A Mondorff, les habitants n'ont cure de la frontière
Les élections communales approchent et elles seront aussi observées avec intérêt dans les communes frontalières du Luxembourg. A commencer par Mondorff, le petit village mosellan qui ne fait qu'un avec Mondorf-les-Bains.
Mondorff et Mondorf-les-Bains forment un seul et même ensemble où la frontière franco-luxembourgeoise se remarque à peine. © PHOTO: Chris Karaba
Et au milieu, coule la Gander... que les locaux appellent plutôt Albaach ou Altbach, selon la berge où l'on se trouve. Cette nuance de dénomination du ruisseau qui sépare Mondorf la luxembourgeoise de Mondorff la française est l'une des différences entre les deux communes sœurs. Elles sont peu nombreuses, la principale étant un développement diamétralement opposé, entre la cité thermale grand-ducale et le petit village mosellan.
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Pour autant, à Mondorff, on ne prend pas ombrage de cette richesse luxembourgeoise. Tout simplement parce qu'elle profite à tous. «Pour les habitants, cette proximité est un réel atout, avec les commerces, les médecins à Mondorf-les-Bains. (…) Certaines personnes venant de l'extérieur ne savent même pas que Mondorff existe, ils pensent que c’est une seule et même commune», résume, dans un sourire, Rachel Zirovnik, maire du village français depuis 2014.
«J'ai l'avantage d'avoir tout ce qu'il me faut à deux pas de chez moi, confirme Claude, 76 ans, accoudé au bar: les commerces, les stations-essence, un grand et beau parc pour me promener. C'est une chance!» Jean-Jacques Wagner, gérant de La Sarbacane, le seul café-restaurant de Mondorff, tient sensiblement le même discours. «On est un tout petit village où il n'y a rien. Avec la proximité directe de Mondorf, on peut vivre ici même sans voiture car il y a tout: médecins, pharmacies, vétérinaires, magasins, et même les transports gratuits pour aller à Luxembourg si besoin.»
D'une paroisse à deux communes
La séparation en deux de la paroisse de Mondorff date de 1769, avec le Traité de Versailles. Les deux communes gardent alors toutes les deux le même nom.Au cours du XIXe siècle, la cité grand-ducale perd un F (une erreur sur un cachet d'oblitération en serait à l'origine) mais gagne l'appellation «-les-Bains» du fait de la découverte d'une source thermale et de l'essor cette activité de cures. Détail insolite qui résume cette histoire commune: il n'y a toujours qu'une seule église pour les deux communes. Elle se situe côté luxembourgeois.Autre détail: une partie du pôle thermal, à savoir l'Orangerie et les courts de tennis, se situent côté français. Enfin, on peut encore signaler qu'il y a l'annexe d'Altwies aussi bien côté luxembourgeois que français.
Passer le petit pont frontière est un acte banal, accentué par la disparition des douaniers voilà déjà trois décennies. A Mondorff, on s'intéresse évidemment à ce qui se passe à Mondorf. Même aux prochaines élections communales du 11 juin. «Mais ça ne bouge pas beaucoup pour l'instant», tempère Jean-Jacques Wagner. «Lex Delles et moi avons été élus quasiment en même temps, et il m'a toujours soutenue», rappelle Rachel Zirovnik.
Les élus de Mondorf se sont toujours comportés comme un grand frère, comme un facilitateur.
Delles promu ministre des Classes moyennes et du tourisme fin 2018, Steve Reckel lui a succédé au poste de bourgmestre sans que cela change les relations entre les deux communes. «Nous avons évidemment des échanges réguliers avec Mondorf-les-Bains. Par exemple, en ce moment, nous finalisons notre plan local d’urbanisme et nous nous sommes concertés, avec Mondorf mais aussi le pôle thermal, sur le sujet», indique l'édile française, qui apprécie l'esprit de solidarité et la bienveillance du voisin. «J’ai repris la commune dans un état financier catastrophique, se souvient Rachel Zirovnik. Les élus de Mondorf se sont toujours comportés comme un grand frère, comme un facilitateur. Bon, il faut dire aussi qu’ils disposent de moyens financiers que nous n’avons pas...», lance-t-elle, sans se départir de son sourire.
Nuances politiques et administratives
Les élus des deux communes s'entendent bien et avancent main dans la main, malgré quelques différences. «La principale, c’est qu’ils n’arrivent pas à comprendre que je n’ai pas d’étiquette politique, indique Rachel Zirovnik. Au Luxembourg, le système est davantage politisé, les élus sont très souvent encartés dans un parti. Par contre, ils n’ont pas notre mille-feuille administratif et ça, c’est appréciable. Quand il y a un projet, ils ne passent pas par 10.000 étapes, ça va beaucoup plus vite. Alors que chez nous en France, pfff… Les Luxembourgeois ne comprennent pas pourquoi il y a toutes ces strates, et je ne peux vraiment pas leur en vouloir.»
Sans jalouser Mondorf-les-Bains, Rachel Zirovnik fait part d'une légère frustration «quand, sur un projet en commun, je dois débloquer des fonds et qu’eux peuvent faire plus. Je parle d’une échelle de 1 à 10, et encore je suis gentille ! Mais c’est une réalité...», souffle-t-elle. Les Luxembourgeois ont aussi une balayeuse et une saleuse, qui passent volontiers le petit pont quand cela s'avère nécessaire. Dans l'autre sens, des associations luxembourgeoises profitent de la salle communale française.
Des histoires familiales sans frontière
Simone et Gabrielle, deux habitantes en train de discuter dans la rue, confirment «une bonne entente». Simone est luxembourgeoise. Son mari est français et elle vit à Mondorff. Gabrielle est sa nièce. «La commune de Mondorf-les-Bains a des moyens que la nôtre n'a pas forcément, alors ils nous aident», souligne Simone. «Et en vivant juste à côté du Luxembourg, on bénéficie de beaucoup d'avantages», enchaîne Gabrielle. «Mais la réciproque est aussi vraie. Sans les frontaliers, le Luxembourg ne serait rien», coupe Simone.
Si le flux de véhicules et de clients va clairement de Mondorff vers Mondorf, il y a un endroit où certains habitants luxembourgeois aiment se retrouver: chez Jean-Jacques Wagner, à La Sarbacane. «J'habite depuis 40 ans à Ellange (une section de Mondorf-les-Bains, NDLR). Je pourrais aller dans un bistrot de Mondorf, mais je viens ici tous les jours. C'est une habitude, c'est convivial», explique Christian, un fidèle retraité. L'histoire familiale du patron du café-restaurant plaide pour cette entente cordiale. Elle est un concentré et un bon résumé des relations entre les deux communes. «Mon père a été maire de Mondorff de 1989 à 1995 mais mes grands-parents sont luxembourgeois et je parle couramment la langue. Pour moi, la frontière n'existe que sur le papier.»
Il y a davantage de distance et il n'y a plus la même envie de connaître son voisin.
Pour autant, Jean-Jacques Wagner constate une évolution dans les rapports entre les habitants. «Les relations ont changé. Avant, ça ressemblait à une seule et même communauté, tout le monde parlait luxembourgeois. Aujourd'hui, les travailleurs frontaliers qui viennent d'autres régions et s'installent à Mondorff n'ont pas la même vision de ce relationnel. Il y a davantage de distance et il n'y a plus la même envie de connaître son voisin.» D'un côté comme de l'autre. «Mais je ne suis pas nostalgique, il faut vivre avec son temps», complète le gérant de La Sarbacane depuis 34 ans, pour qui Mondorff est un peu devenu «un village dortoir».
Un village français prisé
Effectivement, la commune française, grâce à sa situation géographique idéale, est un lieu de résidence attractif. «Nous avons des appels toutes les semaines en mairie, pour savoir si nous avons des terrains à construire ou si des maisons sont à vendre dans le village. La demande est forte. Un bien en vente ne le reste jamais très longtemps», confirme Rachel Zirovnik. S'ils restent en deçà du marché luxembourgeois, les prix de l'immobilier flambent aussi à Mondorff. «J'ai acheté ma maison au début des années 80, l'équivalent de 20.000 euros. Aujourd'hui, elle en vaut minimum 300.000», confie Jean-Claude. Notre retraité n'était pas venu s'installer ici pour travailler au Luxembourg. «J'ai fait toute ma carrière à la Sollac et chez Arcelor en Moselle. Quand j'y ai démarré, le Luxembourg n'était pas un eldorado. Mais avec le temps, ça l'est devenu.»
Avoir le Luxembourg à deux pas de chez soi est une belle opportunité.
D'ailleurs, il n'y a qu'à se placer sur la petite passerelle piétonne qui enjambe l'Albaach pour se rendre compte de cette dynamique. D'un côté, les grues de chantier s'activent à Mondorf-les-Bains, 5.500 habitants. De l'autre, les vaches paissent dans les prés de Mondorff, 600 âmes. Le tout ne forme qu'un seul et même ensemble où chacun profite des atouts de l'autre, même s'ils sont clairement plus nombreux côté grand-ducal. «Pour tout le monde ici, avoir le Luxembourg à deux pas de chez soi est une belle opportunité», conclut Rachel Zirovnik.