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Union européenne

«Le Luxembourg doit servir d'inspiration pour les autres États membres»

Du 16 au 17 mars, le Forum des villes organisé à Turin par la Commission européenne a rassemblé plus de 750 participants venus de toute l'Europe. Parmi eux se trouvait Elisa Ferreira, Commissaire européenne à la cohésion et aux réformes.

Les solutions innovantes mises en place au Luxembourg grâce aux fonds européens doivent servir d'exemple pour les autres pays membres de l'UE, estime Elisa Ferreira.

Les solutions innovantes mises en place au Luxembourg grâce aux fonds européens doivent servir d'exemple pour les autres pays membres de l'UE, estime Elisa Ferreira. © PHOTO: Andrea Guermani/Commission européenne

Journaliste

De notre journaliste Laura Bannier, à Turin.

Qu'elles soient situées en Finlande, au Portugal ou au Luxembourg, les villes européennes font face aux mêmes challenges. De l'évolution démographique aux inégalités sociales en passant par la digitalisation, certains défis ne connaissent pas de frontières. Parmi ceux-ci, l'un se montre particulièrement pressant: le changement climatique.

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La transition écologique s'est donc logiquement imposée comme thématique pour la 5e édition du Forum des villes organisé par la Commission européenne les 16 et 17 mars à Turin. Au total, 750 participants, dont des élus locaux, nationaux et européens, en provenance de toute l'Europe ont pris part à ces deux journées de discussions et d'échanges.

Parmi les 100 intervenants ayant donné de la voix au cours des différentes conférences, se trouvait Elisa Ferreira, la Commissaire européenne à la cohésion et aux réformes. Entre deux rendez-vous, la représentante de l'institution européenne a accordé un moment d'échange aux journalistes.

Ce jeudi 16 mars, vous avez lancé l'Initiative urbaine européenne. Comment les villes luxembourgeoises vont-elles pouvoir bénéficier de ce nouvel outil? Les villes frontalières, faisant face à des problématiques particulièrement spécifiques, pourront-elles échanger avec d'autres villes frontalières?

Le Luxembourg est le pays le plus riche d'Europe, mais cela ne nous empêche pas de le soutenir financièrement. Nous nous concentrons sur des projets innovants, qui peuvent être soutenus dans le cadre de l'Initiative urbaine européenne, mais aussi dans le cadre des programmes Interreg.

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Pour régler les problèmes auxquels font face les villes frontalières, nous sommes particulièrement investis dans le développement de solutions pratiques via le programme b-solutions, qui vise à améliorer les relations entre les villes. Des problèmes frontaliers très concrets ont notamment été soulevés pendant la pandémie, certains malades étaient ainsi plus proches d'un hôpital situé de l'autre côté d'une frontière qu'un établissement de santé de son propre pays.

Nous essayons de construire et de développer la coopération entre les pays, mais bien sûr, nous savons que plusieurs problématiques inhérentes aux régions frontalières existent. La Commission européenne souhaite travailler sur des solutions plus horizontales qui pourraient être appliquées à l'ensemble des pays européens, à l'image du Mécanisme transfrontalier européen qui a malheureusement été rejeté par le Conseil, mais nous cherchons à construire des solutions sur cette base.

Nous demandons au Luxembourg de mettre en place des solutions plus innovantes, que ce soit d'un point de vue scientifique ou social, qui pourront ensuite servir d'inspiration pour les autres États membres.

Nous avons des exemples très intéressants du Luxembourg, par exemple dans l'intégration des personnes d'origine étrangère dans la société et aussi dans l'innovation. Nous finançons proportionnellement moins les pays qui peuvent s'aider eux-mêmes, à l'instar du Grand-Duché, c'est la logique de la politique de cohésion.

À noter qu'en offrant cette aide au Luxembourg, nous demandons un peu plus au pays. C'est-à-dire de mettre en place des solutions plus innovantes, que ce soit d'un point de vue scientifique ou social, qui pourront ensuite servir d'inspiration pour les autres États membres. L'aide offerte est moins importante, mais elle existe. C'est l'état d'esprit qui se cache derrière les fonds de cohésion.

2022 était l'année européenne de la jeunesse. Aujourd'hui, nous sommes réunis pour échanger sur le développement durable et l'avenir des villes européennes. Qu'est-il possible de faire concrètement pour les jeunes Européens au regard de ces transformations à venir?

Nous venons de publier une étude sur l'attractivité des talents dans les régions européennes. Dans ce document, nous essayons de nous concentrer sur la capacité des différentes régions à retenir les jeunes et les talents sur leur territoire. L'Europe est en train de devenir un continent très âgé. Nous avons estimé qu'en 2050, si nous n'arrivons pas à faire évoluer la situation, nous aurons perdu 35 millions de personnes au sein de la population active.

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Maintenant, si l'on regarde aux régions européennes, on se rend compte que beaucoup de territoires ont des difficultés pour trouver des travailleurs. Par ailleurs, certaines régions sont incapables de retenir les jeunes. C'est pourquoi, l'un des aspects sur lesquels nous devons réellement nous pencher, réside dans les conditions que nous offrons aux jeunes personnes pour qu'elles puissent avoir une famille et vivre à l'endroit où elles veulent réellement vivre. Ce n'est pas pour limiter les mobilités à travers les régions européennes, mais davantage pour s'assurer que lorsque quelqu'un déménage, c'est parce qu'il désire réellement déménager, et non parce qu'il ne peut pas trouver un travail ou construire une vie dans sa propre région.

C'est aussi pourquoi nous sommes si préoccupés par ce que nous pouvons faire pour améliorer la qualité de vie dans les villes moyennes et même dans les petites villes. Si l'on ne crée pas des pôles d'attractivité alternatifs aux grandes villes européennes, ces grandes villes deviendront invivables, car le coût du logement sera tel qu'il deviendra impossible pour un jeune couple d'y vivre.

À la lumière des tendances démographiques, le manque de main-d'œuvre va devenir un problème grandissant pour le continent.

En revanche, si l'on s'installe à l'extérieur des villes, on doit ensuite effectuer un trajet vers la ville pour aller travailler. Certaines personnes passent ainsi deux à trois heures chaque jour dans les transports. Avec des petits salaires, comment peut-on avoir une vie raisonnable? C'est impossible.

Il y a donc une tension entre les besoins d'une population vieillissante, et ceux des nouvelles générations...

Je pense qu'un développement plus équilibré, qui se concentre sur des villes plus petites dans le but de retenir l'activité économique déjà existante et d'attirer de nouvelles entreprises en rendant leur implantation plus facile, est essentiel. Il faut aussi rendre la création d'entreprises plus simple pour les jeunes qui sortent de l'université.

Alors que l'Europe s'apprête à devenir de plus en plus vieille, il faut à la fois créer des services adaptés pour les personnes âgées, tout en proposant aux jeunes générations des opportunités qui leur conviennent. Avec la pandémie, nous nous sommes collectivement rendu compte que nous n'avions plus besoin d'être physiquement dans le centre-ville d'une métropole pour avoir un emploi.

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Certaines villes commencent ainsi à être choisies par des multinationales comme des endroits idéals pour s'implanter. Si une ville moyenne a un bon système de santé, des écoles, une vie culturelle, et internet, elle devient attractive pour les entreprises. De cette façon, les employés ont une meilleure qualité de vie. Cela peut être un mouvement positif pour nous aider à retenir les talents dans certaines régions, mais aussi augmenter la valeur de certaines industries.

Pour faire tout ça, nous devons avoir une vision. Et cette vision que nous essayons de stimuler, qui ne se concentre pas seulement dans les villes, mais qui permet aussi de créer des centres-ville alternatifs pour enlever la compression des grandes métropoles, qui sont parfois dans des situations critiques avec des problèmes comme la pollution, la pauvreté ou encore les difficultés de mobilité qui s'accumulent. Un développement plus équilibré est donc une bonne façon d'atteindre ces objectifs.

Vous avez évoqué la problématique de la rétention des talents qui touche certaines régions européennes, mais l'Union européenne cherche aussi à attirer des talents en provenance de pays tiers. Comment cette politique va-t-elle bénéficier aux régions européennes?

Je pense que nous devons nous considérer comme des Européens faisant partie d'un monde mondialisé. À la lumière des tendances démographiques que j'ai mentionnées, le manque de main-d'œuvre va devenir un problème grandissant pour le continent. Mais si l'on s'intéresse à d'autres régions du monde, comme l'Afrique, on se rend compte qu'il existe des endroits où les jeunes sont majoritaires.

L'Europe doit être consciente de son rôle dans le monde, étant un continent ouvert tout en ayant une stratégie pour son futur.

C'est donc le moment de réfléchir à l'organisation de notre position stratégique à l'échelle mondiale et aux façons dont nous pouvons attirer les talents à travers la planète. Il est important et stratégique pour l'Europe de ne pas se considérer comme un très vieux continent, mais comme un continent qui est capable de jouer un rôle dans le monde et qui ne laisse pas les talents s'échapper.

L'attraction des talents en provenance de pays tiers va donc de pair avec le fait de porter un regard plus global à l'Europe, dans un contexte mondial. C'est quelque chose qui a parfois été oublié par le passé. Nous sommes un continent ouvert, mais tout de même il faut garder à l'esprit qu'il ne faut pas perdre le contrôle de certains aspects stratégiques de notre industrie, comme l'industrie des satellites ou celle des ordinateurs, par exemple. Nous devons donc adopter une attitude géostratégique en pensant aux aspects que nous souhaitons réellement retenir sur notre territoire.

C'est également la logique derrière le Net-Zero Industry Act, un plan visant à développer les industries primordiales pour le futur sur le sol européen en dopant la compétitivité du continent face à d'autres pays comme la Chine ou les Etats-Unis. L'Europe doit être consciente de son rôle dans le monde, étant un continent ouvert tout en ayant une stratégie pour son futur.

Nous sommes au cœur d'une crise, avec une inflation particulièrement élevée, une crise de l'énergie, pourtant l'esthétique est l'un des trois piliers du Nouveau Bauhaus européen. Pouvons-nous nous permettre d'accorder de l'importance à l'esthétique dans la construction des bâtiments en ces temps de crise?

L'esthétique ne se rapporte pas au prix. La beauté peut aisément s'incarner dans un projet. Parfois, il faut juste y être attentif. Peu importe le projet que vous portez, vous pouvez le faire en prenant soin de respecter ce critère, qui a un impact sur la qualité de vie des habitants. Si vous regardez les idées proposées par les jeunes porteurs de projets ayant postulé au Nouveau Bauhaus européen, il s'agit de projets assez faciles à mettre en œuvre, qui ne nécessitent pas forcément de gros investissements financiers.

Je ne pense pas que l'esthétique soit un luxe. Je pense que cela va ensemble. C'est de s'assurer que nous allons investir dans des projets et le faire correctement. Il est important de soutenir des initiatives qui vont aider les personnes à se sentir bien dans les villes dans lesquelles elles vont habiter. Nous devons contribuer au bien-être des habitants des villes, et cela passe par le critère de l'esthétique.

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