L’enquête sur Yassine M. prend la piste du terrorisme
Laissé en liberté en dépit de sa dangerosité, l’homme de 32 ans a tué jeudi un policier dans la commune bruxelloise de Schaerbeek.
De nombreuses questions se posent après le meurtre du jeune policier à Schaerbeek. © PHOTO: AFP
De notre correspondant MAX HELLEFF (Bruxelles).
Y a-t-il eu une erreur d'appréciation dans le chef du parquet de Bruxelles et de sa section terrorisme ? Telle est la question qui est posée, quelques jours après l'attaque menée par Yassine M. contre des policiers dans la commune bruxelloise de Schaerbeek. Un agent avait été tué jeudi soir, un autre blessé.
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Samedi, Yassine M., un Belge de 32 ans, a été placé sous mandat d'arrêt et inculpé d'assassinat et de tentative d'assassinat dans un contexte terroriste. Le policier survivant, qui a pu sortir de l’hôpital depuis, a rapporté que l'homme avait crié « Allahu Akbar » au moment de frapper. Le parquet fédéral, qui a repris le dossier, estime qu'il y a assez d'éléments pour suivre la piste terroriste.
Pourtant, on ignore tout à cette heure des motivations de Yassine M. Le tueur a été neutralisé par la balle qu'un policier lui a tiré dans la jambe lors de la course-poursuite qui a suivi l'attentat. Il n’a pas été jusqu'ici en mesure d'être entendu.
Des questions sur les responsabilités
Après le choc et la sidération vient aujourd’hui le questionnement des responsabilités. Comment en effet un homme radicalisé et fiché par l'Ocam (l'Organe de coordination pour l'analyse de la menace, ndlr), qui s'est présenté dans un commissariat pour dire toute sa haine de la police et proférer des menaces, a-t-il pu retrouver la liberté le temps de tuer ?
Plusieurs réponses ont été formulées samedi. On sait désormais que le commissariat d’Evere (nord-ouest de Bruxelles) qui a eu à gérer Yassine M. a appelé la magistrate de garde pour qu'elle statue sur son sort. Cette dernière a décidé d'appliquer la « procédure Nixon » qui prévaut pour les malades mentaux. Ceux-ci doivent être remis par la police entre les mains de soignants et observés pendant 40 jours. Mais le problème est que Yassine M. avait déclaré lui-même aux policiers d'Evere vouloir se faire soigner. Or, l'article 3 de la loi de 1990 qui fixe les termes de la procédure Nixon précise que « la personne qui se fait librement admettre dans un service psychiatrique peut le quitter à tout moment ».
Et il semble bien que cela se soit passé ainsi aux cliniques Saint-Luc, à Bruxelles. S'il est arrivé accompagné de trois policiers aux urgences de l'hôpital jeudi, Yassine M. en est ressorti une demi-heure plus tard, cette fois sans escorte.
La balle est dans le camp de la justice
Samedi, les cliniques Saint-Luc ont rejeté toute responsabilité. Selon leur communiqué, Yassine M. a été accueilli par une infirmière qui a fait son rapport. Lorsqu'un médecin a voulu le recevoir, il avait disparu. Quelques heures plus tard, il tuait le policier Thomas Monjoie (29 ans) et blessait son collègue Jason P. (23 ans) à Schaerbeek. L'hôpital précise qu’à aucun moment, la police n'a fait mention de la dangerosité de Yassine M. Il rappelle aussi que quiconque s’adresse aux urgences reste pleinement libre de ses actes.
Le second policier attaqué, Jason P., est sorti de l'hôpital samedi, sous les applaudissements de ses collègues. © PHOTO: AFP
La balle est désormais dans le camp de la justice. Il y a lieu en effet de savoir sur quelles bases la magistrate de garde a demandé de lancer la procédure de mise en observation psychiatrique tout en laissant Yassine M. en liberté. Selon le ministre de la Justice Vincent Van Quickenborne, cette décision aurait été prise collégialement avec la section terrorisme du parquet, après avoir entendu le commissariat d’Evere où Yassine M. s’était rendu dans un premier temps.
Que s'est-il dit alors ? Dans quelle mesure la dangerosité de Yassine M. a-t-elle été évaluée et prise au sérieux ? Même si la loi précise que celui qui demande à être soigné sur le plan psychologique doit rester libre, le parquet n’avait-il pas malgré tout la possibilité de le neutraliser pendant quelques jours ? etc.
Deux ministres sur la sellette
Toutes ces questions devraient trouver un vif écho parmi les parlementaires, ce lundi à la Chambre. Vincent Van Quickenborne et sa collègue de l’Intérieur Annelies Verlinden y seront sur la sellette. Les syndicats les taxent de laisser la police sans moyens. L'un d'eux, le SLFP, accuse le ministre de la Justice de mentir quand il évoque une politique de tolérance zéro vis-à-vis des actes de violence portés à l’encontre de la police et lui demande de démissionner.
Cette affaire pourrait renvoyer la Belgique aux heures les plus sombres de 2015, lorsqu'après les attentats des terrasses parisiennes, l'antiterrorisme belge avait été pointé du doigt par son homologue français pour n'avoir pas suffisamment communiqué et pris la mesure de la dangerosité des terroristes issus de Molenbeek.
Par ailleurs, la gestion des personnes fichées et jugées pour leurs accointances avec le terrorisme et/ou le djihadisme est d'autant plus alarmante que nombre d'entre elles ont aujourd'hui purgé leur peine de prison. Combien de Yassine M. potentiels lâchés dans la nature ? C’est bien la question.