61,4% des PME selon la Chambre de commerce britannique veulent rester dans l'UE.

«Cameron aura moins de pression maintenant!», prédit de son côté le directeur général de la Chambre de commerce, Carlo Thelen. «Il pourra expliquer et réfléchir à la question du référendum! Et maintenir la pression sur l'Union européenne. La présidence luxembourgeoise est une belle occasion de réformer le marché intérieur pour le rendre plus compréhensible, moins entravé, plus simple. Souvent, les PME luxembourgeoises respectent davantage les règles du jeu que les PME de certains grands Etats membres.»

Pour aller plus loin:

L'analyse de la Fondation Bertelsmann sur les conséquences du Brexit pour les Européens.

56 milliards de livres par an selon la Fondation Open Europe.

L'analyse de l'économie britannique par Jean-Luc Buchalet, du Cercle des analystes indépendants

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