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Télétravail

«Il faut faire pression sur l'Union européenne»

Pour Marc Spautz (CSV), membre de la sous-commission télétravail, le noeud du problème n'est pas fiscal, mais social. Selon lui, le Luxembourg doit alerter l'UE sur ses spécificités et invite la France et l'Allemagne à monter au créneau.

Partisan à titre personnel des deux jours de télétravail, Marc Spautz espère que la situation va se décanter. Et vite!

Partisan à titre personnel des deux jours de télétravail, Marc Spautz espère que la situation va se décanter. Et vite! © PHOTO: Gerry Huberty

Journaliste

«On ne peut pas aller contre l'évolution.» Marc Spautz estime qu'il est temps de légiférer au niveau européen sur la question du télétravail dont la pratique à l'avenir est inéluctable. Très vite, il faut permettre à tous les salariés qui le souhaitent, de travailler depuis chez eux, deux jours par semaine. «Soit environ 90 jours par an.» Avant de revenir un jour au forfait illimité? Peut-être...

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Vous êtes membre de la sous-commission télétravail créée fin 2021 et présidée par Dan Kersch (LSAP). Concrètement, sur quel(s) point(s) les négociations avec les pays voisins bloquent-elles?

Marc Spautz: - «Ce n'est pas qu'une question fiscale comme je l'entends trop souvent. Il n'y a pas seulement les accords sur la double imposition. Il y a aussi le règlement n°883 (Ndlr: texte portant sur la coordination des sécurités sociales entré en vigueur le 1er mai 2010). Pour l'heure, si un frontalier passe plus de 25% de son temps en télétravail, il tombe sur la sécurité sociale du pays de résidence. Le changement doit s'opérer au niveau européen.

Tous les frontaliers ne sont pas logés à la même enseigne...

«Non, il y a une grande différence entre les dispositions prises avec l'Allemagne, la France et la Belgique. Pour nous, c'est un problème. Vu la disposition spécifique du Grand-Duché du Luxembourg, où 40% de la main- d'œuvre du secteur privé vient de la Grande Région, il est indispensable qu'il puisse trouver un arrangement avec ses pays voisins. On doit nous permettre de trouver des solutions car cette question ne se pose pas uniquement pour le télétravail, mais aussi pour le transport.

On a vu que pendant près de deux ans, il était possible de s'arranger, c'est maintenant à l'Union européenne de réglementer tout ça.

De quelle manière?

«Quand vous êtes chauffeur de poids lourds pour une compagnie luxembourgeoise, mais que votre territoire fait 90 km du nord au sud, vous êtes vite à l'étranger... Et cela tombe sous le même champ d'application que l'article 883 du règlement européen. Peut-être que certains pays ne sont pas intéressés, mais nous, nous souhaitons une ouverture. On peut imaginer qu'à partir du moment où 15% des emplois sont occupés par des frontaliers, on est en droit de trouver un arrangement bilatéral. Pour nous, il est important de trouver des accords avec la France, bien sûr, mais aussi avec l'Allemagne et la Belgique.

Dans l'idéal, que souhaiteriez-vous?

«Permettre à ceux qui le souhaitent de télétravailler deux jours par semaine. C'est déjà le cas pour les Luxembourgeois, mais pas pour leurs collègues français, belges et allemands. C'est un vrai problème pour les salariés concernés. On a vu que pendant près de deux ans, il était possible de s'arranger, c'est maintenant à l'Union européenne de réglementer tout ça.

Que pensez-vous de la pétition de Sabrina Litim ayant pour intitulé «2 jours de télétravail pour tous, y compris les frontaliers» et qui a recueilli à ce jour plus de 12.000 signatures?

«C'est normal qu'elle ait un tel succès!

Cette pétition est un signal que les membres des gouvernements doivent entendre

Vous l'avez signée?

«Sur un plan moral et comme en tant que député je ne peux pas être juge et partie, je n'ai pas signé cette pétition, mais si vous me posez la question, évidemment que je suis pour. Après, je suis étonné de son succès si rapide, mais cette pétition est un signal que les membres des gouvernements doivent entendre. C'est à eux de faire pression sur la Commission européenne.

Après deux ans de télétravail illimité, la pétitionnaire regrettait que l'aspect fiscal prenne finalement le pas sur l'écologie et le bien-être des salariés...

«Certains secteurs permettent de télétravailler, d'autres non. Pour les employés du commerce, de l'industrie ou de la santé, ce n'est pas possible. Et notre responsabilité sociale nous pousse à dire et répéter qu'on ne peut pas faire deux catégories de salariés. Certains auraient le droit de travailler deux jours par semaine depuis chez eux, tandis que d'autres seraient obligés de faire cinq fois par semaine le déplacement et être coincés dans les bouchons? C'est un point que l'on ne peut pas perdre de vue. Il faut trouver une compensation. On a quelques idées.

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Lesquelles?

«Au niveau de l'impôt, avec un défraiement peut-être plus important sur les frais kilométriques. Enfin, il y a des solutions à envisager. Aussi, il faut rappeler que le télétravail doit être un droit, pas une obligation. On s'aperçoit que certaines entreprises s'installent dans de nouveaux locaux où il y a un poste pour trois salariés. Et ce, parce qu'ils comptent sur un roulement de leurs employés, mais il faut que les salariés puissent avoir la garantie de retrouver leur poste de travail s'ils le souhaitent.

On ne peut pas constamment invoquer l'importance de la Grande Région, dire que les habitants de Thionville sont plus intéressés par ce qui se passe au Luxembourg qu'à Paris et d'un autre côté, rester dans cette situation

Dans certains cas, le télétravail pourrait permettre la mise à l'écart d'un(e) employé(e)...

«C'est ça... Autre chose, il faut également régler la question au droit à la déconnexion pour éviter qu'un patron puisse appeler son salarié à des heures inappropriées.

Revenons sur l'aspect technique du télétravail. Si l'on vous suit bien, le nœud du problème ne serait donc pas fiscal mais social...

«L'aspect fiscal repose sur un arrangement entre les pays respectifs. Pendant le covid, on a toujours trouvé un accord avec nos voisins. Or, là où le bât blesse, c'est la question de la sécurité sociale. On ne peut pas constamment invoquer l'importance de la Grande Région, dire que les habitants de Thionville sont plus intéressés par ce qui se passe au Luxembourg qu'à Paris et d'un autre côté, rester dans cette situation. Au niveau européen, on a trouvé un accord sur les salaires sociaux minimum, c'est aussi important de trouver un accord sur la sécurité sociale.

Le Luxembourg risque de perdre en attractivité

Le Luxembourg est clairement favorable au télétravail. Est-ce une manière de rester compétitif?

«Je suis d'avis que si vous additionnez la mise en place du salaire social minimum, le problème avec le télétravail, les heures passées en voiture ou dans le train pour venir au bureau, le Luxembourg risque de perdre en attractivité. C'est certain. Les gens vont finir par se dire la chose suivante: ''Je suis parti pendant douze heures de chez moi alors que j'en suis payé huit... Ce n'est plus aussi intéressant de venir travailler au Luxembourg''. Si cette tendance est moins marquée en France, elle existe déjà en Allemagne.

Mais je suis convaincu que lorsque des pays aussi forts que la France et l'Allemagne disent à la Commission européenne qu'ils sont pour une ouverture et des négociations bilatérales avec le Luxembourg, ça devrait être possible de faire quelque chose. Maintenant, le télétravail peut permettre à un pays d'être bénéficiaire et parfois non. Le Luxembourg a bien conscience que sans ses 200.000 frontaliers, son économie ne peut pas fonctionner. Et nous sommes prêts à faire des arrangements. Mais qu'en est-il de la France? Qu'en est-il des frontaliers espagnols?

In fine, ne se dirige-t-on pas vers un nombre de jours de télétravail illimité, mais qui puisse être fixé dans la convention collective de chaque entreprise?

«Oui, l'idéal est de trouver une solution politique qui offre une vraie flexibilité et qui permet aux partenaires sociaux de définir le nombre de jours de télétravail. Et ce avec un minimum acquis de deux jours. Donc, dans l'ordre: 1. La loi. 2. La convention collective. 3. L'accord d'entreprise.

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Il y a 20 ans, l'idée même de pouvoir travailler depuis chez soi serait apparue complètement farfelue. Il y a plus de deux ans, dès qu'on parlait de télétravail, le réflexe était d'évoquer l'impossibilité de ceci, l'impossibilité de cela... Et puis, le covid est arrivé et on s'est vite aperçu que c'était possible. Une chose est sûre, à l'avenir, et avec les moyens techniques qui s'offriront à nous, il faudra s'adapter. On ne peut pas aller contre l'évolution. Il faut juste s'adapter.

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