La surpopulation à géométrie variable des prisons belges
L’Etat a été condamné pour ne pas avoir amélioré les conditions des détenus. Le covid n’y a rien changé.
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De notre correspondant, Max Helleff (Bruxelles) - L’Etat belge est régulièrement pointé du doigt pour sa surpopulation carcérale. On ne compte plus le nombre d’admonestations et de rapports défavorables venus du Conseil de l’Europe et de l’Observatoire international des prisons. Saint-Gilles et Forest évoquent parmi d’autres des lieux d’incarcération d’un autre temps. Et l’on passe sur l’enfer de certaines ailes psychiatriques…
Le covid ajoute à cette situation dramatique. Dans l’ensemble des prisons belges, 174 détenus ont été testés positifs au coronavirus depuis le 13 mars et 86 d’entre eux sont infectés actuellement, indiquait mercredi la direction générale des Établissements pénitentiaires.
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C’est un changement majeur par rapport à la première vague. Paradoxalement, les prisons étaient peu infectées au printemps dernier. 11% des 10.825 prisonniers belges, parmi les moins dangereux, avaient alors rejoint leur foyer au motif qu’il fallait vider les cellules pour diminuer le risque de contagion. Une fois la pandémie en recul, ils étaient retournés derrière les barreaux.
Pour l’administration pénitentiaire, le covid est sous contrôle : «Grâce aux mesures de prévention et de protection dans les prisons belges, seuls un peu plus de 1% des plus de 8000 détenus testés ont eu un résultat positif», a-t-elle affirmé à l’agence Belga. «Les mesures de protection ont été adaptées dans la société, elles le sont également dans les prisons, afin de limiter un maximum la propagation du virus».
Condamnation de l'Etat
Les détenus, leurs familles et leurs avocats, sont d’un tout autre avis. A les entendre, les principaux pourvoyeurs du covid seraient les gardiens qui, parce qu’ils font l’aller-retour entre l’extérieur et la prison, propagent fatalement le virus. En face, les syndicats dénoncent des contrôles sanitaires insuffisants chez les condamnés qui reviennent infectés de libération conditionnelle et les « visites hors surveillance » qui permettent les contacts physiques.
Deux détenus de Lantin (Liège) sont allés en justice pour demander d’en finir avec la surpopulation des prisons. Ils ont gagné en première instance. L’Etat a été condamné à les indemniser. Mais il a aussitôt interjeté appel en faisant valoir qu’il n’a de cesse de donner davantage d’espace aux prisonniers. Ce qui est vrai si l’on juge de la construction de nouvelles prisons. Mais ce qui reste insuffisant au regard du nombre d’entrants.
Cadre légal manquant
La justice n’a pas suivi l’État belge. La cour d’appel de Liège n’a surtout pas apprécié qu’il mette en avant le renvoi de quelques centaines de prisonniers dans leur foyer lors de la première vague de la pandémie pour se prévaloir de prétendus efforts : «La nette amélioration constatée en 2020 dont l’État se prévaut ne peut être prise en compte, la réduction du nombre de détenus étant liée à des mesures ponctuelles dont les effets ne peuvent qu’être à court terme.»
Tout le monde en a pris pour son grade. Le législatif, parce qu’il se montre incapable de mettre en place un cadre légal pour faire respecter l’article 23 de la Constitution, lequel stipule que «chacun a le droit de mener une vie conforme à la dignité humaine». Et l’exécutif, parce qu’il traîne la patte chaque fois qu’il lui est demandé d’être vigilant au bien-être des prisonniers. «Un État normalement diligent et prudent n’aurait pas laissé se créer et perdurer une telle situation», a estimé la cour en condamnant la Belgique à mettre fin aux traitements inhumains et dégradants qui frappent les détenus au quotidien.