Le logement, enjeu pour le Luxembourg et pour le Nord lorrain
L'agence d'urbanisme et de développement durable Agape Lorraine Nord a publié une étude sur les limites que pourrait rencontrer le développement du Luxembourg au regard de l'aménagement du territoire.
Dans plusieurs communes des agglomérations de Longwy ou Villerupt, les élus ont la volonté de stopper le développement urbanistique car ils n'ont plus les capacités pour accueillir de nouvelles populations. © PHOTO: Gerry Huberty
La dernière étude transfrontalière en date d'Agape Lorraine Nord interpelle de par son titre : elle s'intéresse aux «angles morts» du développement luxembourgeois. Il ne s'agit là que du premier de trois épisodes, et il est principalement consacré à la démographie et à la question du logement.
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«Ce premier épisode est plutôt à destination des élus du Nord lorrain, pour montrer que le Luxembourg fait des prospectives, des projections, pour voir s'il a les capacités de les tenir, et pour dire que s'il n'y arrive pas, cela aura des retombées importantes pour le Nord lorrain, qui représente 50 % du flux des frontaliers vers le Luxembourg», explique Julien Schmitz ,directeur.
Que dit cette étude ?
Les 16 pages de l'étude livrent une foule de données chiffrées et de prévisions, en lien avec les travaux du Statec, pour dresser le bilan de l'aménagement du territoire au Luxembourg sur les 15 dernières années et évoquer les perspectives sur les deux prochaines décennies.
Nos investigations montrent qu’en l’état, les besoins en logements projetés ne répondraient que partiellement à l’accroissement de la main-d’œuvre.
On y parle notamment de la construction de logements au Grand-Duché, en deçà des objectifs initiaux, et des besoins futurs, encore plus élevés pour les années à venir au regard de l'évolution démographique du pays. Et donc des obstacles qui pourraient se dresser et des conséquences sur les territoires frontaliers, qui doivent absorber une partie de cette population recrutée pour poursuivre le développement économique du Luxembourg.
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«Nos investigations montrent qu’en l’état, les besoins en logements projetés ne répondraient que partiellement à l’accroissement de la main-d’œuvre, qui pourrait compter 60% de frontaliers sur les 20 prochaines années. Dès lors, une partie de l’avenir du Nord lorrain se joue au Luxembourg. Alors qu’il compterait environ 70.000 frontaliers supplémentaires d’ici 20 ans, ce flux pourrait être majoré en cas de ralentissement de la construction au Luxembourg», conclut notamment l'Agape Lorraine Nord.
Qu'est-ce que l'Agape Lorraine Nord ?
Agape Lorraine Nord fait partie de la cinquantaine d'agences d'urbanisme qui quadrillent le territoire français, et qui servent aux collectivités locales. «Nous avons trois types de missions : l'observation du territoire, l'accompagnement des collectivités sur les documents planification et enfin l'appui aux stratégies d'aménagement territorial», résume Julien Schmitz, directeur.
L'Agape est présente en Meurthe-et-Moselle nord (bassin de Longwy) et dans le Nord mosellan (secteur d'Audun-le-Tiche et des Trois frontières), avec une particularité par rapport aux autres agences françaises : «Nous sommes une des seules voire la seule dont l'aire métropolitaine d'étude est en dehors du territoire français, à savoir le Luxembourg», indique Julien Schmitz.
Des communes frontalières déjà saturées
Au-delà de cette étude, Julien Schmitz rappelle que la situation actuelle doit déjà nourrir la réflexion. «On a l'impression que dans plusieurs communes des agglomérations de Longwy ou Villerupt, les élus ont la volonté de stopper le développement urbanistique car ils n'ont plus les capacités pour accueillir de nouvelles populations.» Pourtant, la demande est forte, et elle est même accentuée par le flux de résidents luxembourgeois qui souhaitent s'installer côté français car l'immobilier y est moins cher (faisant, par là, monter les prix en France...).
© PHOTO: Gerry Huberty
Autre exemple de ce phénomène de saturation et de cet effet boule de neige : dans le secteur d'Audun-le-Roman et Piennes, que Julien Schmitz définit comme «la deuxième couronne» car plus éloigné du Luxembourg, la consommation foncière des deux dernières années équivaut à celle de la décennie 2010-2019.
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Quelles suites ?
A la suite de ce premier épisode sur les «angles morts du développement du Luxembourg», le deuxième tome devrait être publié d'ici la fin de l'année 2022. S'il vise d'abord à informer les élus du Nord lorrain, il pourrait aussi intéresser ceux du Luxembourg car il montrera notamment que du côté français, «des lois sont tombées et vont fortement impacter et orienter les documents de planification. Par exemple le »zéro artificialisation nette« qui va signifier pour le Nord lorrain un changement total de modèle de développement et d'aménagement du territoire, car la consommation foncière va être conditionnée à la désartificialisation de friches et d'espaces publics. » Autrement dit, si le Luxembourg compte sur la France pour accueillir une partie de ses travailleurs, il doit être au courant de cette nouvelle donne et contrainte.
S'il n'y a pas d'approche métropolitaine, chacun va faire sa stratégie dans son coin et personne ne va en sortir gagnant.
Le troisième épisode, lui, essayera d'apporter des solutions pour les élus du Nord lorrain. Le travail de l'Agape est loin d'être terminé sur le sujet. Julien Schmitz avance une piste «pour se coordonner avec la stratégie du Luxembourg : nous sommes convaincus qu'il faut diversifier l'offre de logements pour encaisser le coup. (...) Il faut sortir du modèle pavillonaire pour offrir des choses qui répondent à des besoins qui ont complètement changé.»
L'intérêt commun des territoires
Le but de tous ces constats, travaux et projections n'est pas de critiquer le Luxembourg, assure Julien Schmitz. «On est parfois vu comme une agence qui tape sur le Luxembourg, mais nous n'avons aucun intérêt à le faire. Nous voulons seulement montrer aux élus Nord lorrains, qui sont notre cible, qu'ils doivent travailler avec le Luxembourg dans une logique de relation gagnant-gagnant. Ce qui nous inquiète au regard de ce travail sur les angles morts, c'est que personne n'a à gagner de cette situation-là. La Lorraine Nord a tout intérêt à ce que le Luxembourg aille bien, et inversement. Cette interdépendance est présente dans tous les domaines. S'il n'y a pas d'approche métropolitaine, si on ne réfléchit pas au Grand Luxembourg, chacun va faire sa stratégie dans son coin et personne ne va en sortir gagnant. »
Les missions d'Agape Lorraine Nord
Plusieurs études sont publiées tous les ans. Le but est «d'éclairer les élus du Nord lorrain, car ils manquent de visibilité sur ce qui se passe du côté luxembourgeois. Ils ont aussi, parfois, du mal à comprendre les dynamiques et la stratégie du Luxembourg.»
Ces études « alimentent aussi nos documents de planification que nous produisons pour les collectivités», précise le directeur. Par exemple des plans locaux d'urbanisme. Forcément, les données venant du Grand-Duché ont une importance capitale, car ce dernier influe fortement sur la vie de ces territoires frontaliers.