Des juristes pour abolir les frontières en matière de santé
Alors que les frontières persistent en matière de santé, quatre experts planchent sur des solutions juridiques pour venir à bout des obstacles dans le domaine.
Dans le territoire frontalier englobé par le groupement européen de coopération territoriale Alzette-Belval, un réel déséquilibre de l'offre de soin perdure entre le Luxembourg et la France. © PHOTO: LUSA
Tout est parti d'une enquête. En plein cœur de l'été, les citoyens de huit communes françaises et de quatre communes luxembourgeoises ont été sondés sur leurs besoins en matière de santé. Au-delà de recueillir les idéaux de chacun, le formulaire visait surtout à rassembler les doléances, les obstacles du quotidien dans les parcours de soin.
Lire aussi :Une enquête pour comprendre les besoins des frontaliers
«Du 22 juillet au 1er octobre 2022, nous avons reçu une cinquantaine de réponses qui nous ont confirmé qu'il existait des disparités sur le territoire dans le domaine de la santé», explique Marine Yeral, chargée de mission au groupement européen de coopération territoriale (GECT) Alzette-Belval. La structure, qui s'étend sur une zone de 170 km² au nord de la Moselle, englobe également quatre communes luxembourgeoises, à savoir Esch-sur-Alzette, Sanem, Mondercange, et Schifflange.
Des problématiques variées que les membres du GECT ont classées en trois thématiques. «Premièrement, nous avons regroupé les doléances sur les services proposés, avec, par exemple, l'impossibilité d'avoir accès à une hospitalisation à domicile en France si l'on est soigné au Luxembourg.»
Quatre dossiers retenus
Les habitants ont par ailleurs souligné l'absence de cohérence dans la prise en charge hospitalière après un appel aux services de secours. Lors d'un accident survenu dans une commune frontalière, l'appel au 15 ou au 112 est automatiquement redirigé vers l'hôpital national le plus proche, et non vers l'hôpital géographiquement le plus proche. En fonction de la gravité de l'urgence, l'établissement de santé sollicité peut ensuite prendre contact avec l'hôpital géographiquement le plus proche, afin d'accélérer la prise en charge.
Lire aussi :En crise, les urgences de Thionville recrutent 12 soignants
À noter que depuis la signature de l'accord-cadre sur la santé lors de la Conférence intergouvernementale franco-luxembourgeoise de 2016, les véhicules de secours des deux pays sont autorisés à traverser la frontière. Cependant, la redirection de l'appel vers l'hôpital national aura engendré une perte de temps, et donc une perte de chance pour le patient.
«Les citoyens ont ensuite fait part de diverses problématiques liées à l'affiliation au système de sécurité social, comme des pertes d'affiliation à la retraite, ou des délais importants de remboursement», poursuit Marine Yeral. Le troisième thème n'est pas une surprise pour le territoire nord-mosellan, puisqu'il concerne la désertification médicale du côté français. «Un besoin crucial en spécialistes, comme des pédiatres, des radiologues ou des ophtalmologistes se fait ressentir.»
Lire aussi :«En santé, la Grande Région doit devenir exemplaire»
Ces problématiques redondantes n'ont pas été rassemblées en vain. En menant son enquête, le GECT avait une idée derrière la tête: déposer des dossiers auprès du projet b-solutions lancé par la Commission européenne. «Nous avons envoyé quatre dossiers qui ont été retenus, et qui vont désormais déboucher sur une réflexion menée par des experts indépendants, afin de trouver des solutions à nos problèmes», détaille la chargée de mission.
Et ces spécialistes du droit européen ont du pain sur la planche. Pendant que l'un se penchera sur l'organisation de l'hospitalisation à domicile et les soins de suite en transfrontalier, le second réfléchira à la mise en place d'un centre de soin transfrontalier. Le troisième planchera sur la géolocalisation des numéros d'urgence, et le quatrième tentera de trouver des solutions à l'affiliation des ayants droits en zone frontalière.
Les résultats sont attendus au cours du printemps.
«Chaque expert va consacrer neuf jours à la réflexion du sujet qui lui sera confié, sur une période totale de trois mois. Les résultats sont donc attendus au cours du printemps», s'enthousiasme Marine Yeral. Dans les documents qui seront remis par ces spécialistes au GECT, les problèmes concrets mis en exergue par les citoyens lors de l'enquête feront ainsi l'objet d'une exploitation directe.
Si l'on ne risque pas de voir des centres de soins transfrontaliers pousser comme des champignons d'ici la fin de l'année 2023, la chargée de mission insiste sur l'importance de cette période de réflexion. «On reste au début des projets, et il est primordial de fonder ces derniers sur une base solide afin de résoudre de potentiels obstacles en amont.»
«L'Europe se construit par le bas»
Parmi ces obstacles, se pose notamment la question du régime de remboursement à appliquer au sein de ces maisons de soins. Si un médecin luxembourgeois vient travailler dans un établissement français, doit-il appliquer les même tarifs qu'au Grand-Duché? Sous quel régime social doivent être placés les patients? Qui de la France ou du Luxembourg doit prendre en charge les soins de santé pratiqués au sein du centre? Autant de questions auxquelles un expert devra tenter de trouver des solutions.
Lire aussi :«Les médecins sont dégoûtés»
La création de tels lieux de soins prend tout son sens pour les citoyens des huit communes françaises du GETC. «Il existe un réel déséquilibre de l'offre de soin au sein même du territoire, en particulier dans le domaine de la médecine de proximité.» Logiquement non attirés par l'idée de parcourir une trentaine de kilomètres dans le but de consulter un généraliste, les habitants sont nombreux à se tourner vers le Luxembourg, malgré les délais et les taux de remboursement moins avantageux.
«Cet appel à candidatures souligne que l'Europe se construit par le bas. Il montre qu'il y a des actions locales qui font avancer les choses pour les habitants», résume la chargée de mission.