«99% des enfants n'auront pas accès à leurs origines»
Actuellement dans les mains du Conseil d'Etat, le projet de loi sur la connaissance des origines est perçu comme «discriminant» par certains parents et professionnels de santé. A leurs yeux, l'Etat confond «identité du donneur et secret de famille».
Depuis 2006, près d'un millier d'enfants sont nés d'une PMA au Luxembourg. © PHOTO: AFP
Cecilia Guichart entend se battre «jusqu'au bout». Mère de deux enfants issus de procréations médicalement assistées (PMA), en couple avec une femme, elle se sent «menacée et pointée du doigt» par le projet de loi sur les origines qui vise à permettre aux enfants de connaître l'identité de leur(s) donneur(s). Si pour la ministre de la Justice, Sam Tanson (Déi Gréng), il s'agit d'un moyen de «s'assurer du bien-être des enfants», ce texte est «très hypocrite», pour la mère de famille.
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Car si le projet «stipule clairement que l'Etat ne s'immiscera pas dans la vie familiale», Cecilia Guichart y perçoit une menace pour son modèle familial et celui des couples homoparentaux, car il reviendrait à y «introduire un troisième parent» en les forçant à recourir à un donneur identifié. «Autrement dit, certains couples hétéro pourront continuer de mentir à leurs enfants, alors que les couples homoparentaux n'auront de toute façon pas le choix», déplore-t-elle.
Un avis partagé par le docteur Thierry Forges, biologiste au sein du centre hospitalier de Luxembourg (CHL), l'un des rares médecins du Grand-Duché à pratiquer les PMA. A ses yeux, «99% des enfants» conçus par un don de sperme ou d'ovocyte «n'auront pas accès à leurs origines», puisque leurs parents iront de toute façon «en Belgique ou en Espagne» pour concevoir leur enfant avec l'aide de la science. Deux pays où il n'existe, selon lui, aucune ouverture pour supprimer cet anonymat.
«Une fois l'opération réussie, une femme peut très bien rentrer accoucher au Luxembourg et déclarer l'enfant comme étant biologiquement le sien», relève le médecin. Quant aux patientes nécessitant un don d'ovocytes et qui voudraient respecter la loi, elles se verraient «contraintes de renoncer à leur projet», ce don étant majoritairement anonyme en Espagne, où il est le plus souvent pratiqué.
S'il se montre critique, le spécialiste estime que le projet de loi part néanmoins «d'une bonne intention». Le texte porté par Sam Tanson vise selon lui à «rétablir une véritable injustice». La ministre l'a en effet conçu en cherchant à protéger les enfants de l'ignorance, en leur donnant accès à l'identité de leur(s) géniteur(s) à leur majorité, leur permettant de «mieux se construire».
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Sauf que dans les faits, en voulant à tout prix «assurer le bien-être des enfants», l'Etat «ne s'y prend pas de la bonne façon» selon le Dr Forges, puisque la mesure ne concerne que les bébés nés d'un don de sperme, soit «moins de 1% des enfants nés au Grand-Duché». Cet accès à la vérité pourrait même se faire d'après lui aux dépens des couples homoparentaux et des plus pauvres, le recours à un donneur non anonyme étant «plus cher», relève l'expert. «Pour moi , cette loi est absurde», estime le biologiste.
D'autant que selon lui, «85% des couples» qui passent dans son service ont d'ores et déjà fait appel à un donneur identifié. Quant à ceux qui comme Cecilia Guichart choisissent de ne pas connaître le nom de famille du donneur, ils disposent toutefois d'une foule d'informations à son sujet. Taille, poids, âge, passions, maladies, le donneur écrit même une lettre adressée aux enfants issus de son don.
Au Luxembourg, 681 fécondations in vitro et 375 inséminations sont pratiquées en moyenne chaque année dans le cadre de PMA. Depuis 2006, près d'un millier de bébé sont nés grâce à la science. Un nombre tout relatif, puisque certains couples préfèrent partir à l'étranger pour procéder à une intervention, une pratique «plus courante qu'on ne le croit chez les couples hétérosexuels», note le Dr Forges.
Suffisamment de donneurs
Si certains parents craignent que le projet de loi ne fasse chuter le nombre de donneurs, le Dr Forges se veut rassurant. «On a constaté en Angleterre une légère baisse des dons au début, mais ça n'a pas duré», relève-t-il. Selon les données de la banque Cryos, localisée au Danemark et principal fournisseur de sperme pour les PMA au Luxembourg, 514 donneurs sur les 817 étrangers disponibles pour le Luxembourg sont anonymes. «Ce qui nous laisse à peine 37% de donneurs identifiés», déplore Cecilia Guichart, qui appréhende la nouvelle limitation que la loi va lui imposer. A noter qu'au CHL, les équipes médicales ont décidé de limiter l'attribution d'un même donneur à un maximum de trois receveuses.