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Santé

Se soigner au Luxembourg sera bientôt plus facile pour les Belges

Les habitants de la province de Luxembourg pourront bientôt se faire soigner au Grand-Duché sans obstacles financiers et administratifs. Une petite révolution en matière de santé dans la Grande Région.

Les déboires administratifs entre la Belgique et le Luxembourg devraient être bientôt de l'histoire ancienne.

Les déboires administratifs entre la Belgique et le Luxembourg devraient être bientôt de l'histoire ancienne. © PHOTO: Pierre Matgé/Luxemburger Wort

Journaliste

Nous l'appellerons Amélie. Cette petite Belge originaire de la province de Luxembourg a dû être hospitalisée à Liège, en Belgique, en 2021. Du côté du service de pédiatrie diabétique de l'hôpital liégeois, qui manque de places urgentes, on fait signifier aux parents qu'ils feraient mieux de transférer leur fille dans un service équivalent à l'hôpital d'Esch-sur-Alzette. Les parents s'exécutent, l'hôpital luxembourgeois étant d'ailleurs plus proche de leur domicile. Amélie y est donc soignée de juin jusqu'au mois d'août 2021.

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Seulement voilà, a posteriori, la mutualité à laquelle est affiliée la famille a indiqué qu'un formulaire dit «S2», nécessaire pour la prise en charge par l'assurance maladie belge, ne pouvait pas être émis. La raison? Un service similaire existe en Belgique. En d'autres termes, la mutualité estimait qu'Amélie aurait pu être soignée en Belgique et ce, malgré le manque de places. Si une initiative a été prise par la mutualité de la famille auprès de l'Aviq (administration wallonne responsable notamment des questions de Santé, NDLR) et que cette dernière a pris en charge une partie des frais médicaux, la famille reste redevable à l'hôpital luxembourgeois d'un montant de plus de 6.000€.

Une facture de 10.000€ à régler

Il y a aussi le cas de cette dame âgée, hospitalisée à Arlon pour une fracture de la hanche. À sa sortie, cette dernière doit suivre plusieurs séances de rééducation. Problème: aucune structure ne peut l'accueillir en province de Luxembourg en raison de la pandémie qui sévissait à l'époque. Ses enfants décident de la transférer à Colpach, au centre de réhabilitation. Pour une dizaine de jours d'hospitalisation, le centre facturera une somme de 10.000€ à la famille. Là encore, la délivrance du fameux document «S2» est refusée. L'histoire se finira devant les tribunaux, où le tribunal du Travail reconnaîtra la nécessité des soins à Colpach et accordera le précieux document, tout en déclarant que l'indemnisation sera basée sur le tarif belge et non luxembourgeois.

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Ces histoires réelles ne sont pas des cas isolés et témoignent d'un profond manquement sur les questions transfrontalières en matière de santé, une situation aberrante à l'heure où la coopération transfrontalière est plus que jamais d'actualité. La récente pandémie de covid-19, où des transferts ponctuels et spontanés de patients entre pays ont dû avoir lieu, n'a fait que confirmer ce constat. Néanmoins, ces déboires administratifs entre la Belgique et le Luxembourg devraient être bientôt de l'histoire ancienne.

Et ce, en grande partie grâce au travail des socialistes de la province de Luxembourg et aux membres du projet européen COSAN, qui vise à développer la coopération transfrontalière en santé dans la Grande Région.

Abolir les obstacles financiers et administratifs

L'objectif est simple: établir un accord-cadre entre la Belgique et le Luxembourg, comme il en existe déjà un entre la France et la Belgique. Celui-ci permettrait notamment de mutualiser l'offre de soins de santé et améliorer l'accessibilité des soins sur le territoire transfrontalier. Concrètement, cela permettrait un accès aux soins de santé pour les Belges au Luxembourg et ce, sans obstacles financiers et administratifs. Une nécessité urgente pour les habitants des régions frontalières de la province de Luxembourg, où l'offre de soins est particulièrement disséminée.

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Mais pour cela, il faut établir une base légale et juridique, l'accord-cadre donc. «Une fois cet accord conclu, nous pourrons alors travailler avec les différents acteurs de la Santé (hôpitaux, ordre des médecins, mutualités, etc.) pour qu'ils puissent rejoindre ce réseau. Une fois cela fait, chaque patient aura ensuite la possibilité de se faire soigner de l'autre côté de la frontière et sera remboursé par son système de sécurité sociale au tarif du pays où les soins ont été dispensés», lance Henri Lewalle, coordinateur du projet COSAN.

Professionnels de santé et surtout patients, tout le monde sortirait gagnant d'un tel accord. Mélissa Hanus (PS), appuyée par la mutualité socialiste du Luxembourg, planche sur ce dossier depuis maintenant trois ans. «En 2021, un séminaire qui avait notamment réuni l'ancien ministre de la Santé luxembourgeois Mars Di Bartolomeo (LSAP) avait permis de dresser tous les défis et enjeux du projet», note la députée fédérale belge et cheville ouvrière du projet.

De gauche à droite: Dr. Jacques Devillers, secrétaire général de la mutualité socialiste luxembourgeoise, Mélissa Hanus (PS), députée fédérale, et Henri Lewalle, coordinateur du projet COSAN.

De gauche à droite: Dr. Jacques Devillers, secrétaire général de la mutualité socialiste luxembourgeoise, Mélissa Hanus (PS), députée fédérale, et Henri Lewalle, coordinateur du projet COSAN. © PHOTO: S.MN.

Ceux-ci sont d'ailleurs nombreux. «Les régions frontalières sont pour la plupart des zones rurales, où la densité de population est faible. Nul besoin de rappeler qu'en province de Luxembourg, la démographie médicale et paramédicale est limitée et insuffisante pour répondre aux besoins de la population. Les patients sont donc bien souvent contraints d'effectuer de longues distances pour recevoir les soins adéquats», rappelle Henri Lewalle.

Renforcer l'offre disponible en luttant contre les pénuries

Dès lors, un accord de coopération sanitaire prendrait ici tout son sens. «Je pense par exemple au caisson hyperbare (qui permet de traiter les intoxications au CO, NDLR) du centre hospitalier Emile-Mayrisch, qui est l'un des seuls dans cette région. C'est pour cela qu'il est nécessaire d'améliorer l'accès aux soins de proximité et créer des synergies entre les différents systèmes de santé. Permettre cela, c'est répondre aux problèmes de pénurie de médecins et renforcer l'offre disponible. En matière de santé, il faut plus que jamais passer outre les frontières», plaide-t-il.

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«Mettre le patient au coeur des préoccupations», tel est également le leitmotiv de Mélissa Hanus et de ses partenaires dans ce dossier, qui sonne comme une petite révolution pour les habitants de la province de Luxembourg. «A l'heure actuelle, le texte de l'accord-cadre est prêt. On s'est plus ou moins calqué sur ce qui existe déjà entre la France et le Luxembourg avec quelques modifications. Côté grand-ducal, le gouvernement semble d'accord avec ce texte. Reste à ce que les autorités fédérales belges suivent également. Le texte a en tout cas été proposé au ministre de la Santé belge. Une date de signature était même prévue mais celle-ci a été postposée», informe le Dr. Jacques Devillers, secrétaire général de la mutualité socialiste luxembourgeoise. «Celle-ci est toutefois imminente», ajoute Mélissa Hanus.

Un aboutissement attendu pour 2024

La députée fédérale et ses partenaires sont en tout cas convaincus que le dossier aboutira d'ici à la fin de la législature, en 2024.

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Rappelons que le principe de l'accord-cadre existe déjà dans le cadre des zones organisées d'accès aux soins transfrontaliers (ZOAST), dont la zone dite «LuxLor» qui réunit déjà les structures hospitalières d'Arlon, Virton et Libramont en Belgique avec les hôpitaux de Mont-Saint-Martin et de Verdun. «On souhaiterait donc étendre cette ZOAST au versant luxembourgeois. Lorsqu'on sait qu'à l'heure actuelle, 6.000 patients traversent la frontière pour se faire soigner, on se dit que cela ne peut être qu'utile.»

Bref, une complémentarité gagnante et qui ne nécessiterait pas le moindre investissement. À se demander pourquoi un tel projet n'a pas vu le jour plus tôt...

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