Sur les réseaux sociaux, la désinfluence est la nouvelle tendance
Un nouveau concept apparaît sur TikTok : la désinfluence. Les influenceurs déconseillent des produits à leurs abonnés dans une logique anticonsumériste. Mais il s’agit surtout d’une stratégie marketing.
Le mot-dièse #deinfluencing cumule plus de 500 millions de vues sur le réseau social chinois. © PHOTO: Shutterstock
«Ne scrollez pas, parce que je vais vous faire économiser des centaines d'euros chez Sephora.» C’est ainsi que Nastblog, une influenceuse beauté suivie par 70,2K followers, commence l’une de ses vidéos TikTok. «Les girls, j'ai vu passer la trend, je vous désinfluence. Je vous ai sélectionné les pires produits de chez Sephora, et par quoi il faut les remplacer», continue-t-elle, pleine d’enthousiasme. Sa vidéo est emblématique de la nouvelle tendance du moment, qui consiste à désinfluencer les consommateurs (deinfluencing en anglais).
La désinfluence, observée sur TikTok, a principalement trait aux produits de beauté. Selon Visibrain, une plateforme de veille des réseaux sociaux, 55% des posts avec le mot-dièse #deinfluencing concerne «l’univers du maquillage, de la coiffure et du skincare». La mode est le second domaine ciblé, avec 12% des posts.
Les influenceurs racontent leurs expériences positives avec des produits sur les réseaux sociaux. Ça, c’est le principe de l’influence. Les désinfluenceurs, eux, font des vidéos afin de dissuader les consommateurs d’acheter quelque chose, car ils ont eu des expériences négatives avec. Leur objectif serait d’éviter la surconsommation en étant sincère sur la réelle plus-value de certains produits. Les adeptes de cette tendance prônent avant tout l’honnêteté envers leurs abonnés.
Faire de la désinfluence, une façon de «se démarquer»
Pour Pauline Gonry, account manager et digital specialist chez VOUS Agency à Steinfort, ce phénomène correspond à de nouvelles attentes de la part des consommateurs. «Ils recherchent de plus en plus des contenus authentiques et transparents sur les réseaux sociaux», évalue-t-elle. Une vision corroborée par REECH, une entreprise experte du marketing d’influence. Selon son étude datant de 2023, 51% des consommateurs pourraient arrêter de suivre un créateur de contenu parce qu’il pousse à la surconsommation ; 35% parce qu’il promeut des marques ou des produits non éthiques.
La désinfluence serait ainsi une manière de s’adapter aux utilisateurs des réseaux sociaux. D’après Pauline Gonry, il importe cependant de distinguer les influenceurs des créateurs de contenu car ils ne renvoient pas tout à fait à la même réalité.
Différence entre un influenceur et un créateur de contenu
Un influenceur a «une beaucoup plus grande audience» qu’un créateur de contenu, selon Pauline Gonry. «Il va être capable d’influencer beaucoup plus les opinions et les comportements de leurs followers», indique-t-elle.
A l’inverse, un créateur de contenu a une audience de niche». Il va donner son avis, être critique et exprimer sa créativité. «Le contenu qu’il va créer sera plus en phase avec sa personnalité et moins accès sur la rentabilité», décrypte la spécialiste des réseaux sociaux.
«La désinfluence peut également permettre aux influenceurs de se démarquer dans un marché saturé», poursuit l’experte. «Cela peut attirer l’attention des marques et partenaires potentiels qui apprécient leur intégrité et leur authenticité».
Concrètement, cette désinfluence peut être une stratégie gagnante pour les marques. «Elles peuvent exprimer leur engagement à améliorer leurs produits ou services en réponse aux commentaires négatifs. Cela renforce la confiance des consommateurs», développe l’account manager de VOUS Agency.
La désinfluence, apparue «en réponse à certaines pratiques commerciales vues comme trompeuses», est ainsi censée «mettre un frein aux publicités mensongères présentes sur les réseaux sociaux». Enfin, en théorie. Car sous couvert de sincérité, cette tendance permet surtout aux influenceurs d’engranger toujours plus de vues.
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Le rôle prépondérant des algorithmes
Pauline Gonry est formelle : «la désinfluence est une énième stratégie de communication». «C’est purement une tendance que les influenceurs suivent pour faire plus de vues et de gains», insiste-t-elle.
Les algorithmes, qui sont au fondement même des réseaux sociaux, ont un rôle à jouer dans l’avènement de ce phénomène. D’après l’étude 2023 de REECH, 44% des consommateurs voient les contenus des créateurs dans leur fil d’actualité sans y être abonné. La désinfluence a ainsi une visibilité accrue sur les réseaux sociaux. «Aujourd’hui, les algorithmes détectent les centres d’intérêt et personnalisent le fil d’actualité des consommateurs. Les influenceurs surfent là-dessus», estime Pauline Gonry.
Cependant, l’essentiel reste que le consommateur puisse exercer son esprit critique. «Ce n’est pas parce qu’une femme n’a pas supporté telle crème sur sa peau ou tel shampoing que ça ne va pas convenir ou être bénéfique pour une autre femme», avance l’employée de VOUS Agency. «C’est pour ça que le marketing d’influence doit servir à bon escient à la promotion d’un produit. Par derrière, les abonnés doivent pouvoir juger par eux-mêmes de la nécessité ou du besoin de l’acheter», renchérit-elle.
«Eduquer les consommateurs au libre-arbitre»
Au final, tout repose sur le libre-arbitre. «Pour moi, le plus important est d’éduquer les consommateurs au libre-arbitre et aux choix qu’ils peuvent faire en fonction de leur situation», détaille Pauline Gonry. Il s’agit alors de prendre des décisions par rapport à son ressenti. «L’avis de @HeyohCoco sur TikTok est assez intéressant sur le sujet», juge-t-elle.
L’account manager déplore en outre que les influenceurs ordonnent d’acheter (ou pas) un produit, au lieu de «mettre en avant ses caractéristiques». «Les collaborations entre les influenceurs et les marques doivent être plus transparentes», souligne-t-elle à plusieurs reprises. «Par exemple les influenceurs peuvent dire «j’utilise ça mais peut-être que ça ne vous plaira pas ou vous n’aimerez pas l’odeur», au lieu d’être trop catégoriques».
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A l’heure où, selon REECH, «2/3 des utilisateurs des réseaux sociaux souhaitent que l‘influence évolue vers plus de responsabilité et d’éthique», on aurait pu penser que la désinfluence était la solution. Or ce n’est pas du tout le cas, bien au contraire.