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Entretien

«Arriver à un système pérenne pour le télétravail dans deux ans»

Télétravail des frontaliers, projets de mobilité, coopération transfrontalière,... En cette fin d'année, Claire Lignières-Counathe, l'ambassadrice de France au Luxembourg, revient sur les dossiers importants qui ont connu des avancées en 2022.

«Il est important aussi de montrer que ce nouveau cadre du cofinancement et du codéveloppement entre nos deux pays donne des résultats», souligne Claire Lignières-Counathe.

«Il est important aussi de montrer que ce nouveau cadre du cofinancement et du codéveloppement entre nos deux pays donne des résultats», souligne Claire Lignières-Counathe. © PHOTO: Guy Jallay

Journaliste

La fin d’année est toujours un moment propice pour dresser le bilan des actions accomplies. En matière de coopération transfrontalière, les projets réalisés ont été nombreux. L’ambassadrice de France Claire Lignières-Counathe revient pour Virgule.lu sur les grands dossiers de ces derniers mois.

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Madame l’ambassadrice, la question du télétravail est revenue régulièrement sous les feux de l’actualité ces derniers mois. Avec cette avancée majeure : dès le 1er janvier 2023, les frontaliers français pourront télétravailler jusqu’à 34 jours par an, et non plus 29.

Claire Lignières-Counathe: C’est un dossier très important qui a effectivement connu une belle avancée. Un accord de principe était intervenu à la dernière commission intergouvernementale (CIG) franco-luxembourgeoise qui s’est tenue à Belval, le 19 octobre 2021.

Cet accord a permis aux ministres des Finances des deux pays de signer un avenant à la convention fiscale bilatérale afin de relever le seuil de tolérance fiscal annuel de 29 à 34 jours. Cela veut dire qu’en étant résident français et en tant que salarié d'une entreprise luxembourgeoise, vous continuez à payer vos impôts au Luxembourg si vous ne dépassez pas ce quota.

Cela étant, si vous dépassez ce seuil, en travaillant par exemple 35 jours en télétravail en France, vous allez alors payer l'ensemble des impôts sur le revenu perçu sur ces 35 jours dans votre pays de résidence, donc en France. C'est donc une facilité qui est accordée aux frontaliers.

Ce n’est pas la seule avancée en matière de télétravail. Une simplification a également été votée, en cas de dépassement du seuil.

Le télétravail n'est pas un droit mais une facilité qui est offerte aux frontaliers.

Comme vous le savez, il ne s’agit pas de dire que le télétravail est un droit. C’est une facilité qui est offerte aux frontaliers. Mais il faut tout de même fixer un cadre permettant aux frontaliers de télétravailler, quitte à dépasser le seuil de 34 jours.

Nous avons donc prévu un amendement à la loi de finances française que l’Assemblée nationale vient d’adopter (elle est maintenant soumise au Conseil constitutionnel), qui prévoit de mettre en place le paiement de l'impôt sur le revenu français par un système d'acomptes contemporains, lorsque le seuil de 34 jours est dépassé. C'est-à-dire que le travailleur frontalier déclarera les revenus perçus, ce qui permettra de payer l’impôt sans retenue à la source mais via un système d'acompte.

Cela facilitera aussi la vie de l’employeur de Luxembourg qui ne sera pas obligé de pratiquer une retenue à la source comme c'est le cas en France. Quand vous êtes employé en France, c'est l'employeur qui met en place la retenue à la source de l'impôt pour verser celui-ci au Trésor public.

Les discussions autour du télétravail sont loin d’être terminées… Certains plaident notamment pour deux jours de travail à domicile par semaine.

On a fait un bon bout de chemin sur cette question. Mais il reste encore du travail, notamment pour assurer une certaine équité entre les salariés. Car il y a de nombreux secteurs, où sont aussi actifs les frontaliers français, où il est impossible d’avoir recours au télétravail. Je pense par exemple à la restauration, à la vente ou encore aux services à la personne.

Du côté français, je pense tout de même que nous avons été à l’écoute et qu’on a répondu à la demande.

Nous avons convenu de continuer la discussion au sujet du télétravail. On se donne deux ans pour arriver à un système plus pérenne et à une autre formule car il ne sera pas possible de continuer à élever ce seuil sans que cela n’ait de conséquences. Du côté français, je pense tout de même que nous avons été à l’écoute et qu’on a répondu à la demande.

L’autre gros dossier de ces derniers mois, c’est la mobilité. Un sujet qui concerne particulièrement les frontaliers...

Quand on travaille sur des sujets transfrontaliers tels que celui-là, on s'aperçoit que l'essentiel est d'avoir une bonne coordination. C’est ce qui permet d’avoir des avancées. C'est justement le but de la commission intergouvernementale, qu'on espère réunir à nouveau l'an prochain. Nous avons aussi des réunions intermédiaires avec un comité de pilotage, qui aura sans doute lieu début d'année prochaine.

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Le transport, c'est l'exemple parfait de la nécessité d’une bonne coordination. Par exemple, on ne construit pas un parking relais n’importe où. Il faut qu’il soit positionné là où c’est le plus facile d’accès pour les navetteurs et que ce soit pratique pour ceux qui prennent un train ou un bus ensuite. Mais ça doit se faire aussi en coordination avec la partie luxembourgeoise. On insiste vraiment là-dessus. Car dans de tels dossiers, il y a bien sûr l'Etat qui intervient mais aussi la SNCF, la région, les élus locaux, qui sont très impliqués. Et côté français, il y a également ce qu'on appelle le pôle métropolitain frontalier, qui est un acteur très important parce qu'il suit vraiment toutes ces questions de transport et est associé à la préparation des travaux de la CIG.

Et quelles sont justement les avancées dans ce domaine ?

Quand vous parlez d'investissements dans le domaine des transports, ce ne sont pas des investissements qui produisent des résultats immédiatement et leurs coûts s'étalent sur plusieurs années. Mais cela avance quand même. En 2018, il y a eu un accord de principe entre la France et le Luxembourg pour cofinancer un certain nombre de travaux. Deux enveloppes budgétaires ont été dégagées, qui sont en cours de mise en œuvre. Une première en 2018 de 120 millions d'euros et une autre en 2021 de 110 millions d'euros.

Quels sont les projets que ces enveloppes ont permis de réaliser ?

En matière de routes, elles ont permis notamment de financer le nouveau P+R de Thionville Metzange, inauguré le 12 juillet dernier par Xavier Bettel et Dominique Faure, la secrétaire d'État auprès du ministre de transition écologique. Comme il nous reste encore une marge d’utilisation, nous avons proposé que l’argent restant soit utilisé pour des projets de nouvelles routes ou de transports de bus à haut niveau de service. Des groupes de travail ont été lancés pour travailler sur ces questions.

L'ambassadrice insiste sur le fait d'avoir une bonne coordination, afin de faire avancer plus rapidement les dossiers.

L'ambassadrice insiste sur le fait d'avoir une bonne coordination, afin de faire avancer plus rapidement les dossiers. © PHOTO: Guy Jallay

Comme exemple concret, je pense à l’A31bis, ce projet de contournement de la ville de Thionville ainsi que de l’élargissement de l’A31 à 2x3 voies de la frontière luxembourgeoise à Thionville-nord. Mais il y a des étapes qui sont nécessaires avant que le projet n’aboutisse. La concertation publique a été lancée. Elle est ouverte jusqu'au 2 février prochain.

Et en ce qui concerne le rail ? On le sait, les problèmes s’accumulent depuis des années sur la ligne Metz-Luxembourg

On avance aussi sur ce dossier. Il est prévu d'allonger les quais dans les gares, de sorte à pouvoir accueillir des trains plus longs. En parallèle, de nouvelles rames seront mises en service. Lors de la dernière CIG, on s’est engagé aussi à construire un centre de maintenance à côté de Metz, qui pourra prendre en charge les nouvelles rames plus longues et le nouveau système d'automatisation ou de semi-automatisation des trains. Tout cela permettra d’avoir un trafic plus fluide et donc, d'avoir un cadencement des trains supérieur. C’est du concret.

Lors de la dernière CIG, on s’est engagé aussi à construire un centre de maintenance à côté de Metz, qui pourra prendre en charge les nouvelles rames plus longues.

Alors bien sûr, je comprends que chaque frontalier soit impatient de voir ces progrès se réaliser et que durant les travaux, c’est particulièrement compliqué. Il faut que toutes les infrastructures suivent et ce n'est pas forcément facile au vu de la croissance fulgurante du nombre de frontaliers. Les Français représentent aujourd’hui un quart de la population active au Luxembourg et la moitié des frontaliers.

En ce qui concerne la coopération entre les deux pays, il y a une nouvelle instance qui s’est mise en place voici environ un an : un comité consultatif des élus. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?

Nous avons du côté français beaucoup d'élus qui sont concernés par les sujets que nous avons évoqués. Dans ce comité, il y a bien sûr le président de la région du Grand Est, mais aussi les parlementaires, sénateurs et députés du Grand Est, ainsi que les maires et les présidents des intercommunalités. Un certain nombre d'élus ont donc leur mot à dire. De notre côté, au niveau de l’ambassade, nous assurons une certaine concertation et une coordination pour présenter des propositions à la partie luxembourgeoise qui englobent en quelque sorte tous ces points de vue. Et ça facilite, je pense, la discussion avec la partie luxembourgeoise.

La coopération transfrontalière s’applique aussi à bien d’autres sujets que le télétravail ou la mobilité, non ?

Entre 30 et 34 places sont réservées à des étudiants luxembourgeois dans des établissements français à l’issue de leur première année de baccalauréat de médecine à l’université de Luxembourg.

Oui, tout à fait. Nous coopérons aussi en matière de santé ou de formation professionnelle par exemple. Je prends le cas des étudiants en médecine. Entre 30 et 34 places sont réservées à des étudiants luxembourgeois dans des établissements français à l’issue de leur première année de baccalauréat de médecine à l’Université de Luxembourg. Quatre universités françaises sont partenaires : l'université de Nancy et de Lorraine, l'université de Strasbourg, l'université de Paris Sorbonne et une autre université parisienne. Nous avons également convenu lors de la dernière CIG que le Luxembourg s’engage à financer en partie la formation clinique des étudiants de troisième année car c’est une formation plus pratique qui nécessite un matériel coûteux.

Dans le domaine de la formation, une nouveauté a aussi été lancée lors de la dernière rentrée scolaire : la mise en place de cours de luxembourgeois dans le cadre d'une formation continue des adultes mais aussi dans quelques lycées professionnels français, pour les jeunes qui auront besoin du luxembourgeois dans leur carrière professionnelle.

Plus largement, on se réjouit que les étudiants luxembourgeois continuent de choisir la France pour venir étudier. Les villes les plus plébiscitées sont Strasbourg, Nancy et Metz. Ainsi que Paris. La France est le troisième pays d'accueil, après l’Allemagne et la Belgique, et je pense que c'est important que cette dynamique ne faiblisse pas.

Il y a aussi d’autres projets au niveau éducatif...

Il y a à l'ordre du jour des travaux de la CIG la création d'un hub de compétences pour la formation au numérique et aux nouvelles technologies, qui sera situé à Longwy. L’esprit de complémentarité est très important dans ce type de projet.

Et qu’en est-il des relations économiques entre les deux pays ?

L’ambassade n’intervient pas forcément directement dans ces dossiers. Il y a bien sûr des investissements de part et d’autre de la frontière. Plusieurs projets sont discutés actuellement, qui concernent la mise en valeur des friches industrielles à la fois au Luxembourg mais aussi en Lorraine, qui ont tous les deux un riche passé industriel.

La France est le troisième fournisseur du Luxembourg et son deuxième client.

Et puis il y a beaucoup de compagnies françaises qui sont implantées ici et qui sont même pour certaines parmi les premiers employeurs du pays, comme BNP Paribas, la Société Générale ou le Crédit agricole par exemple.

Au niveau du commerce bilatéral, celui-ci est en croissance ces dernières années. Le volume d’échange entre la France et le Luxembourg s’élevait l’an dernier à 4,4 milliards d’euros (contre 4,1 milliards en 2019), dont 2,6 milliards d’exportations et 1,8 milliards d’importations. La France est le troisième fournisseur du Luxembourg et son deuxième client.

Le constat est là : vous n’avez pas chômé depuis votre prise de fonction il y a un peu plus d’un an. On sent que la volonté d’avancer sur les dossiers importants est bien présente.

En tout cas, la partie française fait des propositions, a envie d'avancer et a montré sa bonne volonté par ses récentes décisions. Nous sommes heureux aussi de ce qui a pu être convenu lors de la dernière CIG. A cette occasion, le Luxembourg aussi a fait preuve d'une grande ouverture, notamment sur ces questions de mobilité mais pas seulement.

Mais il est important aussi de montrer que ce nouveau cadre du cofinancement et du codéveloppement entre nos deux pays donne des résultats. Même si c’est un peu plus long quand il s’agit d’un investissement de longue durée.

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