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Beaucoup de masques, énormément de doutes

Qui se cache derrière Avrox, firme établie à Luxembourg et à qui l'Etat belge a passé commande pour 15 millions de masques? Le flou persiste et, chez nos voisins, le doute grandit de voir un jour la commande se concrétiser.

Le ministère de la Défense belge a même envoyé des diplomates vérifier si les fournisseurs mentionnés (en et ) produisaient bien des masques...

Le ministère de la Défense belge a même envoyé des diplomates vérifier si les fournisseurs mentionnés (en et ) produisaient bien des masques... © PHOTO: AFP

Patrick Jacquemot

Mercredi, les députés belges du NV-A vont demander à ce que la Cour des comptes se penche sur un contrat. Le document commercial dans lequel apparaît le nom d'Avrox, société dont la dernière adresse est à Luxembourg, rue de Bastogne. Et si les parlementaires réagissent de la sorte, c'est que le récent marché passé entre l'Etat belge et cette firme suscite toujours de nombreuses interrogations.

Dans un premier temps, la nature même de la société avait interpellé certains élus. Comment se fait-il que le gouvernement, et plus particulièrement le ministre de la Défense belge, ait pu valider le devis présenté par une société se disant agir dans le domaine du "transport de personnes", alors qu'il était question de fournir au pays 15 millions de masques? Le ministre, Philippe Goffin, a beau expliquer que les règles des marchés publics ont bien été respectées, le doute persiste.

Lire aussi :Ce mystérieux fournisseur de masques basé au Luxembourg

Et les craintes perdurent encore alors que les masques sont particulièrement attendus dans un pays où le covid-19 a déjà fait plus de 9.050 décès. Au plus tard, les protections en tissu arriveront le 24 mai. Au pire, les hangars devant réceptionner cette marchandise destinée à être distribuée par le gouvernement fédéral à chaque citoyen belge resteront vides... C'est tout de même léger pour une commande qui avoisine les 45 millions d'euros, s'étonne le député NV-A, Michael Freilich.

Et même si faute de masques livrés à temps et aux normes exigées, Avrox ne touchera pas un cent de la somme annoncée, l'élu NV-A veut faire toute la transparence sur cette opération «qui repose sur une société fantôme et un trio improbable». Jugez-en, à peine le possible scandale évoqué, Avrox révisait ses statuts, le 12 mai dernier auprès du registre du commerce luxembourgeois. Son code NACE étant miraculeusement adapté avec comme objet "Commerce de gros de textiles". Changement tardif mais bien plus en lien avec le marché conclu le 5 mai avec l'administration belge.

Pas de contrat avec l'Etat luxembourgeois

Interrogé sur de possibles commandes passées par le gouvernement luxembourgeois auprès de la société Avrox, le directeur de la Santé est formel : «A ma connaissance, le Luxembourg n’a pas fait de commerce avec cette firme». Et le Dr. Jean-Claude Schmit de préciser au Luxemburger Wort : «Tous les masques destinés à la commercialisation sont contrôlés par l’ILNAS dès leur arrivée à l’aéroport de Luxembourg. L'Etat a exclusivement acheté du matériel marqué CE, respectivement répondant à une norme étrangère jugée équivalente par la Commission européenne». Cela est notamment valable pour les 37 millions de pièces réparties actuellement entre les salariés frontaliers et les boites offertes aux plus de 16 ans résidant au Grand-Duché.

Le doute vient aussi de la faculté de la société à livrer la quantité attendue. Interrogés par le Luxemburger Wort à ce sujet, les porte-parole d'Avrox évoquent le secret des affaires pour ne pas dévoiler quelles précédentes commandes de masques en grande quantité la firme a pu honorer. «Le ministre Goffin nous dit qu'ils ont déjà vendu 1 million de masques à un pays européen, j'attends des preuves», agite le député Michael Freilich. Il était en effet prévu dans le marché public que l'entreprise dépose des preuves de sa capacité dans le domaine...

La perplexité entourant ce marché a été relancée après que l'on eut appris que les échantillons de masques exigés pour le 12 mai par l'Etat n'étaient pas arrivés dans les délais prévus. Envoi postal égaré, a-t-il été évoqué... Ce n'est que jeudi 14 mai que les premiers exemplaires sont arrivés au ministère de la Défense, via UPS, donc avec un retard d'une semaine. Pas très sérieux. Sachant que désormais, ces modèles vont être soumis à des tests pour en juger la qualité. Et voir ainsi si les masques répondent aux normes exigées.

Diplomates sur place

Pour Avrox, nulle incertitude sur cette question : «Les producteurs asiatiques retenus ont su prouver leur savoir-faire pour atteindre la qualité exigée et leur capacité à produire la quantité requise de masques, et ce, dans les délais et à des prix concurrentiels». Visiblement, le ministre Philippe Goffin est tout de même incertain du bien-fondé des déclarations. Ainsi a-t-il missionné divers personnels diplomatiques pour aller vérifier si les usines mentionnées dans le contrat, installées au Vietnam et à Hong Kong , produisaient bien des masques. Information confirmée, un premier soulagement.

Un troisième comparse

En attendant, la Belgique n'a toujours pas vu un seul des masques promis contractuellement. Et le ministre de la Défense multiplie les messages pour rassurer la population : les 15 millions de protections en étoffe réutilisables ne vont plus tarder, et la société Avrox a bien présenté toutes les pièces exigées pour un tel marché public. Mais deux semaines après le début du déconfinement, les Belges sont loin d'être convaincus qu'ils seront effectivement livrés.

Sans doute auraient-ils espéré que le contrat soit passé avec une société reconnue dans le domaine sanitaire ou textile plutôt qu'avec une société bien discrète sur ses agissements, et sur le profil de ses dirigeants. D'un côté, Hamzeh Talhouni, riche héritier jordanien a priori demeurant à Malte, et de l'autre un administrateur dont la seule trace consiste à avoir tenu un restaurant à Cannes (en faillite), Laurent Hericord.

© PHOTO: DR

Un duo qui a reçu le soutien dans cette opération d'un troisième comparse, Brice Erniquin. Là encore, pas vraiment spécialiste de ce type de marché puisque le profil LinkedIn de l'intéressé le disait collaborateur d'une société de gestion des risques suisse, partenaire de sociétés d'import-export en lien avec l'Afrique et l'Asie et... agent de joueurs agréé par la Fédération luxembourgeoise de football. Un profil qui a mystérieusement disparu depuis quelques jours. Là encore, rien de vraiment rassurant... Patience, le 24 mai approche et devrait voir le dénouement -heureux ou malheureux- de ce drôle de deal.

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