Réforme des retraites: les manifestants s'inspirent de... Bruce Lee
Être aussi insaisissable que l'eau. Voici la devise de ces groupes de manifestants qui se forment et se déforment aussitôt dans les rues de Paris. Une technique qui a démontré toute son efficacité dans les rues de Hong Kong.
Les forces de l'ordre ne savent plus où donner de la tête. © PHOTO: AFP
(AFP) - Fluides et imprévisibles, les jeunes opposés à la réforme des retraites ont déployé à Paris de nouvelles tactiques d'actions collectives de rue, inspirées des Hongkongais lors de la révolte populaire dans cette région semi-autonome chinoise. «On est ''be water'' (Ndlr: soyez de l'eau) comme à Hong Kong... Enfin, on essaie de l'être», explique Romain (prénom modifié) dans une ruelle des Halles, la police aux trousses, lundi soir. «On doit renouveler nos actions, pour maintenir la pression», glisse cet étudiant.
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Les deux motions de censure viennent d'être rejetées, entraînant l'adoption de la réforme des retraites, et des groupes de jeunes aux slogans anti-Macron se déplacent d'un quartier à l'autre, incendiant des poubelles. Ils marchent rapidement, sont parfois par grappe de dizaines, parfois en bloc, dans une énième action non déclarée. Beauvau en a recensé 1.200 depuis jeudi.
Mais la masse évolue «comme de l'eau»: sitôt les forces de l'ordre à proximité, elle s'éclate en une nuée de mini-groupes qui ralentissent le pas une fois hors de portée de matraques, et se reforment en bloc quelques pâtés d'immeubles plus loin.
Bouchons, arcs et Bruce Lee
Les récurrents «on va où maintenant?» entendus entre deux charges ou nuages de lacrymogènes attestent de l'absence de cible. «On veut juste montrer qu'on est là», dit Romain. Ils étaient «à peu près 2.000», en «petits groupes éclatés» qui «n'ont jamais excédé 2 à 300 personnes», a estimé mardi le préfet de police de Paris, Laurent Nuñez.
La formule «be water» est une référence au héros du cinéma hongkongais Bruce Lee, que les manifestants ont adoptée lors du soulèvement dans l'ex-colonie britannique déclenché en 2019 par un projet de loi - finalement retiré - qui prévoyait d'autoriser les extraditions vers la Chine.
On essaie de se diversifier en espérant que ça prenne.
Les manifestations, monstres et pacifiques, s'étaient faites quotidiennes. Pour braver les interdictions - du masque, de manifester -, les opposants avaient rivalisé d'ingéniosité pour défendre dans la rue les libertés promises à ce petit territoire lors de la rétrocession à la Chine en 1997. «A Hong Kong, ils étaient super bien organisés: ils se fabriquaient des arcs avec tout et rien. Il y avait d'autres manifestants qui cachaient des vêtements dans les rues pour ceux qui étaient en première ligne. On n'en est pas là ici, mais on essaie de se diversifier, en espérant que ça prenne», résume Romain.
Lundi soir, outre la fluidité et l'absence de caillassage de vitrines ou d'abribus -- contrairement aux violences survenues en marge des manifestations organisées par l'intersyndicale -, les manifestants ont appliqué une autre technique: joncher les rues d'obstacles pour entraver la progression motorisée des forces de l'ordre.
Velib, poubelles, palettes de bois ont servi à dresser des barricades de fortune, parfois incendiées. Ailleurs, comme dans le Marais ou devant le Louvre, des barricades plus élaborées avec des barrières de chantier bloquent le passage sur plusieurs dizaines de mètres. «L'architecture de Paris n'est pas propice à l'insurrection, c'est conçu pour», souligne Flora (prénom d'emprunt), en référence aux larges artères haussmaniennes. «Donc on s'adapte.»
L'architecture de Paris n'est pas propice à l'insurrection
Exit donc la vaste Concorde, l'ex-place de la Révolution où la colère de quelques milliers de manifestants s'était exprimée jeudi dernier en réaction au recours à l'article 49.3 de la Constitution qui permet l'adoption d'un texte sans vote. L'occupation n'a pas fonctionné, 292 personnes ont été interpellées. D'autres idées de lieux circulent en ligne, de même qu'une multitude de «bonnes astuces» made in Hong Kong, vidéos et infographies à la clé.
«Hong Kong, c'est un haut niveau, c'est presque de la guérilla urbaine, si les techniques se transmettent aussi ici, ça sera dingue !», dit un internaute sur Twitter. «Vous prenez des bouchons en liège, vous les transpercez au centre avec deux clous. Et vous verrez les motos de la BRAV», les brigades de répression de l'action violente, suggère un autre.
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A Hong Kong, les manifestants avaient tenté de paralyser le quartier des affaires pour prendre à la gorge le centre financier, crucial pour Pékin. L'idée d'«attaquer le gouvernement au portefeuille» chemine aussi dans les rangs des manifestants à Paris comme dans d'autres villes de France, en bloquant usines, routes et transports.