Et si Salah Abdeslam était acquitté?
La question est posée au procès des attentats de Bruxelles où le flou demeure quant aux responsabilités exactes de l’accusé.
L'avocate de Salah Abdeslam rappelle qu'un individu ne peut être «condamné uniquement pour ce qu'il a fait». © PHOTO: AFP
De notre correspondant à Bruxelles, Max Helleff (Bruxelles)
Et si Salah Abdeslam était acquitté ? La question paraît inaudible et pourtant elle se pose aux jurés du procès des attentats de Bruxelles qui se tient depuis trois mois au Justitia, dans l'ancien bâtiment de l'Otan, à Haren (nord de Bruxelles). Le sort du seul kamikaze rescapé des tueries parisiennes du 13 novembre 2015 donne la migraine aux magistrats bruxellois.
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Les procureurs fédéraux ont laissé entendre que Salah Abdeslam et Sofien Ayari, tous deux arrêtés à Molenbeek quatre jours avant les attentats bruxellois du 22 mars 2016, n'échapperont pas à leurs juges bien qu'il n’ait pas été démontré à ce stade qu'ils ont eu un rôle actif dans les tueries de Zaventem et de Maelbeek. Pour la procureure Paule Somers, «les membres de la cellule de Bruxelles sont interchangeables et c'est fondamental (…) C'est l'ensemble du groupe qui prépare l'attentat». Réponse de la défense d'Abdeslam: «Il y a un principe essentiel du droit. Il faut individualiser. On est condamné seulement pour ce que l'on a fait.»
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Ce qu'a fait Salah Abdeslam dans les jours qui ont précédé les attentats bruxellois, on n'en sait à vrai dire rien. Après avoir renoncé à faire exploser sa bombe à Paris quatre mois auparavant, il est rentré à Bruxelles où il a fini par être arrêté le 18 mars 2016 à Molenbeek. Mais pendant sa cavale, a-t-il participé d’une manière ou d’une autre aux attentats qui ont ensanglanté la capitale belge ? Cette interrogation fondamentale ne trouve pas de réponse à ce stade. Il est en revanche avéré que le commando qui a frappé Bruxelles a précipité la mise en œuvre de son plan diabolique.
Avec des si on met Paris en bouteille.
Abdeslam arrêté, le piège se resserrait sur ses complices. La veille des attentats, certains journaux avaient diffusé le portrait des frères El Bakaroui, deux des trois kamikazes qui devaient trouver la mort le 22 mars 2016. Ils étaient recherchés. Il leur fallait tuer tant qu'il en était encore temps...
L'avocate d'Abdeslam tient son argumentation. Il est, affirme-t-elle, «pratique de dire qu'il aurait pu être Abrini, qu'il aurait pu être à Zaventem (…) Avec des si, on met Paris en bouteille». Elle ajoute que son client n'a pas participé aux achats (des produits entrant dans la fabrication des bombes), n'a pas participé à la confection des bombes, aux discussions, aux recherches internet, à la location d'un appartement». Il n'y a «aucun élément» pour dire qu'il est partie prenante aux attentats. Il faudra donc «acquitter Monsieur Abdeslam», conclut-elle en s'adressant aux jurés.
Déjà condamné à la perpétuité incompressible
En juin dernier, Salah Abdeslam a été condamné à la prison à vie, assortie d'une peine d'incompressibilité. En 2018, un tribunal bruxellois l'avait condamné à 20 ans de prison pour détention d'armes. L'enjeu du procès est donc ailleurs. Il est dans l'opinion publique à laquelle magistrats et jurés devront peut-être expliquer qu'un terroriste condamné à Paris peut être acquitté à Bruxelles. Il est surtout dans la réaction des victimes qui auront l'occasion de témoigner à partir de lundi et cela durant plusieurs semaines.
Particulièrement attendu, ce rendez-vous risque bien d'être raté. Les box restent en effet le plus souvent vides ou clairsemés durant les audiences du procès. Les accusés continuent à protester contre leurs conditions de transfert et les fouilles à nu avec génuflexion que leur imposent leurs gardes pour des raisons de sécurité.
«Cela sera extrêmement difficile pour les victimes de passer la porte de cette salle d’audience. Elles ne veulent pas témoigner devant des chaises vides. Donc, faites preuve d’humanité, soyez présents», a lancé jeudi, à l'attention des accusés, l’avocate de l'association des victimes Life4Brussels. Salah Abdeslam, Mohamed Abrini et Osama Krayem étaient une fois de plus absents. Dans deux semaines, la cour d'appel de Bruxelles dira si oui ou non ces fouilles policières contreviennent à la convention européenne des droits de l'homme qui interdit les traitements dégradants.
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Les responsabilités de Mohamed Abrini et Osama Krayem dans les attentats font elles aussi l'objet de toutes les conjectures. Abrini a renoncé à se faire exploser à Zaventem. Il se serait laissé prendre au piège d'une opération qui le dépassait et dont il ne voulait pas, affirme sa défense. «Lorsqu'il revient le 21 mars au soir, on lui dit '"Les sacs sont prêts'' et ''C’est pour demain''. C’est un choc pour Abrini», assure son avocate.
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Quant à Krayem, il aurait dû déclencher sa bombe dans le métro avec Khalid El Bakraoui. Mais seuls les restes de ce dernier ont été retrouvés parmi les corps des victimes à la station Maelbeek. Au dernier moment, Osama Krayem avait tourné les talons.