«Mon métier, c'est devenu l'usine»
Face à la situation exceptionnelle des urgences de l'hôpital de Thionville (Moselle), les arrêts maladie des infirmiers et aide-soignants s'accumulent. Témoignages de ces professionnels qui réclament de pouvoir «travailler correctement».
Le plan blanc a été déclenché samedi dernier au CHR de Metz-Thionville. © PHOTO: AFP
(ASdN avec AFP) - Le CHR de Metz-Thionville est au plus mal. Une situation qui n'épargne pas les soignants de l'hôpital mosellan. En témoignent le nombre d'arrêts maladie: 55 des 59 infirmiers et aide-soignants ont temporairement cessé leur activité. Soit 93% des effectifs. A l'image d'Hélène*. Jeune infirmière dans la vingtaine, elle n'aurait «jamais pensé être en arrêt pour épuisement physique et psychologique» après seulement quelques années d'exercice.
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Mais à l'hôpital, la situation «s'est vraiment compliquée ces derniers mois», explique-t-elle. «Avec le nombre de patients qui arrivaient, qui stagnaient, en attente, on ne s'en sortait plus.»
La jeune femme se dit marquée par le décalage entre «les conditions de travail» et «ce qu'on nous a inculqué en formation». A savoir, les principes de bienveillance, de respect et de dignité. «On ne peut plus les appliquer auprès des patients. L'image que je me faisais de mon métier a complètement changé», regrette-t-elle.
Une situation qui pousse Hélène à remettre en question sa carrière professionnelle, malgré sa «vocation» à devenir infirmière. Cette profession, elle l'avait choisie «depuis la classe de 3e, au collège». Mais force est de constater que la réalité est bien différente de ce qu'elle avait imaginé. «Mon métier, c'est devenu l'usine», assure-t-elle avant d'ajouter que si les conditions ne changent pas, elle partirait.
«On fait du mieux qu'on peut»
Mise en arrêt pour une semaine, elle reprendra le travail dans quelques jours. «C'est ambivalent, à la fois je tiens vraiment à reprendre, et en même temps j'appréhende beaucoup», précise la jeune femme.
«On ne se met pas en arrêt de gaieté de coeur», atteste quant à elle Elisabeth*, aide-soignante depuis 12 ans. Malgré sa fatigue, elle ressent de la culpabilité à s'être arrêtée de travailler quelques jours. «J'ai le service public chevillé au corps, ce n'est pas dans mon ADN de m'arrêter».
Comme d'autres, elle explique que ce sont les conditions de travail de son service qui l'ont amenée à cette extrémité. «On a un nombre effarant de patients, des personnes âgées dépendantes, qui ont besoin de nous», explique-t-elle, faisant état d'une «forte charge mentale».
Malgré les difficultés, il lui est inimaginable d'abandonner ces patients. «On a une conscience professionnelle», s'exclame-t-elle. «On assure les soins minimum d'hygiène, même si ce n'est pas toujours dans les conditions nécessaires de pudeur», précise-t-elle avant d'ajouter: «On fait du mieux qu'on peut.»
Elle aimerait que les difficultés des soignants soient davantage prises en compte, et appelle à la solidarité. «Si je suis en arrêt, c'est aussi pour nos patients. Demain, ça peut être votre père, votre grand-mère, votre frère qui sera admis aux urgences, à Thionville mais aussi ailleurs en France, dans des services submergés. Alors nous devons sonner l'alarme».
«Il y a des brancards partout»
Salim Menasria, lui, est aide-soignant à l'hôpital Mercy de Metz, un autre établissement du CHR de Metz-Thionville. Il se dit «inquiet» devant la situation des urgences de Thionville, estimant qu'elle pourrait faire «boule de neige».
«L'hôpital de Mercy est en train de supporter la fermeture des urgences de Bel Air (l'hôpital de Thionville, ndlr), on a eu des transferts de brancards», rapporte-t-il. «On devait déjà faire face à la grève des médecins généralistes qui se poursuit, donc c'est très tendu, on a peur que des agents craquent. Il y a des brancards partout», détaille-t-il. Mais pour cet aide-soignant, les urgences ne sont «que la partie émergée de l'iceberg».
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En fin de semaine dernière, le plan blanc a été déclenché. Une décision prise pour faire face aux arrêts maladie, mais aussi permettre aux services de rappeler les professionnels en congés. «Ces arrêts maladie sont justifiés, certains soignants pourraient ne pas revenir tout de suite» expose celui qui est aussi secrétaire général du syndicat FO au CHR. Et ce dernier ne cache pas ses craintes «que la situation se prolonge», d'autant plus que «le personnel de l'hôpital de Mercy est lui aussi fatigué», rappelle-t-il.
La direction du centre hospitalier a annoncé mardi vouloir recruter 12 soignants pour renforcer les urgences et améliorer les prises en charge. «Je ne pense pas que ce soit suffisant par rapport au flux de patients que nous observons», souligne-t-il néanmoins. «D'autant que les services d'hospitalisation manquent eux aussi de personnel.»
*les prénoms ont été modifiés