Franck Leroy: «Les infrastructures ne se créent pas en claquant des doigts»
Franck Leroy occupe la fonction de président du Grand Est depuis mi-janvier. Il revient pour Virgule.lu sur la galère quotidienne des usagers du TER Nancy-Luxembourg et nous livre ses priorités pour son nouveau mandat.
Franck Leroy a été élu président de la région Grand Est le 13 janvier 2023. © PHOTO: AFP
Les passagers du TER Nancy-Luxembourg viennent de vivre une semaine d'enfer avec les grèves et les accidents. Cela s'ajoute à des problèmes de retard quotidien. Comprenez-vous leur ras-le-bol ?
Je le comprends bien sûr. L'axe Nancy-Metz-Luxembourg est la deuxième ligne la plus fréquentée de France. Environ 110.000 transfrontaliers empruntent cette ligne au quotidien pour aller travailler.
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Nous achetons des trains à double niveau pour accueillir deux fois plus de passagers. Notre but est de passer de 9.000 places assises lors des heures de pointe à près de 13.000 places à l'horizon 2022-2025. Et nous souhaitons atteindre 22.000 places assises pour 2028-2030. J'entends parfaitement que ça puisse paraître interminable pour les personnes qui font l'aller-retour tous les jours. Mais on ne crée pas des infrastructures en claquant des doigts.
Notre objectif est à terme en 2030 de garantir aux heures de pointe un train toutes les sept minutes.
Cela nécessite évidemment des investissements extrêmement importants. Ces questions vont notamment en partie trouver une réponse dans le cadre du contrat de plan Etat-région dont nous attendons les lettres de mandat que la Première ministre adressera à ses préfets.
Pour quand est prévu le doublement des rames?
Nous sommes en train d'adapter les rames achetées aux conditions de sécurité édictées à l'échelle européenne. Il y a donc un temps de transformation de ces rames. Mais cela nous permettra d'avoir, dans les deux à trois ans qui viennent, un niveau de service bien supérieur avec des rames à deux niveaux.
Le temps ferroviaire est toujours un temps long et il faut l'expliquer.
Nous pourrons ainsi embarquer à chaque trajet plus de passagers. Il s'agit vraiment d'une priorité pour nous. Le réseau RER dans les grandes métropoles annoncé par le président de la République concerne directement l'axe lorrain. Notre objectif est à terme, en 2030, de garantir aux heures de pointe un train toutes les sept minutes.
Quand les passagers du TER verront-ils leur quotidien changer?
Pas avant trois ans, mais cela se fera de manière progressive. Il a fallu trouver ces trains qui sont aujourd'hui en cours de transformation. L'exploitant, la SNCF, doit aussi former de nouveaux conducteurs. Le temps ferroviaire est toujours un temps long et il faut l'expliquer, ce sera mon rôle auprès des usagers.
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Je comprends qu'en tant qu'usager, on pense à la semaine suivante et au mois d'après. On demande de raisonner malheureusement en années. Construire des trains et changer d'infrastructure nécessitent des démarches extrêmement importantes et longues. Et cela, d'autant plus sur une ligne de fret importante qui ne peut pas être interrompue longtemps pour réaliser des travaux.
Les usagers dénoncent actuellement des conditions déplorables et ont le sentiment de voyager comme du bétail en étant entassés dans les trains. Vous l'entendez, ce désarroi?
Bien sûr! Mais il y a eu du retard pris il y a quelques années pour adapter des trains aux normes européennes, car cela n'avait pas été fait du temps de la région Lorraine. La région Grand Est a dû faire face à cette carence. Les travaux ont dû être programmés. Nous devons trouver les financements. Il faut qu'on soit ambitieux au niveau de l'Etat dans le financement des infrastructures parce que normalement, le coût des infrastructures n'est pas à la charge des régions. Nous devons assurer l'exploitation avec la SNCF. Mais l'adaptation du réseau, c'est une compétence nationale en France.
Je prendrai le TER prochainement aux heures de pointe.
Je rappelle que nous devons atteindre la neutralité carbone en 2050. Cet objectif ne peut être atteint s'il n'y a pas un effort extrêmement important qui se chiffrera en dizaines de milliards d'ici 2050. La SNCF attend aujourd'hui le signal de l'État pour réaliser ces infrastructures.
Avez-vous déjà emprunté le TER Nancy-Luxembourg aux heures de pointe?
Je suis président de la région depuis le 13 janvier, je n’ai pas encore eu le temps de le faire. Mais je le ferai prochainement. L'une de mes caractéristiques, c'est d'aller précisément me rendre compte de la réalité sur le terrain. Prendre connaissance de sujets à travers des dossiers est nécessaire, mais aller au contact des usagers, vivre leur expérience du quotidien est également important.
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Quelle est votre position concernant l'A31bis, qui suscite une certaine opposition?
Quoi qu'on fasse pour moderniser l'infrastructure ferroviaire, on arrivera au maximum à capter aux alentours de 23 % du nombre de travailleurs transfrontaliers. La plupart d'entre eux, à l'horizon 2035, seront encore sur la route. Je suis en désaccord total avec ceux qui pensent qu'il suffit de moderniser l'offre ferroviaire.
La voiture est un moyen de transport indispensable pour un certain nombre de personnes et l'autoroute actuelle est saturée. Imaginer une solution alternative à travers l'A31bis est à mon sens une solution indispensable si on veut avoir l'ambition de régler le problème de cet axe. L'A31 seule n'y parviendra pas.
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Quelles sont vos priorités à l'entame de votre nouveau mandat?
Assurer que notre système de transport soit performant et permettre la relocalisation d'un certain nombre d'entreprises sur notre territoire. La crise covid que nous avons connue, avec le bouleversement des chaînes logistiques, a mis à l'arrêt certains secteurs industriels extrêmement importants.
Les décideurs européens ont pris conscience à ce moment que nous ne pouvons plus être aussi dépendants qu'actuellement au niveau des médicaments ou par rapport à certaines pièces industrielles essentielles au secteur automobile. Il nous faut aujourd'hui davantage de souveraineté en relocalisant des entreprises.
Franck Leroy, président du Grand Est. © PHOTO: DR
La première demande du monde économique aujourd'hui, concerne le recrutement du personnel. Cela peut passer par la formation professionnelle et l'apprentissage. Une entreprise ne viendra sur un territoire que si elle a la garantie de trouver un personnel qualifié et motivé pour prendre ces emplois.
L'autre volet: transformer notre mode de vie et de développement pour faire face aux enjeux liés au changement climatique et à la disparition de la biodiversité. Il faut prendre ces questions à bras-le-corps aujourd'hui parce que c'est une exigence absolue si nous voulons laisser à nos enfants et petits-enfants un monde dans un État viable.
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La Grande Région est un espace économique où nous devons travailler ensemble pour améliorer notre performance. Nous sommes tous confrontés à la nécessité de décarboner le transport. Ça veut dire de la formation ou de la reconversion professionnelle pour bon nombre de salariés. Mais c'est aussi à cette condition-là qu'on arrivera à la neutralité carbone en 2050. Nous ne pouvons pas considérer cet objectif à la légère.
L'aménagement du territoire fait partie des compétences de la région. Comment la Lorraine pourra-t-elle accueillir les nouveaux habitants qui viennent s'y installer parce qu'ils travaillent au Luxembourg, mais n'ont pas les moyens d'y vivre?
C'est un travail qui doit être fait avec ce qu'on appelle le bloc communal, c'est-à-dire les communes et les intercommunalités du secteur transfrontalier. Il faut construire très certainement plus de logements. Mais nous devons en même temps maîtriser l'urbanisme pour ne pas artificialiser l'ensemble des sols et préserver un équilibre entre la nature et la ville. Ces sujets sont étudiés avec les schémas de cohérence territoriaux locaux.
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Notre responsabilité est de recréer des espaces urbains suffisamment qualitatifs pour que les gens envisagent de venir y vivre. Et puis, en même temps, avoir une offre de logement suffisamment importante pour accueillir tous ces télétravailleurs dans les années à venir. Mais nous ne pourrons pas accueillir tout le monde.
Que comptez-vous faire pour résoudre la question du manque de soignants en Lorraine qui, après leurs études, préfèrent partir vers le Luxembourg?
Il y a déjà d'une part une désaffection pour certains métiers de la santé à l'échelle nationale. Depuis le covid, des soignants ont aussi quitté leur métier après les épreuves qu'ils ont traversées et on peut le comprendre.
D'autre part, il y a la question particulière de la proximité du Luxembourg, qui offre évidemment des perspectives salariales bien plus importantes que ce que peuvent offrir les établissements français. Je trouve que le ministre de la Santé François Braun connaît bien le sujet. Il exerçait à l'hôpital de Thionville.
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Il y a des accords qui ont été trouvés entre les autorités luxembourgeoises et françaises. Des contrats d'allocation d'études existent pour des étudiants dans certaines carrières de santé. Ces bourses leur permettent de rester dans leur région sitôt leur formation acquise au lieu de céder aux sirènes luxembourgeoises. Il faut travailler là aussi dans un esprit constructif avec les acteurs concernés.
En tant que région, nous développons les maisons de santé et encourageons les jeunes à s'installer dans le milieu rural où il manque des médecins. Mais nous ne pouvons pas agir sur l'écart salarial qui existe entre un infirmier français et luxembourgeois. Ce sujet concerne l'Etat, mais pour autant on le signale et je suis persuadé que François Braun travaille sur ce sujet avec son homologue luxembourgeois.
Le maire de Mont-Saint-Martin, Serge Carli, plaide pour une rétrocession fiscale du Luxembourg versées aux communes françaises où résident les frontaliers. Partagez-vous ce point de vue?
Cette option n'est pas partagée par la plupart des acteurs et décideurs français. Des villes comme Metz ou Thionville n'y sont pas favorables et c'est le cas de la région. Nous sommes plutôt orientés vers des projets de codéveloppement avec le Luxembourg.
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Le Grand-Duché participe au financement d'infrastructures pour les transports côté français. On peut parfaitement l'imaginer sur des opérations d'urbanisme et la formation d'acteurs de la santé ou de personnel qualifié. Ces collaborations sont gagnantes-gagnantes entre la France et les acteurs luxembourgeois. Je pense que nous sommes plus pragmatiques en agissant ainsi.
Quel lien souhaitez-vous développer avec le Luxembourg?
C'est difficile de prétendre apporter une touche personnelle. La relation qui existe aujourd'hui est constructive. Il y a beaucoup de respect mutuel et la volonté de permettre le développement le plus harmonieux possible de nos territoires.
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Si j'ai la possibilité, sans être présomptueux, d'apporter un plus, je le ferai évidemment parce que c'est un axe stratégique compte tenu de l'importance du sillon lorrain, du phénomène transfrontalier et de l'importance pour nous d'avoir un pays comme le Luxembourg qui connaît un tel développement.
Êtes-vous favorable à la sortie de l'Alsace du Grand Est?
Pas du tout! La région a été construite en 2016, elle a pu susciter des doutes et des interrogations. Je crois pouvoir dire que le Grand Est a depuis pu faire largement ses preuves. Les appréciations peuvent être différentes en Alsace, mais ce n'est pas l'avis de tous les Alsaciens. Parmi leurs élus, très peu mettent en avant cette question quand je discute avec eux. Je souhaite que l'on trouve un terrain d'entente pour qu'on éclaircisse très vite cette situation.
En tant que Champenois, avez-vous un trait de caractère particulier?
La ténacité et la capacité de rassembler. Certains élus vivent parfois dans le conflit permanent. Je pense qu'il y a de bonnes idées un peu partout et que si on arrive à rassembler et à faire travailler ensemble les acteurs les plus motivés d'un territoire, quelle que soit la sensibilité politique, on avance plus vite et on va plus loin encore.