L'UE peut-elle réellement être indépendante?
Au vu de sa taille, le Luxembourg est, avec Malte et la Belgique, le plus gros importateur d'énergie d'Europe. Que pensent ces eurodéputés sur l'indépendance de l'UE dans ce secteur?
Si la Russie venait immédiatement à couper les vannes, de gros nuages lourds s'abattraient sur l'économie européenne. © PHOTO: AFP
«Indépendance énergétique européenne.» Sur Google, la combinaison de ces trois mots offre 4.150 occurrences. C'est peu en comparaison des 36 millions que compte la «Ligue des Champions» de football. Pourtant, le sujet est autrement plus important que la Coupe aux grandes oreilles. Crucial même alors qu'Ursula von der Leyen, présidente de la Commission, a annoncé le 4 mai une sixième série de sanctions à l'égard de la Russie, en conflit avec l'Ukraine depuis le 24 février.
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Après le charbon, l'UE a décidé d'abandonner dans les six mois l'achat de pétrole brut russe, et d'ici la fin de l'année celui de produits raffinés. Pour être adopté, ce paquet doit être voté à l'unanimité or, la Hongrie et la Slovaquie dépendent très fortement de l'or noir de Moscou. Ces deux pays pourraient bénéficier d'une exemption et auront jusqu'à fin 2023 pour trouver d'autres alternatives. La Bulgarie aimerait bénéficier de la même faveur...
Si, dans l'immédiat, ces mesures ne devraient donc pas engendrer de pénuries, une question toutefois se pose: l'Europe peut-elle tourner le dos au deuxième producteur d'hydrocarbures de la planète (10,5 millions de barils par jour)? Et ce même si, depuis 2015, elle a diminué de 26% son importation.
Depuis 2014 et l'invasion de la Crimée, l'UE n'a cessé de se montrer de plus en plus dépendante de l'énergie russe
Eurodéputé au sein du Groupe de l'Alliance Progressiste des Socialistes et Démocrates, Marc Angel (LSAP) estime que cette perspective est une nécessité mais souligne qu'un mea-culpa est nécessaire : «L'Europe doit faire son autocritique : depuis 2014 et l'invasion de la Crimée, l'UE n'a cessé de se montrer de plus en plus dépendante de l'énergie russe... Il faut bien le reconnaître, on a commis des fautes.»
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Un rapport d'Eurostats, publié en mars dernier, confirme l'augmentation d'importation de houille entre 2010 et 2020 (de 22,4% à 49,1%), mais aussi de gaz naturel (de 30,6 à 38,2%). L'achat de pétrole brut russe s'est réduit lui de 34,7% à 25,7%. Une baisse compensée par de sensibles augmentations auprès d'autres producteurs tels que la Norvège (de 7,7 à 8,7%), le Kazakhstan (5,6 à 8,4%), l'Arabie saoudite (6 à 7,8%), mais surtout les Etats-Unis dont l'importation sur le Vieux Continent est passée depuis 2015 de 0,2 à 8,1%.
En 2020, plus de la moitié (57,5%) de l'énergie disponible brute de l'UE provenait de pays tiers. De quoi susciter certaines préoccupations. Aussi, depuis mai 2014, la Commission européenne a élaboré une stratégie de sécurité énergétique afin, dans l'éventualité d'une crise, de «garantir un approvisionnement stable et abondant en énergie». Chaque pays membre doit «maintenir des stocks d'urgence équivalant à au moins 90 jours d'importations nettes ou 61 jours de consommation». Ces réserves doivent être «facilement disponibles» afin d'être «affectées rapidement là où elles sont le plus nécessaires».
Le Luxembourg tourne au pétrole... belge
Selon Eurostats, la production d'énergie de l'UE se décompose ainsi : 40,8% est dite «renouvelable», 30,5% provient du nucléaire (notamment en France où elle représente 75,2 % de la production nationale d'énergie primaire), 14,6% de combustible fossile solide (principalement du charbon et du lignite), 7,1% de gaz naturel, 3,3% de pétrole brut et 3,7% d'autres (solaire, biomasse, géothermie).
Ces chiffres sont à mettre en parallèle avec ceux de l'énergie utilisée par l'Europe : 36,3% provient des produits pétroliers, 22,3% de gaz naturel, 15,5% d'énergie renouvelable mais aussi 13,1% de nucléaire. «Frans Timmermans (Ndlr : vice-président de la Commission européenne depuis 2014) souhaite réduire des deux tiers l'importation de gaz russe», ajoute Marc Angel dont le pays, au vu de sa taille, était en 2020 avec Malte et la Belgique, le plus gros importateur d'énergie de l'UE.
On notera d'ailleurs qu'au Grand-Duché, 78,9 % de sa consommation intérieure brute d'énergie l'était par le biais de combustibles fossiles importés (60,5 % de produits pétroliers, 17,3 % de gaz naturel, 1,1 % de charbon). Officiellement, toutes sources d'énergies confondues, celles en provenance de Russie représentent 4,3% des importations. Du gaz utilisé au Grand-Duché, un quart est importé de Moscou. En revanche, pas une goutte de pétrole russe. «Cette statistique est à prendre avec des pincettes, sourit Tilly Metz. La Belgique importe 46% de son pétrole de Russie avant de le raffiner puis d'en exporter une partie au Luxembourg. Officiellement, on a 0% de pétrole russe. Ce qui est faux évidemment.» Au Grand-Duché, on tourne donc au pétrole...belge.
Si on achetait uniquement des produits dans des pays où les droits humains sont respectés, on n'achèterait pas grand-chose...
Se détourner de la Russie, c'est devoir trouver d'autres sources d'approvisionnement. Pour Christophe Hansen (Parti Populaire Européen), l'UE devrait davantage travailler à ses propres ressources et évoque celles, en gaz, situées en mer du Nord. Notamment au large de l'Ecosse. «Ce serait tout aussi bien que d'aller mendier, comme le fait le ministre allemand de l'Energie (Ndlr : Robert Habeck), auprès des pays du Golfe.»
Du haut de ses 70 ans, Charles Goerens (Groupe Renew Europ) se veut plus pragmatique : «Si on achetait uniquement des produits dans des pays où les droits humains sont respectés, on n'achèterait pas grand-chose... Bien sûr, ce n'est pas très recommandable, bien sûr qu'il faut réduire notre dépendance, mais pour l'instant, notre économie doit continuer de tourner.»
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Tilly Metz (Déi Gréng) regrette le procès fait à Robert Habeck. «Il est allé en Arabie saoudite et alors? Il ne faut pas être hypocrite. Je comprends certains reproches, mais il faut rester réaliste. L'Europe se doit d'être solidaire et aller chercher ailleurs les énergies fossiles dont elle a besoin. Cela étant, j'estime que ces énergies ne sont pas des solutions durables. Tout comme le nucléaire.»
La député Déi Gréng regrette le rapport provisoire du Centre de recherche commun, service scientifique interne de la Commission européenne, dans lequel on peut lire qu'il n’y a «pas de preuve scientifique que les effets sur la santé ou sur l’environnement de l’énergie nucléaire soient supérieurs à ceux des autres sources de production d’électricité classées par la taxonomie comme activités contribuant à l’atténuation.» Bref, le nucléaire ne serait pas plus dangereux que le solaire ou les éoliennes. «Pour le nucléaire, il faut de l'uranium enrichi. Et qui le fournit à l'Europe? La Russie ou le Kazakhstan...»
Tilly Metz se réjouit de l'accord de coopération signé par le Luxembourg avec le Danemark dans la perspective, comme l'expliquait le 12 janvier dernier Claude Turmes, ministre de l'Energie et de l'Aménagement du territoire, au journal économique français La Tribune, de «créer une île énergétique artificielle en mer du Nord reliée à des centaines d'éoliennes offshore où il est prévu d'installer entre 10.000 et 12.000 mégawatts d'éolien». «Les énergies renouvelables ne nous conduisent pas vers d'autres dépendances», souligne Metz qui estime que cette question d'indépendance énergétique européenne doit aussi répondre à l'urgence climatique.
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Pour Charles Goerens, cette indépendance énergétique à l'égard de la Russie ne devrait pas se faire en douceur. «Si Poutine décide de fermer les robinets de gaz, comme il a fait avec la Pologne, cela pourrait engendrer de terribles conséquences économiques. Les entreprises qui se trouvent en amont et en aval des pétroliers vont connaître des heures difficiles. Concrètement, dans toute l'Europe, cela va se solder par des centaines de milliers de personnes au chômage...»