Des histoires autour de Léopold II
Le rôle du roi des Belges au Congo divise les historiens, compliquant le travail de reconnaissance des responsabilités
Malgré les charges amassées, le débat sur la responsabilité de Léopold II dans le règne de terreur au Congo demeure. © PHOTO: AFP
De notre correspondant Max HELLEFF (Bruxelles) - Etterbeek, une commune du centre de Bruxelles, a entrepris de rebaptiser onze rues portant le nom d’acteurs de la colonisation en leur donnant celui de femmes qui se sont illustrées. C’est ainsi que la rue Général Fivé s’appellera Rosa Parks, figure emblématique de la lutte contre la ségrégation raciale aux Etats-Unis.
Les autorités communales ont toutefois expliqué que ces changements toponymiques n’ont rien à voir avec la vague d’émotion suscitée par la mort violente de l’Américain George Floyd. L’initiative avait été lancée auparavant.
La démarche est par ailleurs toute symbolique, puisque les rues etterbeekoises retrouveront leurs noms originaux dans neuf mois. Mais elle démontre en revanche que le changement de regard sur le passé colonial de la Belgique n’est pas neuf et que le déboulonnage des statues de Léopold II n’est sans doute que le jalon d’un long processus mémoriel. En 2018, une place du quartier ixellois de Matonge avait ainsi été baptisée du nom de Patrice Lumumba, premier chef de gouvernement du Congo indépendant qui fut exécuté avec la complicité de l’Etat belge.
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Ce processus n’est toutefois pas abouti. En témoignent les perceptions parfois différentes qu’ont les historiens du rôle que tint exactement Léopold II en «sa colonie». Vincent Dujardin (UCLouvain) rappelle ainsi que « toutes les archives de Léopold II au Palais ne sont pas dépouillées, ni celles de Tervuren». Autrement dit, les relations passées entre le souverain belge et le Congo gardent une part d’ombre.
Cependant, explique-t-il dans Le Soir, «les positions se sont rapprochées entre historiens» pour dire que «Léopold II était un capitaliste à tous crins, qui a donné des ordres de rentabilité, mais n’a jamais donné instruction de tuer des populations locales ou de couper des mains. Au contraire, il avait besoin de main-d’œuvre, pour l’extraction du caoutchouc en particulier. Mais ces appels à la rentabilité ont favorisé des exactions et un manque de respect des populations locales, qui ont conduit à des dérapages dont Léopold II a parfois été averti.»
Cette approche prudente de la période livrée par un historien fin connaisseur des choses de la monarchie belge n’a pas plu à tout le monde. Dans une lettre ouverte, une quarantaine de ses confrères estiment qu’un «coup d’œil sur les travaux historiques des trente dernières années montre que ce consensus (sur le rôle de Léopold II au Congo) existe bel et bien et ne dépend pas de nouvelles études détaillées pour être étayé, comme semblent le suggérer certains.
Le débat sur la responsabilité de Léopold II dans le règne de terreur au Congo rappelle à certains égards celui sur le réchauffement climatique, en ce sens qu’une petite minorité reste aveugle à l’écrasante charge des preuves déjà amassées.»
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Pour ces chercheurs (souvent issus d’universités flamandes et américaines), «Léopold II était responsable d’un régime fondé sur une violence massive et structurelle» qui a conduit à la disparition «d’un à cinq millions de Congolais». Ils concluent: «L’idée de créer une "commission vérité" parlementaire pourrait être un instrument pour faire émerger un consensus politique autour de cette histoire mais ne doit pas être un moyen d’en retarder la reconnaissance.»
Le message vaut pour tous ceux – à commencer par le Palais – qui estiment que l’état des connaissances portant sur le rôle que tint exactement Léopold II au Congo n’est pas suffisant pour arrêter une position officielle définitive.