Le gaz de houille, richesse inexploitée du sous-sol lorrain
Sous les pieds des Mosellans, 190 milliards de mètres cubes de gaz dorment dans le charbon. La Française de l'énergie est en attente d'une autorisation pour en exploiter une infime partie, qui permettrait de fournir des milliers de foyers lorrains en énergie.
Branchés sur un ancien puits de mine, ces moteurs fabriquent de l'électricité grâce à un processus de cogénération qui fonctionne avec le gaz extrait. © PHOTO: FDE
Et si le gaz emprisonné dans le charbon mosellan permettait à la France de délaisser un peu plus le gaz russe? C'est en tout cas l'idée défendue par la Française de l'énergie (FDE). Cette entreprise lorraine ambitionne d'extraire, à terme, 1,5 milliard de mètres cubes de gaz de mine par an. Mais pour y arriver, il lui manque encore un aval important: celui de l'Etat français.
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Sollicité en 2018 dans le cadre d'une demande de concession déposée par la FDE, l'Etat n'a toujours pas rendu sa réponse sur le sujet. Pourtant, le projet est finalisé du côté de l'entreprise. «Toute une phase de recherches comprenant cinq forages-tests a été réalisée de 2009 à 2018, prouvant la faisabilité et l'intérêt économique du projet», explique Pascal Mittelberger, responsable des relations publiques de La Française de l'énergie.
Ce que cherche précisément à exploiter cette PME, c'est un gaz de couche. Non conventionnel, il est majoritairement composé de méthane, et se retrouve emprisonné dans les veines de charbon du sous-sol mosellan. «On veut capter ce gaz de houille dans les couches intactes ou vierges, qui n'ont pas été creusées. Car à l'arrêt de l'exploitation des mines de charbon en Moselle, l'eau est venue noyer les galeries qui ont été exploitées du temps des mineurs, on ne peut plus rien y faire», détaille le producteur de gaz.
Déjà active en Belgique
Et sur les mines, la FDE en connaît un rayon. L'entreprise est d'ailleurs uniquement présente sur d'anciens bassins miniers. Dans le Nord-Pas-de-Calais, la société capte le grisou, directement dans les galeries, via sa filiale Gazonor. «On se branche sur les ouvrages miniers existants où le gaz circule, libéré par le charbon», détaille Pascal Mittelberger. Une solution sans forage, donc, qui permet trois valorisations: gaz, électricité et chaleur.
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Un procédé que la PME mosellane a également développé en Belgique, à Anderlues, en périphérie de Charleroi, où elle exploite un ancien puits de mine depuis 2019. «La FDE a la volonté de développer cette activité, aussi bien du côté français que du côté wallon, pour accentuer ce captage qui participe à la mise en sécurité du bassin minier», fait valoir le responsable. En effet, en s'accumulant dans les sous-sols, le gaz, sous pression, peut causer des désagréments à la surface.
Revenons en Moselle, où la société ne pourra donc pas passer par les galeries. Elle propose alors d'effectuer des forages verticaux de 1.000 mètres de profondeur en moyenne, pour extraire ce gaz de couche. Arrivé à cette distance, le forage prendra une direction horizontale afin de déployer des drains. Pour faire remonter le gaz à la surface, une dépression serait alors créée par aspiration de l'eau.
Le périmètre d'exploitation délimité par l'entreprise couvre un territoire de 191 km². © PHOTO: Carte: FDE
«Ce projet se situe donc en périphérie du bassin houiller, sur le secteur de Faulquemont et de Saint-Avold, où les veines de charbon n'ont pas encore été exploitées», poursuit Pascal Mittelberger. Au total, un secteur de 191km², découpé en deux blocs, a été délimité par l'entreprise dans le cadre de sa demande de concession. Il couvre le territoire d'une quarantaine de communes de Moselle. Six d'entre elles sont complètement incluses, tandis que les 34 autres ne sont concernées que sur une partie de leur ban communal.
Des opposants fermes
Mais sur cette portion du département, le projet est loin de mettre tout le monde d'accord. Il suscite même de vives oppositions. «Lors de l'enquête publique qui a été menée, une trentaine de communes a émis un avis favorable ou réputé comme tel, tandis qu'une dizaine a rendu un avis défavorable ou des réserves quant au projet», explique le responsable des relations publiques de La Française de l'énergie.
Les citoyens ont également été invités à donner leur avis. «Et là, clairement, il y a eu des avis négatifs d'opposants au niveau local, qui ne souhaitent pas de ce projet sur le territoire», fait savoir Pascal Mittelberger, qui nuance immédiatement «le nombre de ces avis était équivalent à 1% de la population du territoire».
Une triple valorisation
Dans les bassins miniers de Lens et d'Anderlues, la Française de l'énergie a mis en place une triple valorisation du gaz de mine. Ce dernier est premièrement utilisé en tant que tel en étant réinjecté dans le réseau de gaz de ville. Par ailleurs, des moteurs sont installés en surface et permettre la fabrication d'électricité grâce à un processus de cogénération. Cette énergie est ensuite introduite dans le réseau électrique. «Un moteur, c'est l'équivalent de trois à quatre éoliennes, et cela permet de fournir environ 7.000 foyers en électricité», détaille Pascal Mittelberger. Enfin, la chaleur dégagée par ces moteurs est récupérée pour alimenter le réseau de chauffage urbain. Il s'agit de la troisième utilisation effective du gaz de mine, qui permet de chauffer environ 6.500 ménages à Béthune (Pas-de-Calais).
Les critiques soulevées par les opposants au projet portent notamment sur son aspect environnemental, et sur la pollution des nappes phréatiques que pourrait entraîner ce type de forage, mais également sur les capacités financières de l'entreprise. Toutes ces inquiétudes sont balayées d'un revers de la main par l'entreprise, qui met en avant son investissement financier en Moselle (50 millions d'euros depuis 15 ans), la surveillance qui entoure ses opérations, mais également un amalgame.
Le projet de la FDE est par ailleurs injustement associé au gaz de schiste. Le risque d'affaissement minier est donc également pointé du doigt. «Nous n'avons pas recours à la fraction hydraulique, elle est interdite en France, donc il n'y a aucun risque d'affaissement en surface. Quand on navigue à 1.000m de profondeur, la largeur du forage fait 15cm. Il est donc impossible de causer ce type de désordre géologique.»
Si la question d'indépendance énergétique refait surface depuis le début de la guerre en Ukraine, Pascal Mittelberger regrette que de tels événements ont été nécessaires pour remettre en lumière le projet de l'entreprise. «C'est un argument que l'on tient depuis des années. Bien sûr, ce projet n'a pas vocation à remplacer les importations, mais il va contribuer pour partie à l'indépendance énergétique de la France.»
Un intérêt au-delà des frontières
Sans compter que cette solution locale et en circuit court, permet également de faire baisser l'empreinte carbone de cette énergie fossile, qui comptait encore pour 15,8% du mix énergétique de la France en 2021. «Du gaz produit en Lorraine, c'est un gaz dont l'empreinte carbone est divisée par dix par rapport à celui qui est importé», souligne l'entreprise.
Sur cette concession mosellane, la société pourrait exploiter un volume de 2,1 milliards de mètres cubes de gaz, dans le cadre d'un plan de développement qui s'étale sur 20 ans. «Mais le bassin minier lorrain s'étend jusqu'à Pont-à-Mousson, et se situe autour de 190 milliards de mètres cubes, ce qui correspond à cinq ans de consommation à l'échelle de la France», indique Pascal Mittelberger. Une belle réserve, qui intéresse à l'échelle de la Grande Région. «L'entreprise est en discussion avec des industriels sarrois qui sont intéressés par l'exploitation de cette ressource directement sur le territoire.»