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5 idées politiques innovantes confrontées à la réalité

Chaque parti politique en lice pour les législatives du 14 octobre propose, dans son programme, des idées novatrices pour le Luxembourg. Mais ces promesses sont-elles vraiment réalisables? Nous avons posé la question à un spécialiste des questions économiques et sociales.

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Christelle Brucker

Parmi l'ensemble des idées innovantes que nous avons pu relever dans les programmes des principaux partis politiques du Luxembourg, un grand nombre concerne l'organisation du travail.

Mieux concilier vie professionnelle et vie privée est clairement un thème qui s'impose dans cette campagne électorale.

La semaine de 38 heures et une 6e semaine de congés

Ainsi, du côté du LSAP, on plaide pour le passage de la semaine de travail à 38 heures au lieu des 40 actuelles. Les socialistes réclament aussi l'introduction d'une sixième semaine de congés dans le secteur privé, comme c'est déjà le cas dans le secteur public.

"Pour les entreprises, cela représente un cumul assez risqué", estime Marc Muller, professeur de Sciences économiques et sociales à Luxembourg et président de la Conférence nationale des professeurs de Sciences économiques et sociales (CNPSES).

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"Une semaine de congé pour un salarié signifie 40 heures prestées en moins sur l'année, et 38 heures de travail hebdomadaires signifient encore 90 heures de moins sur un an. Est-il vraiment possible de financer ces coûts au sein de toutes les entreprises, y compris les petites et moyennes?"

"Surtout pour un petit pays comme le Luxembourg, très exposé à la concurrence internationale: on doit veiller à ce que les coûts salariaux et donc de production ne deviennent pas trop élevés, cela ferait fuir les entreprises."

"Pour une petite économie comme la nôtre, nécessairement ouverte vers l'extérieur, c'est extrêmement difficile de prendre certaines décisions car on ne sait jamais exactement quelles peuvent être leurs répercussions au niveau de la compétitivité, dans un contexte international, etc."

Verdict: risqué, surtout dans le cumul.

Le temps de travail annuel

Le DP veut, quant à lui, introduire un temps de travail annuel (1.800 heures) que le salarié pourrait gérer comme il l'entend pour organiser au mieux son quotidien.

"Cela peut tourner à l'avantage des salariés... ou pas", met en garde Marc Muller. Derrière l'utopie d'un temps de travail modulable à souhait pour tous les salariés il souligne que ce ne sera pas possible dans certaines entreprises, en particulier les PME. "D'un autre côté, les entreprises soumises à des pics de production à certains moments de l'année pourraient mieux réagir."

"Cette organisation du travail peut être bénéfique pour les entreprises et les salariés d'un secteur mais pas d'un autre. Les conventions collectives constituent alors un bon outil, entre le cadre législatif fixe au niveau national, et la liberté propre à chaque entreprise, pour négocier branche par branche avec les représentants des travailleurs et du patronat."

"Je pense qu'on va entrer dans une ère où les jeunes vont de toute façon pousser les entreprises à devenir plus flexibles. Pour eux, il est beaucoup plus important d'avoir du temps libre et une certaine qualité de vie que de gagner toujours plus d'argent."

Verdict: faisable.

L'augmentation de 100 euros nets du salaire minimum

L'augmentation du salaire social minimum de 100 euros nets est inscrite dans le programme du LSAP avec application au 1er janvier 2019. "On parle ici de salaire net, soit après impôt, ce qui veut dire que cette mesure ne pèse pas forcément sur les entreprises. L'Etat peut choisir de diminuer l'impôt prélevé sur le salaire social minimum pour financer partiellement cette augmentation de salaire."

Si le LSAP compte effectivement passer par une réduction d'impôt pour atteindre une augmentation du salaire minimum, on peut s'interroger sur le nombre de bénéficiaires de cette mesure car, en règle générale, au salaire minimum, si on est marié avec des enfants à charge, on ne paye pas d'impôt.

Verdict: faisable.

La décroissance

La priorité de l'ADR est d'enclencher la décroissance. D'autres partis vont dans ce sens mais de manière plus nuancée, estimant qu'il est urgent de mieux gérer l'expansion économique galopante du pays. Mais peut-on vraiment "décider" de ralentir la croissance?

"Bonne question! Contrôler la croissance est très difficile en réalité, d'ailleurs je pense que le gouvernement luxembourgeois n'a plus la mainmise sur la croissance depuis des années. Par contre, on peut orienter une économie, la guider, privilégier certaines activités via des mesures d'encadrement favorables à un secteur par exemple."

"Cela dit, les discussions récentes sur l'implantation de Google, Fage ou Knauf montrent combien c'est délicat. A-t-on le droit de dire à une entreprise qu'on ne la veut pas au profit d'autres? Je pense que pour le faire, il faut plutôt être proactif envers les sociétés qu'on souhaite attirer: celles qui ne polluent pas le terrain, qui produisent de la haute valeur ajoutée avec moins de main-d'oeuvre, etc."

Marc Muller souligne, dans le contexte de la croissance, combien les problèmes du Luxembourg sont en tous points comparables à ceux que connaissent de grandes agglomérations comme Paris, Londres ou Munich.

"Ces pôles d'attractivité concentrent également de nombreux travailleurs qui viennent de loin, avec des temps de trajet longs et des soucis de mobilité. On ne les appelle pas frontaliers puisqu'on reste dans le pays... Dans ces zones, les prix de l'immobilier flambent, le PIB par tête est très élevé, tout comme au Luxembourg. Notre particularité est simplement que chez nous, ces problématiques prennent une envergure nationale vu la taille du pays."

Verdict: peu probable.

L'abaissement de l'impôt sur les sociétés à 20%

C'est une proposition du CSV: abaisser le taux d'imposition des entreprises à 20%. "Ils parlent du taux d'affichage. Pour une société qui cherche à s'implanter en Europe, un taux à 26% actuellement au Luxembourg ne pèse pas lourd face aux 12,5% appliqués en Irlande."

"Le taux d'imposition des sociétés soulève deux enjeux principaux: d'un côté, la compétitivité internationale du Luxembourg en tant que lieu de production, et d'un autre côté, la question de l'équité. Doit-on imposer davantage le travail ou les entreprises? Ces dernières années, l'opinion publique a manifesté son mécontentement face aux grandes entreprises qui ne payent pas ou peu d'impôt. Cela signifie plus de bénéfices nets et donc plus d'argent à distribuer aux actionnaires. Cela crée un certain malaise et creuse les inégalités."

"Un taux attractif séduit les entreprises et crée des emplois."

Cette situation économique peut parfois pousser les électeurs d'un pays vers le vote d'extrême droite. "Dans le jeu des couches sociales, tant que les immigrés se glissent sous les autres, ça se passe bien. C'est le cas au Luxembourg. Mais si l'économie est limitée, qu'il n'y a pas de travail pour tout le monde et que des immigrés arrivent, ça se complique."

Verdict: faisable.

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