La colonisation belge, un long fleuve houleux
Le Congo – le fleuve qui donne le nom au pays. Pendant 23 ans, le Congo est une possession personnelle du roi des Belges Léopold II – une période sombre et objet de critiques de toute part. © PHOTO: Getty Images
60e anniversaire de l'indépendance du Congo belge: l’amour-haine qui lie la Belgique et le Congo.
Les relations qu’entretiennent les Etats occidentaux avec leurs ex-colonies sont rarement un long fleuve tranquille. Celles qui prévalent depuis plus d’un siècle entre la Belgique et le Congo sont tourmentées, houleuses, empoisonnées.
Par Max Helleff (Bruxelles)
La remise en cause du passé colonial n’a pas attendu ici la mort de George Floyd pour exploser. En réalité, elle défraie régulièrement la chronique. Hier, la polémique sur les œuvres d’art congolaises «volées» qui suivit la rénovation du musée de Tervuren (AfricaMuseum). Aujourd’hui, le tagage d’un mémorial sis au parc du Cinquantenaire à Bruxelles et rendant hommage à «l’oeuvre civilisatrice belge».
Cette photo montre une statue du roi Léopold II de Belgique salie de peinture rouge à Gand. La statue sera supprimée, au milieu des discussions pour renverser toutes les statues de Léopold II en raison des méfaits dans son ancienne colonie du Congo. © PHOTO: AFP
Il est loin le temps où Léopold II évoquait son entreprise coloniale à la manière d’une mission «bienfaitrice». Depuis une vingtaine d’années, des travaux historiques ont mis au jour les exactions et les atrocités perpétrées par les représentants du «Roi Bâtisseur» dans ces terres lointaines où il ne mit jamais le pied. Les plus radicaux évoquent un «génocide» qui aurait fait quelque dix millions de morts. D’autres tablent plus prudemment sur la disparition de «un à cinq millions de Congolais» à la fin du XIXe siècle. Des hommes, des femmes et des enfants contraints au travail forcé, s’exposant à avoir les mains coupées s’ils se montraient récalcitrants. Mourant sous le joug.
Une aventure, prélude d'un pillage massif
Tout avait commencé comme une aventure. L'explorateur Stanley remontant au péril de sa vie le fleuve Congo, d’est en ouest. Sa quête de soutiens politiques et financiers. La rencontre avec Léopold II. La Conférence de Berlin (1884-1885) qui allait voir les puissances de l’époque reconnaître les territoires nouvellement explorés comme étant la propriété personnelle du souverain belge.
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Rapidement pourtant, l’ «œuvre civilisatrice» de Léopold II en prend pour son grade. En 1899, Joseph Conrad relate dans «Au cœur des ténèbres» une entreprise criminelle et sadique qui sera volontiers rapprochée des premières années de la présence belge au Congo. Mark Twain, Conan Doyle et bien d’autres dénonceront à leur tour le pillage et l’esclavagisme dont se rendent coupables les sbires de Léopold II et leurs partenaires.
Lorsque Léopold II meurt en 1909, il y a déjà un quart de siècle que le Congo et ses habitants sont exploités pour le compte du Domaine royal et de compagnies privées. Le marché du caoutchouc connaît une expansion mondiale. Il a enrichi le roi qui a financé de somptueux ouvrages d’art (le Cinquantenaire, le barrage de la Gileppe...) en son royaume et domestiqué le littoral belge. Tout au long de ces années, Léopold II a fermé les yeux sur le sort réservé à ses sujets congolais au nom de l’argent. Peu avant de mourir, il donnera le Congo à la Belgique.
Le «Congo belge» en 1950 – dix ans avant la déclaration d’indépendance: un administrateur belge est transporté à travers la brousse. © PHOTO: Getty Images
Avec le «Congo belge» se met en place une colonisation autrement établie. Les colons travaillent à leur propre compte ou pour les grandes compagnies qui investissent notamment dans l’exploitation des fabuleux gisements miniers du Katanga. Ils ne vivent pas dans les mêmes quartiers que l’indigène, pourtant évangélisé par les bons pères.
Ils en font un boy, un policier ou un soldat. La colonisation belge se veut vertueuse. Beaucoup de colons aiment d’ailleurs profondément leur terre d'accueil et de jouissance. C’est meurtris qu’ils la quitteront en 1960 lorsque l’ex-colonie accédera à son indépendance. Rentrés à la métropole, beaucoup s’y sentiront comme un corps étranger.
1960: Le roi Baudouin, accueilli par le président, Joseph Kasa-Vubu, et par le Premier ministre, Patrice Lumumba, lors de la proclamation de l'indépendance du Congo. © PHOTO: Archive LW
Ce divorce-là sera tempétueux. Sanglant. Le premier Premier ministre du Congo indépendant Patrice Lumumba, jugé prosoviétique, est assassiné en 1961 avec des complicités belges. Il faudra attendre 2002 pour que le libéral Louis Michel, alors ministre des Affaires étrangères, présente ses «excuses» et ses «profonds et sincères regrets» au peuple congolais pour le rôle de son pays dans la mort de Lumumba.
Entre-temps, un homme a cristallisé à merveille l’amour-haine qui lie la Belgique au Congo. Le Maréchal Mobutu est l’ancien chef d'état-major de l'armée qui, en 1965, a renversé le président Joseph Kasavubu. Désormais aux commandes du pays, celui qui fit un temps figure d’allié de la Belgique l’humiliera plus d’une fois. Avec lui, le Congo retrouvera une certaine stabilité au prix d'un régime autoritaire. Il en fera le Zaïre, un Etat jaloux de son indépendance, qui n’en sera pas moins vulnérable aux intérêts et à la prévarication des multinationales et des puissances.
En 1997, l’armée rebelle de Laurent Désiré Kabila oblige Mobutu à fuir le pays. © PHOTO: Archive LW
En 1997, l’armée rebelle de Laurent Désiré Kabila oblige Mobutu à fuir le pays. Son régime miné par la crise économique et discrédité par la corruption tombe. Les puissances l’abandonnent. Mobutu meurt au Maroc.
Où il est à nouveau question d’excuses
Kabila, lui, est assassiné en 2001. Son fils Joseph sera dès lors président d’un pays rebaptisé République démocratique du Congo, rongée à l’Est par une guerre qui ne s’éteint pas. Il faudra attendre 18 ans pour que Félix Tshisekedi, le fils d'Étienne Tshisekedi, l’éternel opposant de Mobutu, lui succède à la faveur d’une alternance miraculeusement pacifique.
A la veille des célébrations du soixantième anniversaire de l’indépendance du Congo ce mardi 30 juin, la Belgique ronge son frein. Ses relations avec l’ex-colonie connaissent comme toujours des hauts et des bas. Elles sont sans cesse piétinées par le lourd passif colonial, la real politik et la concurrence des puissances (Etats-Unis, Chine…) qui ont repris l’exploitation des richesses du Congo.
Félix Tshisekedi, le fils d'Étienne Tshisekedi, l’éternel opposant de Mobutu, succède Joeseph Kabila à la faveur d’une alternance pacifique. © PHOTO: AFP
Sur fond de déboulonnage des statues de Léopold II, le monde politique belge se cherche un exutoire. Une catharsis. Certains se demandent si ce n’est pas «un bon moment» pour que l’ex-métropole fasse un pas en avant. Le chrétien-démocrate flamand Joachim Coens pense ainsi que le roi Philippe est la «personne la plus appropriée» pour cette mission, pourvu qu’il soit couvert par le gouvernement.
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Même la princesse Esmeralda, la fille du roi Léopold III et de Liliane Baels, y met son grain de son sel dans une interview donnée à la chaîne publique RTBF: «Pour vraiment terminer ce passé tellement douloureux (avec) ces crimes, ses exactions, il est important que les pays européens et la Belgique en particulier reconnaissent leur responsable, présente des excuses.» Une nouvelle page va peut-être se tourner.