La Wallonie autopsie sa crise sanitaire
La commission spéciale qui débute ses travaux à Namur ne pourra ignorer l’hécatombe qui a frappé les maisons de repos, notamment.
En tout, 1.600 décès ont été comptabilisés dans les maisons de repos wallonnes. © PHOTO: Getty Images
De notre correspondant Max HELLEFF (Bruxelles) - Cette semaine commencent au Parlement wallon les travaux de la commission spéciale chargée de tirer les leçons de la crise sanitaire née de l’épidémie de Covid-19. Son objectif n’est pas de juger les responsabilités politiques, mais de formuler des recommandations pour l’avenir. Celles-ci auront pour cadre strict les compétences régionales (prévention, gestion des maisons de repos…)
Le ministre-président wallon Elio Di Rupo (PS) insiste sur le fait que l’essentiel du pouvoir de décision a été donné durant toute la crise sanitaire au fédéral, et non aux Régions. Il se veut rassurant : «Je n’ai pas vu le chaos. Nous avons eu des relations qui ont permis de travailler de manière qualitative. Tout le monde a fait son travail avec âme et conscience».
Mais si les socialistes, les écologistes et les libéraux qui forment la majorité au Parlement wallon refusent de lancer «une chasse aux responsabilités», l’opposition, elle, ne l’entend pas de cette oreille. Germain Mugemangango (PTB) promet qu’il n’y aura pas «d’absolution». Avec les humanistes du CDH, les communistes auraient souhaité une véritable commission d'enquête parlementaire, alimentée par des rapports d’experts.
Un dossier particulièrement sensible retiendra l’attention des députés régionaux au cours des prochains mois: les maisons de repos. Le sentiment commun est que leurs pensionnaires ont été sacrifiés pour pallier l’impréparation de la Belgique face au virus. Il ne fallait surtout pas encombrer les unités de soins intensifs. Les pensionnaires décédés ont été de surcroît versés aux statistiques sans que l’on sache si le virus les a réellement tués ou si leur disparition fut «naturelle». D’où un bilan approchant les 10.000 décès qui ajoute au côté apocalyptique de la crise sanitaire en Belgique.
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Elio Di Rupo le jure : «A aucun moment, la Wallonie n’a donné la consigne aux hôpitaux de refuser l’admission de personnes malades en provenance des maisons de repos».
Tout le monde n’a pas cette analyse de la situation. S’il reconnaît à la Wallonie le fait d’avoir bien réagi dans le cadre des compétences régionales, Vincent Frédéricq trace en revanche du «terrain» un portrait cauchemardesque : «Y a-t-il eu des refus d’hospitalisation de résidents de maisons de repos? Oui, je confirme que c’est le cas», affirme le secrétaire général de Femarbel, l’une des fédérations d'assistance aux personnes âgées. Il ajoute : «J’ai eu des retours du terrain disant qu’il y a eu des refus dans certains hôpitaux, j’insiste sur ''certains''. On les a remballés, il n’y a pas d’autre mot. À 22h30, avec le Covid-19.»
Je pense que les morts demandent justice
En tout, 1.600 décès ont été comptabilisés dans les maisons de repos wallonnes, plus de 3.000 autres étant notifiés à Bruxelles et surtout en Flandre.
Selon deux chercheurs (ULB et VUB), la mortalité a été presque deux fois plus élevée en maison de repos au cours du dernier printemps que pendant les mêmes périodes de 2018 et 2019 : +86 %.
Gare aux interprétations
Face à ce drame, le philosophe et juriste Benoit Frydman (ULB.) évoque un besoin de justice: «Oui, je pense qu’on a laissé mourir des gens dans des conditions inhumaines (…) Je pense que les morts demandent justice (…) Ce qu’il faut, c’est un juge d’instruction, voire plusieurs» pour enquêter sur ce dossier.
Pour plus d’un observateur, le travail parlementaire qui commence à Namur a une importance cruciale. Bien fait, il contribuera à rassurer la population quant à la capacité du monde politique à la protéger. Au cas contraire, il servira la défiance populaire et les théoriciens du complot…