Arrêtons d’opposer médecine hospitalière et médecine extrahospitalière
Il est temps de faciliter l’accès à la médecine extrahospitalière, écrivent les médecins Monique Reiff et Jean Reuter dans une tribune.
Au centre du débat, le service de radiologie avec IRM au Potaschbierg. Le patient a tout à gagner dans un système de santé qui offre de façon adéquate une médecine de proximité extrahospitalière, soulignent les auteurs. © PHOTO: Anouk Antony
Par Monique Reiff et Jean Reuter *
L’ouverture d’un centre de diagnostic radiologique au Potaschbierg a fait couler beaucoup d’encre ces derniers jours. Partisans et opposants ne cessent de s’invectiver, les uns invoquant le risque d’une médecine à deux vitesses avec un accès privilégié réservé aux plus fortunés, les autres pointant du doigt un corporatisme hospitalier imaginaire bloquant toute initiative visant à améliorer l’accès à la médecine, notamment par des centres ambulatoires.
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Transférer des actes diagnostiques ou des actes thérapeutiques «à risque calculable» vers des centres ambulatoires peut constituer une double chance: d’une part faciliter l’accès géographique (le choix d’un centre de diagnostic radiologique dans l’est du pays est tout sauf un hasard) et temporel à l’acte, et d’autre part permettre aux structures hospitalières de se focaliser en priorité sur les urgences et les patients fragiles et multimorbides et de raccourcir les délais de prise en charge spécialisée. A titre d’exemple, n’est-il pas absurde que des séjours hospitaliers se prolongent régulièrement faute d’un créneau d’imagerie médicale disponible? Des jours d’hospitalisations d’«attente» qui coûtent cher à la CNS et consomment inutilement des ressources humaines qui manquent ailleurs.
La médecine extrahospitalière joue un rôle essentiel et complémentaire par rapport à la médecine hospitalière dans tout système de santé digne d’être qualifié de moderne.
La demande d'un «outsourcing» extrahospitalier est déjà là
Certains opposants à un «outsourcing» extrahospitalier d’une partie de la prise en charge médicale arguent que l’offre créera automatiquement la demande, augmentant mécaniquement la facture de la CNS. Cette réflexion n’est certainement pas farfelue, cependant elle ignore la réalité du terrain. La demande est déjà là et peut être constatée dans les centres de radiologie à St Vith, Trèves ou Thionville. Voilà la médecine à deux vitesses, avec les privilégiés qui ont leur rendez-vous en quelques jours à l’étranger et puis les autres.
On peut donc raisonnablement dire que le patient a tout à gagner dans un système de santé qui offre de façon adéquate une médecine de proximité extrahospitalière. A une condition toutefois: la médecine hospitalière ne doit pas en faire les frais.
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S’il y a une partie non négligeable de la médecine qui peut être réalisée dans des centres ambulatoires ou centres médicaux de proximité, il y a toutefois des domaines de la prise en charge médicale qui nécessitent des structures hospitalières avec des compétences spécifiques et souvent multidisciplinaires et appelées à prendre en charge des pathologies lourdes 24 heures sur 24, sept jours sur sept, notamment dans les «centres nationaux hospitaliers».
Suggérer, comme certains l’ont fait récemment, que les hôpitaux sont surfinancés et les employés hospitaliers sous la houlette du premier syndicat luxembourgeois, trop grassement payés, nous semble particulièrement indécent après deux années d’engagement total des hôpitaux contre le Covid. Pour une structure supposément surgonflée et parasitée par des hiérarchies administratives inefficaces, l’hôpital luxembourgeois, il faut le souligner, a fait preuve ces deux dernières années d’une flexibilité et d’une adaptabilité remarquables.
Si nous voulons préserver et surtout améliorer la médecine hospitalière, tout en développant la médecine extrahospitalière dans l’intérêt du patient, il faudra veiller à préserver l’attractivité de l’hôpital pour le corps médical. L’exercice de la médecine hospitalière peut être humainement très gratifiant, avec la prise en charge souvent en urgence, au sein d’équipes multidisciplinaires, de patients fragiles et multimorbides, ainsi qu’avec des actes techniques de plus en plus sophistiqués et complexes.
Mais l’activité hospitalière présente également des contraintes non négligeables qui pèsent sur la vie privée des professionnels. Assurer des gardes et astreintes de 24 heures, week-ends et jours fériés, et ce en grande partie non rémunéré (pour l’instant), est un fardeau que de nombreux médecins ne veulent plus porter. La possibilité de s’installer dans un centre ambulatoire sans attache hospitalière, sans obligation de gardes de nuit ou d’astreinte de week-end risque d’aggraver le manque d’attractivité de la médecine hospitalière.
Si le conventionnement des futurs centres ambulatoires avec un hôpital peut être un moyen adéquat, dans certaines spécialités, pour faire participer les médecins des centres ambulatoires aux listes de gardes et astreintes de l’hôpital, cette solution est loin d’être satisfaisante dans d’autres spécialités. Tel un orchestre symphonique, la prise en charge de patients complexes nécessite des équipes parfaitement rodées, où chacun connaît son rôle et les procédures en place. Sans remettre en question les compétences de médecins extrahospitaliers, demander à ces derniers de jouer le premier violon une fois par mois ne peut être considéré comme une solution satisfaisante.
La question d’une tarification unique
Enfin, si nous menons à bout la réflexion sur la complémentarité de la médecine hospitalière et extrahospitalière, la question de la pertinence d’une tarification unique, ne faisant pas la distinction entre hospitalier et extrahospitalier, doit être posée.
Si à terme, la majeure partie de la médecine diagnostique et thérapeutique «avec risque calculable» se fait dans des centres indépendants, et que la médecine hospitalière sera (majoritairement) dédiée aux patients «multimorbides et vulnérables», il faudra veiller à ne pas pénaliser davantage la médecine hospitalière en appliquant une tarification calquée sur un fonctionnement ambulatoire.
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En effet, un même «acte» peut prendre beaucoup plus de temps en fonction de la gravité de la maladie ou de la sévérité des antécédents. Tout comme l’activité radiologique hospitalière peut (et doit) régulièrement être interrompue pour des urgences chronophages, comme par exemple la prise en charge de polytraumatisés ou l’embolisation de saignements aigus. La remise en question de la tarification à l’acte de la médecine hospitalière ne doit pas constituer un tabou.
Plutôt que de se replier sur une position idéologique opposant médecine hospitalière et médecine extrahospitalière, il est temps de développer et de faciliter l’accès à la médecine extrahospitalière tout en maintenant le niveau d’excellence de la médecine hospitalière.
Aux différents acteurs impliqués (ministère de la Santé, CNS, FHL, syndicats et associations) d’élaborer des stratégies alliant le développement de structures ambulatoires extrahospitalières et le maintien d’une médecine hospitalière d’excellence restant suffisamment attrayante pour les professionnels de santé, et ce d’autant plus que la pénurie du personnel de santé est déjà une triste réalité qui risque de s’aggraver dans les années à venir.
* Dr. Monique Reiff est neurologue au CHL et présidente de l’asbl MSH (Médecins Salariés Hospitaliers); Dr. Jean Reuter est réanimateur au CHL et vice-président de l’asbl MSH.