Le troisième tour social se prépare à Metz
Qu'ils militent pour des associations, des collectifs féministes ou des partis politiques, les déçus du résultat de l'élection présidentielle sont légion. A Metz, plusieurs comptent sur la naissance d'une forte mobilisation pour faire entendre leurs voix.
Dès l'entre-deux-tours, les militants se sont rassemblés pour manifester leur mécontentement face au choix qui s'imposait entre Le Pen et Macron, comme ici à Paris. © PHOTO: AFP
L'amertume ne s'est pas fait attendre. Dès le lendemain du premier tour, en réalité, les militants de gauche savaient qu'il leur faudrait à nouveau descendre dans la rue. A Metz, leur premier rendez-vous a été fixé le samedi 16 avril, au pied de la colonne Merten. Entre les deux tours de l'élection présidentielle, ils se sont rassemblés pour protester contre l'issue du premier tour, avec un slogan, «ni Le Pen, ni Macron».
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«En réalité, on savait que le résultat était déjà plié, quoi qu'il en soit. Une forme de colère, de rage et de grosse déception a fait surface. On est acculées, en tant que féministe, c'était important pour nous d'être là, et de contrer, autant le fascisme que l'ultralibéralisme. Tout de suite, on s'est dit que le troisième tour sera social, et il sera dans la rue, car Macron ou Le Pen, ce sera non», explique Servane, du collectif féministe messin La Grenade. Derrière cette envie d'exprimer son mécontentement face au résultat des urnes, se cache aussi une volonté de s'organiser collectivement, de se mobiliser ensemble pour voir les choses changer.
Par rapport à 2017, un sentiment d'appréhension a tout de même ébranlé plus d'un militant. Si les chances de voir arriver Marine Le Pen en tête du second tour il y a cinq ans étaient maigres, elles se sont relativement renforcées au cours du quinquennat Macron, en témoigne le score de la candidate d'extrême droite qui bondit de sept points. «Face à l'éventualité de voir Le Pen arriver en tête, on avait envisagé un rassemblement spontané le soir du second tour à Metz. On a eu raison, car c'était quand même plus serré», indique Guillaume, militant communiste révolutionnaire au Nouveau Parti anticapitaliste (NPA), qui soutenait la candidature de Philippe Poutou au premier tour.
L'union des luttes fera la force
Le soulagement de ne pas voir la candidate du Rassemblement national prendre le pouvoir a donc été rapidement douché par la réalité que représente cette réélection du président sortant pour ces militants de gauche: celle de cinq années de lutte supplémentaires. «On s'est retrouvé entre un Macron qui nous a empoisonné la vie pendant cinq ans, qui a été violent, méprisant, et une Le Pen qui a le sourire carnassier», résume Isabelle, militante au sein de l'association Attac. En son nom et en celui de la structure qu'elle soutient, elle appelle à un troisième tour dans les urnes, à travers les législatives et la candidature de Jean-Luc Mélenchon pour le poste de Premier ministre.
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D'autres se préparent déjà à manifester. Pour Révolution Permanente, mouvement d'extrême gauche autrefois affilié au NPA, l'union des luttes fera la force. «Il y a la question de préparer une riposte d'ordre général sur le quinquennat Macron, et la question de batailler contre les consciences du bloc réactionnaire, formé par Le Pen et Zemmour. Et pour ça, notre stratégie est de fonder un bloc de résistance sur des bases féministes, écologiques, révolutionnaires, et anticapitalistes», détaille Julie, militante au sein de ce mouvement communiste et révolutionnaire depuis 3 ans.
Rendez-vous ce dimanche
Premier rendez-vous à l'agenda de ces activistes messins: le dimanche 1er mai, à l'occasion de la traditionnelle fête internationale des travailleurs.
Au-delà de la symbolique de ce rendez-vous, dont le point de rencontre est fixé à 10h30 à l'hôpital Legouest à Metz, cette manifestation est également perçue par certains militants comme l'occasion de construire les premières fondations d'un mouvement social. «Je ne pense pas forcément que tout va démarrer sur les chapeaux de roue, car cela reste une date très symbolique. Mais cela permettra de faire passer des messages en douceur, de rencontrer des gens, de palper l'envie de faire des autres militants, d'avoir de premiers échanges» espère Servane, du collectif féministe La Grenade.
Il faut leur montrer que la lutte continue!
Un espoir partagé par Guillaume, du NPA, qui voit cette manifestation comme l'occasion de faire grossir les rangs des manifestants. «Notre volonté, c'est de montrer qu'il y a des gens qui se réunissent, et que ça puisse attirer d'autres personnes désarmées, désœuvrées, déprimées, qui pensaient que tout se jouerait dans l'urne. Il faut leur montrer que la lutte continue!»
Isabelle, d'Attac, voit également la Fête du travail comme étant l'occasion de commencer une nouvelle page de l'histoire des luttes. «Ça ne peut pas s'arrêter là, il va se passer quelque chose et j'espère que ça va bouger. Ce qu'il faut, c'est que ce soit dans l'union», estime la retraitée qui apporte une attention particulière à la cause écologique.
Une forme d'ébullition
Au-delà des électeurs de gauche déçus, ces militants espèrent également remobiliser une autre frange de la population: les abstentionnistes. Ces derniers sont d'ailleurs largement investis dans les mouvements sociaux, aux dires de Julie, de Révolution permanente. «Dans le monde du travail, le premier parti ouvrier, c'est l'abstentionnisme. L'ensemble des ouvriers que j'ai rencontrés sur des grèves sont des abstentionnistes», fait savoir la militante, qui voit ce troisième tour comme l'occasion de faire entendre la voix qu'ils n'ont pas déposée dans l'urne.
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Rage, déception, ras-le-bol, les sentiments sont multiples, mais ils sont surtout présents. Et pour transformer cette colère en action, et faire grossir les rangs de ces diverses organisations, il ne manque pas grand-chose, estiment les militants. «On est persuadé qu'il y a une forme d'ébullition, qu'il y a la vapeur, que ça chauffe en bas, et qu'il y en a suffisamment pour sauter le piston, et il faut la concentrer. Les grèves perlées à la SNCF, les mobilisations dans l’éducation… Si on était capable de tous se coordonner et de se mettre en mouvement à l'occasion d'une grève générale, on serait capable d’arracher les grandes victoires, et de ne pas céder, comme en mai 1968», argumente Guillaume.
Macron a précarisé plus que jamais la société.
Les mouvements sociaux n'ont en effet pas manqué lors du premier quinquennat Macron. Des gilets jaunes à la mobilisation contre la réforme des retraites en passant par la grève des cheminots, les Français ont été nombreux à s'opposer à la politique du président, qui risque donc de ne pas être épargné lors des cinq années à venir. «Les gilets jaunes ont montré qu'en réalité, lorsque notre camp social se mobilise, il peut faire trembler le pouvoir, lui faire peur, et obtenir des miettes. C'était quelque part les premiers signes d'un genou à terre du gouvernement», analyse Guillaume du NPA
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«On est contraints, humainement parlant, de freiner cette politique des quatre fers. On se doit de lutter, car on est dos au mur», estime Servane. La militante féministe ne manque pas de reproches à l'encontre du candidat fraîchement réélu. «Il a précarisé plus que jamais la société, les gens déjà précaires, qui sont très souvent des femmes, et les minorités de genre, alors que les riches se sont enrichis pendant la crise. Il entend repousser l'âge de la retraite, car soi-disant nous vivons plus longtemps. Mais qui vit plus longtemps? Ce sont les riches, les études le prouvent!»
«On est debout, pas à genoux»
La seule inconnue autour de ce troisième tour social reste donc sa temporalité. Si les marqueurs de révolte sont là, impossible de prédire quand les cortèges s'élanceront dans les rues. «Les mobilisations n'arrivent pas quand on le décide, et la question c’est comment «on se tient prêt», pas comment on arrive à l'impulser. La colère est là, et le prochain mouvement ne manquera pas d'exploser», affirme Julie, de Révolution Permanente, qui souligne que ce travail de terrain s'effectue avant tout au quotidien, à travers des discussions.
En attendant, Isabelle, elle, est fidèle au rendez-vous de la rue, tous les premiers samedis du mois. Avec le Collectif pour les biens communs et la planète, qui milite pour un accès sans condition aux besoins essentiels, elle se rassemble tous les mois au pied de la colonne Merten. «On ne lâche rien. A chaque fois que je vois mes petits-enfants, je me dis qu'on n'a pas le choix, on ne peut pas se résigner. L'important, c'est d'être dans la rue, et de montrer à ceux qui n'y sont pas qu'on est debout, pas à genoux.»