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Joies et angoisses au menu de l’Horeca belge

Restaurants et bistros rouvrent ce mercredi en «intérieur» en se donnant pour défi de sauver l’année.

Les établissements doivent s’équiper de détecteurs de CO2 et de systèmes d’aération pour contrer la propagation du virus.

Les établissements doivent s’équiper de détecteurs de CO2 et de systèmes d’aération pour contrer la propagation du virus. © PHOTO: AFP

De notre correspondant Max Helleff (Bruxelles)- C’est le grand jour pour Jean-Marc * qui ouvre ce mercredi 9 juin son nouveau restaurant dans le quartier de la place de la Liberté, à Bruxelles. «Un concept tout neuf, bien belge», s’enthousiasme ce quadragénaire longiligne. «Bières au comptoir, boudins, vol au vent. Ça va dépoter.»

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Jean-Marc n’en pouvait plus. «Sept mois de fermeture, explique-t-il, et mon ex-patronne qui me doit les salaires, le pécule de vacances. Une grosse somme. Mais enfin, là tout est bien qui finit bien. Je vais avoir mon affaire à moi. Et pouvoir me refaire.»

Son ex-patronne, la tenancière d’un bistro aux airs de fin de siècle, a fermé boutique. Si l’on en croit Jean-Marc, «elle fait partie de ces indépendants qui ont préféré prendre les aides de l’Etat et tout arrêter tant qu’il est encore temps». Car un ressac de la crise sanitaire est attendu. La reprise de l’été avec le rush des consommateurs enfin libérés du covid pourrait être stoppée net par l’automne et ses variants. Ce serait le coup de grâce.

Des dégâts considérables

Il y a quelques semaines encore, les rues quadrillant la place de la Liberté ressemblaient à un désert. Tous les cafés et les restaurants étaient à l’arrêt, pandémie oblige. Des mesures Horeca moins sévères n’auraient pas changé grand-chose: le quartier est surtout fréquenté par des employés et des fonctionnaires qui, une fois le boulot terminé, quittent l’endroit pour rentrer chez eux. Ici, le télétravail a volé la clientèle du midi à l’Horeca. Quant au Cirque royal qui lui garantissait une affluence nocturne et festive, il a dû lui aussi fermer ses portes pendant de longs mois, comme tout le secteur culturel et événementiel.

Les dégâts sont considérables. Le resto «djeûn» qui s’était installé au coin des rues de l’Enseignement et de la Croix de fer: fermé. L’Italien réputé pour son escalope parmigiana: en difficulté. Quant au Sicilien, il lorgne sur la terrasse du commerce voisin pour s’étendre et tirer parti des beaux jours. Le vendeur de sandwiches proche a réussi à traverser la tempête, péniblement. Même fortement réduit, le travail en présentiel lui a permis de sauver la mise.

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Au centre-ville, c’est la Bérézina en plusieurs endroits. Des grands noms sont tombés. Dans la Galerie de la Reine, la très renommée Taverne du Passage a fait aveu de faillite. Dans le quartier européen, la Parkside Brasserie a connu le même sort.

Mais ce 9 juin, ceux qui ont survécu sont dans les starting-blocks. Il y a un mois, ils ont commencé à s’échauffer avec la réouverture des seules terrasses. La reprise de l’Horeca «en intérieur» - qui est donc effective ce mercredi - doit permettre d’accueillir la clientèle les jours de pluie, a fortiori dans les quartiers de bureaux qui ne reviennent que progressivement à la vie. Le retour en entreprise est en effet programmé à petite dose dès ce mercredi également, avec une perspective d’élargissement en juillet. «Ça va nous faire du bien. On va pouvoir retrouver les collègues, se faire une bonne bouffe le midi», sourit l’employé d’une boîte de marketing. Ces retrouvailles contribueront à garnir le tiroir-caisse de l’Horeca, même si, comme beaucoup de professionnels du secteur l’affirment, «l’année est foutue».

Lors du dernier Comité de concertation, le cénacle qui réunit les différentes autorités belges, l’Horeca a obtenu un peu de «rab» en décrochant l’autorisation de rester ouvert jusqu’à 23h30 en intérieur comme en terrasse. Dans un premier temps, la limite avait pourtant été placée à 22 heures. Mais l’évolution favorable de la pandémie – le rythme accéléré de la vaccination et la baisse notable du nombre de patients covid en soins intensifs – a permis de déconfiner plus largement. Des normes sanitaires strictes restent toutefois d’application, notamment la règle des quatre personnes par table et la distance d’1,5 m entre les tables. Les établissements doivent également s’équiper de détecteurs de CO2 et de systèmes d’aération pour contrer la propagation du virus.

Bruxelles respire, plus que tout autre ville belge. L’Horeca de la capitale, privée d'une partie de ses 400.000 navetteurs quotidiens, a énormément souffert. Le secteur touristique qui s’était péniblement relevé des attentats de 2015-2016 a été frappé de plein fouet par la pandémie. Ici aussi, il faudra du temps pour se remettre. Tout voyageur qui arrive de zone rouge doit être complètement vacciné depuis au moins deux semaines et un test PCR est exigé. Une interdiction d’entrer sur le territoire belge frappe ceux qui ont résidé pendant quatorze jours dans une zone à haut risque pandémique.

«Une bouffée d'oxygène»

Dans un tel contexte, les directives du dernier Comité de concertation ont été accueillies à bras ouvert. «C'est une bouffée d'oxygène pour le secteur», a commenté Fabian Hermans, l’administrateur de la fédération Horeca Bruxelles. «L'ouverture tôt le matin va permettre aux hôteliers de relancer leur buffet petit-déjeuner, et tous les commerces établis dans des gares, à emporter par exemple, pourront commencer très tôt.»

Tout cela suffira-t-il à sauver l’Horeca ? Pas sûr. De nombreux restaurants et cafés se sont endettés pour tenir le coup au cours des derniers mois. Si les faillites sont peu nombreuses pour l’instant, beaucoup craignent que la fin de la pandémie croise celle de la mansuétude de l’Etat. Sur la chaîne publique bruxelloise BX1, Eric van den Broele, un responsable du bureau d’informations commerciales Graydon, évoque le risque d’un «effet retard» meurtrier. «Le risque, c’est qu’une fois que le moratoire sur le fisc et l’ONSS – qui finance la Sécu - sera levé, et une fois passés les délais de paiement accordés par les administrations créancières, une bonne partie de ces entreprises tombent en faillite. On s’attend à une dégringolade au dernier trimestre de l’année.»

Aujourd’hui, une entreprise sur cinq serait en sérieuses difficultés financières dans l’Horeca, malgré le soutien financier public accordé dans le cadre de la pandémie.

* prénom d'emprunt

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