Virgule

Manuela Tomei: "Des exclus du droit"

Manuela Tomei, directrice du Programme sur les conditions d’emploi et de travail du BIT, évoque le sort des travailleurs domestiques dans une interview à BIT online, que nous reproduisons ici avec l'aimable autorisation du BIT.

Manuela Tomei, directrice du Programme sur les conditions d’emploi et de travail du BIT, évoque le sort des travailleurs domestiques dans une interview à BIT online, que nous reproduisons ici avec l'aimable autorisation du BIT.

Comment définiriez-vous le travail domestique?

Les travailleurs domestiques peuvent faire la cuisine ou le ménage, s’occuper d’animaux domestiques ou prendre soin des enfants, de personnes âgées ou handicapées. Ils travaillent à temps complet ou partiel, sont salariés d’un ou plusieurs employeurs. Ils peuvent aussi être indépendants avec un contrôle drastique de leurs conditions d’exercice, ou dispenser des services chez des particuliers tout en étant rémunéré par des institutions agréées. Les travailleurs domestiques, en particulier les migrants employés de maison à plein temps, peuvent également être logés au domicile de leur employeur.

BIT en ligne: Quelle est la composition de cette main-d’œuvre?

La composition varie par pays et au fil du temps mais, partout, ses effectifs augmentent. Si le travail domestique est souvent l’apanage des femmes, majoritairement immigrées, les hommes peuvent aussi être employés comme jardiniers, gardiens de résidences privées ou chauffeurs de maître. Selon un nouveau rapport du BIT préparé pour la Conférence internationale du Travail de cette année, le travail domestique absorbe une proportion significative de la main-d’œuvre, variant de 4 à 10 pour cent de l’emploi total dans les pays en développement et atteignant jusqu’à 2,5 pour cent dans les pays industrialisés.

Quelles sont les raisons qui expliquent cette hausse du travail domestique?

L’évolution de l’organisation du travail et l’intensification des tâches, ainsi que la hausse sensible du taux d’activité des femmes qui les a rendues moins disponibles pour les tâches ménagères non rémunérées sont à l’origine de cette augmentation. Parallèlement, le vieillissement des sociétés, l’intensification des mouvements des migrations nationales et internationales des femmes et le désengagement de l’Etat dans le secteur des services sociaux et à la personne ont rendu plus difficile pour les familles de concilier travail rémunéré et responsabilités familiales. De ce fait, le recours au travail domestique s’est accru partout dans le monde comme stratégie individuelle pour soulager les tensions croissantes entre travail et vie privée.

Quelles sont leurs conditions de travail?

Malgré une importance socio-économique accrue, le travail domestique a été et demeure l’une des formes d’emploi les plus précaires, mal rémunérées, dépourvues de sécurité et de protection. De nombreux employés de maison sont surchargés de travail, sous-payés et ne bénéficient d’aucune protection. Abus et exploitation sont monnaie courante, en particulier lorsqu’il s’agit d’enfants et de travailleurs migrants. En raison de leur jeune âge ou de leur nationalité, et du fait qu’ils vivent souvent au domicile de leur employeur, ils sont particulièrement vulnérables aux violences verbales et physiques. Ces violences, qui peuvent aller jusqu’au suicide et au meurtre dans le pire des cas, sont fréquemment dénoncées dans les médias.

D’où vient ce manque de protection?

Le grave déficit de travail décent auquel sont confrontés les travailleurs domestiques est une conséquence de leur vulnérabilité sociale et juridique. Les travailleurs domestiques sont exclus en droit ou en pratique de la protection effective de la législation nationale du travail et des régimes de sécurité sociale – à la fois dans les pays industrialisés et dans les pays en développement. Un autre cas est l’exclusion flagrante des travailleurs domestiques du champ de la législation relative à la santé et à la sécurité au travail dans la plupart des pays, le foyer étant à tort perçu comme sûr et sans risque.

Quelle est la particularité du travail domestique qui nécessite une réglementation spéciale?

Le travail domestique se distingue des autres formes de travail à bien des égards. Premièrement, le travail domestique est généralement confiné à l’intérieur des maisons, restant ainsi hors de portée des mécanismes conventionnels de contrôle, tels que les services d’inspection du travail qui se heurtent à des obstacles juridiques et administratifs pour l’inspection de locaux privés.

Deuxièmement, le travail domestique correspond au travail habituellement assumé à titre gracieux par les femmes; il est par conséquent perçu comme n’ayant pas de valeur et extérieur à l’économie «productive». Cela explique pourquoi les travailleurs domestiques gagnent généralement de faibles salaires, qu’ils sont souvent sous-payés ou que leur salaire n’est pas versé à intervalles réguliers.

Troisièmement, les travailleurs domestiques ont un pouvoir de négociation limité parce qu’ils constituent une main-d’œuvre «invisible» et isolée (travaillant au sein des foyers, à l’abri des regards), sans collègues de travail vers lesquels se tourner pour trouver appui et conseils sur ce qui peut être considéré comme une juste revendication ou un traitement inacceptable. Quand il s’agit de travailleurs migrants, l’isolement peut être encore plus important puisqu’ils ne maîtrisent souvent pas la langue locale ou nationale, qu’ils n’ont ni famille ni réseaux de soutien sur lesquels s’appuyer. Toutes ces caractéristiques renforcent la perception du travail domestique comme n’étant pas un «vrai» travail et contribuent ainsi à ce qu’il soit toujours sous-évalué et négligé.

Sur le même sujet