Les aéroports de la Grande Région forcés de s'entendre
Les représentants des infrastructures aéroportuaires voisines de Belgique, France, Allemagne et Luxembourg entendent collaborer davantage. Un ultimatum européen pour les subventions aux aéroports pourrait accélérer ces rapprochements.
Le Findel entend intensifier sa collaboration avec les autres aéroports de la région, malgré les divergences. © PHOTO: Guy Jallay
Coincés sur un petit territoire de 65.000 km², huit aéroports se marchent sur les pieds. Malgré des nuances de positionnement, la concurrence dans la Grande Région est réelle, dans l'espace aérien comme au sol. Un bras de fer entre les activités fret du Findel et de l'aéroport de Liège, par exemple. Sachant que l'infrastructure belge a réussi à attirer la base logistique européenne du chinois Alibaba, depuis décembre 2018. Bras de fer, également, entre l'attirance des voyageurs vers Lorraine Airport et Sarrebruck, l'Allemand voulant fortement augmenter sa part de clients français d'ici un an.
Seulement, la fermeture voulue par l'Europe du robinet des subventions publiques aux aéroports, passé 2024, va rebattre les cartes. En effet, privés de la manne de l'Etat ou des régions, certains «petits» aéroports devraient se retrouver en situation financière délicate. Un trou d'air obligeant donc certains concurrents d'aujourd'hui à s'entendre.
La Grande Région compte huit aéroports, tous ouverts à l'international. © PHOTO: Illustration : Luxemburger Wort
Pour le Luxembourg, la situation du Findel s'avère confortable. Lors d'une rencontre avec ses homologues belges, français et allemands de la Grande Région, le député Mars di Bartoloméo (LSAP) n'a pas manqué de le rappeler. La barre des quatre millions de passagers a été dépassée en 2018, le trafic fret en plein boom et un chantier titanesque attend l'aéroport national. «Ici, on ne pourra jamais se passer d’un aéroport», résume l'ancien patron de la Chambre des députés.
Avec ses huit millions de passagers, Charleroi semble aussi à l'abri, à court terme, des turbulences annoncées. Mais Mars di Bartoloméo met en garde: «Au-delà des concurrences naturelles, il est important de passer aux synergies», a-t-il asséné à ses homologues.
Les petits et les grands
Déjà, des coopérations existent. Isolde Ries, vice-présidente du parlement de la Sarre, le rappelle : «En cas d’intempérie à Sarrebruck, les avions vont atterrir à Metz-Nancy. Pareil pour le Findel qui déviera une partie de son trafic vers Sarrebruck pendant son chantier de transformation».
Inquiets quant aux conséquences de la restriction des subventions sur leurs aéroports, les élus Grand Est et allemands étalent de vraies divergences. En termes économiques, l'avantage est indéniablement côté germain, Sarrebruck-Ensheim revendiquant 360.000 clients en 2018, avec une tendance à la hausse, contre 280.000 pour le voisin lorrain.
A l'image du Findel, le cousin rhénan de Francfort-Hahn navigue, lui, dans une autre catégorie. Affichant près de deux millions de passagers en 2018 et plus de 126.000 tonnes de fret.
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Quels actes de solidarité régionale adopter alors ? Le socialiste luxembourgeois Di Bartolomeo avance une proposition, à titre d'exemple. «Je ne savais pas que l'aéroport de Metz-Nancy avait de bonnes connexions vers l’Algérie. En informant nos clients, qui passent actuellement par Paris, cela pourrait leur faire économiser des centaines de kilomètres». Et assurer un peu plus de trafic côté lorrain.
Les chiffres sont bons pour le Findel qui prévoit de changer d'échelle avec son chantier. © PHOTO: Guy Jallay
Egalement partisan d'une accélération des rapprochements afin de sauver les trois établissements aéroportuaires du Grand Est (Strasbourg, Lorraine Airport et Vatry), le conseiller régional Christian Debève sait que la partie ne sera pas simple à l'échelle des quatre pays car elle est déjà bien compliquée sur le seul territoire Alsace Lorraine Champagne-Ardennes. «Chacun de nos aéroports a sa propre structure, sa propre forme juridique, on n’arrive pas encore à collaborer chez nous», déplore-t-il.
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De mauvais augure, une étude de 2016 du ministère français de l'Environnement sur les aides d'Etat aux aéroports prédisait que «les aéroports de moins de 700.000 passagers n’ont pas un trafic suffisant pour dégager une rentabilité financière leur permettant de se priver de subventions».
Les restrictions européennes à venir ne laissent donc pas le choix aux Français. Christian Debève se voit condamné à une «coopération pragmatique faite d’économies d’échelle» avec ses voisins. Parmi les pistes proposées par le Grand Est : la mise en commun de la formation du personnel de sécurité ou de l’achat des carburants, l’homogénéisation des taxes aéroportuaires et des normes environnementales.
Souveraineté nationale
Mais cet appel français (partagé par le Luxembourg) se heurte encore aux réticences allemandes. «Si l’aéroport de Metz-Nancy brûle, je ne vais tout de même pas envoyer un camion de pompier depuis Sarrebruck», a rétorqué Jürgen Barke, ministre d’Etat de Sarre. Un tacle qui peut s'expliquer par de meilleures perspectives du côté allemand, lui faisant relativiser l'impact négatif de la mesure européenne à venir. «L'aéroport de Sarrebruck devrait pouvoir couvrir ses coûts de fonctionnement d'ici 2024», assure ainsi Isolde Ries.
Pour le représentant de la Commission européenne, Frank Dupont, il ne faut pas oublier que la question du maintien d'un aéroport régional «va au-delà du pur raisonnement économique». «Fermer un aéroport serait un signal très négatif», lui fait écho le conseiller régional Christian Debève. Un enjeu de politique territoriale qui pourrait bien rester cloué au sol par les réalités économiques de chacun des acteurs.