Cattenom: pas de réacteur nouvelle génération pour l'instant, mais...
Le projet de loi sur l'accélération du nucléaire en France doit être voté à l'Assemblée nationale ce mardi après-midi. A Cattenom, l'idée de deux réacteurs "nouvelle génération" (EPR) a fusé. Le président de la communauté de communes tempère.
La centrale nucléaire de Cattenom, frontalière du Luxembourg. © PHOTO: AFP
Ce mardi après-midi, dans la foulée des traditionnelles «questions au gouvernement», les députés français vont procéder au vote solennel du projet de loi sur l'accélération du nucléaire. Évidemment, la décision des parlementaires du palais Bourbon sera scrutée de près au Luxembourg en raison, principalement, de la proximité de la centrale nucléaire de Cattenom et de l'opposition quasi générale de la classe politique du pays à cette énergie.
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Ce projet de loi prévoit notamment la construction de six nouveaux réacteurs dits de «nouvelle génération» (EPR) d'ici 2035 en France. Il y a quelques semaines, Bernard Zenner, le maire de Cattenom, avait provoqué quelques tensions transfrontalières en déclarant qu'il souhaitait l'installation de deux nouvelles tranches dans la centrale de sa commune, en plus des quatre qui existent déjà (deux fonctionnent en ce moment et deux sont à l'arrêt).
Cattenom ne figure pas du tout dans la liste. Cette discussion est aujourd'hui prématurée.
Pour autant, voir deux unités supplémentaires sur le site mosellan est tout sauf officiel. Au printemps 2022, EDF, qui exploite les centrales nucléaires françaises, avait proposé au gouvernement trois sites, déjà en service, pour accueillir chacun deux EPR: d'abord à Penly en Seine-Maritime; puis à Gravelines dans le Nord; enfin, un choix serait à faire en le Bugey dans l'Ain et Tricastin dans la Drôme. Point de Cattenom, donc.
Tenir compte des échéances électorales au Luxembourg
Contacté par Virgule.lu, Michel Paquet, président de la communauté de Cattenom et environs (et maire de Zoufftgen), tempère les propos de son collègue élu Bernard Zenner. «Cattenom ne figure pas du tout dans la liste, confirme-t-il, et cette discussion est aujourd'hui prématurée. Je l'ai dit à Bernard Zenner et aux autres élus du territoire», affirme Michel Paquet.
Le président de l'intercommunalité frontalière du Grand-Duché voit deux raisons principales à cette discussion «prématurée». La première, «c'est que l'on connaît le positionnement de la majorité de nos amis et voisins luxembourgeois. On sait qu'ils sont en pleine campagne des communales (puis des législatives, NDLR) et je considère que ce n'est pas le bon moment pour évoquer ce sujet. Ensuite, on est à quelques mois d'une enquête publique pour la prolongation des quatre tranches actuelles de la centrale. Donc, avant d'avoir des EPR, il faut déjà que le débat public s'instaure sur la prolongation de ces réacteurs.»
Pour remplacer des unités actuelles?
Cependant, Michel Paquet ne ferme pas la porte à l'idée de voir des EPR à Cattenom à l'avenir, tout en précisant que «la question n'est pas d'avoir des EPR en plus quatre unités actuelles». Mais, si un jour celles-ci devaient s'arrêter, alors il ne serait pas incongru, selon l'élu, que des EPR prennent le relais. Pour justifier ce choix, Michel Paquet met en avant tout ce qu'induit, économiquement parlant, la présence de la centrale nucléaire sur le territoire de sa communauté de communes. «C'est important pour entretenir et financer les services à la population.». Il cite, pêle-mêle, les crèches, les gymnases, les loisirs ou encore les projets de mobilité vers le Luxembourg car, rappelle-t-il, «80% de la population active du territoire travaille au Grand-Duché.»
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Mais au Grand-Duché, justement, on connaît la forte opposition au nucléaire en général, et à Cattenom en particulier. Le ministre de l'Energie, Claude Turmes, en est le chef de file. Pas plus tard qu'à la fin du mois de février, lors d'une rencontre informelle des ministres de l'Energie et des Transports de l'Union européenne à Stockholm, il déclarait «qu'avec le nucléaire, il y a toujours un risque», illustrant son propos avec les exemples de Tchernobyl et Fukushima. «De plus, le nucléaire est lent. Si nous voulons gagner la course contre le changement climatique, nous devons être rapides. Une nouvelle installation nucléaire nécessite douze à quinze ans de travaux et coûte deux à trois fois plus cher que le solaire ou l'éolien offshore.»
Le son de cloche est évidemment le même à Greenpeace Luxembourg: Roger Spautz, chargé de campagne nucléaire, ne veut entendre parler ni d'EPR supplémentaires ni d'EPR pour remplacer les tranches actuelles de Cattenom. «La position de Greenpeace est claire», lance-t-il sans surprise. «Nous voulons une sortie du nucléaire pour différentes raisons: le risque, les déchets et ce n'est pas une solution pour sauver le climat. On devrait arrêter les réacteurs à l'âge de 40 ans car ils ont été conçus pour fonctionner cette durée et le niveau de sûreté n'est pas assuré au-delà.»
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L'actualité des dernières semaines - avec la détection d'une «fissure de fatigue thermique» sur une conduite réacteur n°3 de Cattenom, mais aussi une autre à Penly - donne du grain à moudre aux opposants au nucléaire. «D'un côté, il y a les fissures dues au phénomène de corrosion sous contrainte. (...) Et de l'autre, il y a désormais cette fissure due à la fatigue thermique détectée sur le réacteur n°3. Ça a un lien avec le vieillissement. De plus, une question se pose: cette fissure a été découverte par hasard, sur une partie de tuyau découpée et analysée dans le cadre du phénomène de corrosion sous contrainte. Donc, est-ce que les moyens de contrôle d'EDF sont au point ou non?», s'interroge Roger Spautz.
Il y a quand même un niveau de transparence qui doit rassurer tout le monde.
Cette question, Michel Paquet, président de la communauté de communes de Cattenom et environs, la balaie. «Premièrement, on peut dire ce que l'on veut, mais il y a quand même un niveau de transparence qui doit rassurer tout le monde. Dans un Etat ou un système qui chercherait à cacher des choses, on ne serait pas informé. Deuxièmement - et je le dis toujours avec le sourire - si les salariés de la centrale laissent leur famille vivre ici, je ne suis pas plus inquiet que cela», qui relativise les dimensions de cette fissure de fatigue thermique et parle de «maintenance préventive». Au passage, l'élu loue le travail «de l'Autorité de sûreté nucléaire, mais aussi des associations et toutes les personnes qui maintiennent la pression et qui obligent EDF à rester vigilant. C'est très bien ainsi et pour ma part, à titre personnel, et j'ai toute confiance dans les techniciens qui travaillent à Cattenom.»
Le débat est loin d'être clos en France
L'Autorité de sûreté nucléaire, justement, est un sujet de polémique dans le cadre de ce projet de loi français sur l'accélération du nucléaire. Le gouvernement d'Elisabeth Borne voulait imposer la dissolution de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), que l'on peut qualifier d'expert technique et qui est souvent loué - notamment au Luxembourg - pour son travail et objectivité, dans l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), gendarme de la filière. Ce plan du gouvernement a provoqué une levée de boucliers et, à la surprise générale, les députés ont rejeté ce projet la semaine dernière. Mais cette décision n'est pas définitive pour autant: une deuxième délibération pourrait avoir lieu...