Au Luxembourg, les femmes restent sur le banc de touche
Mêmes disciplines, mêmes performances. Pourtant, le sport féminin fait toujours moins d'émules que le sport masculin. En cause, des stéréotypes à la dent dure.
Au Luxembourg, les femmes font moins de sports en clubs et moins de compétitions. © PHOTO: Sabina Palanca/Luxemburger Wort
Moins d’un tiers. C’est la part qu’occupaient les femmes parmi les quelque 124.827 personnes inscrites dans les fédérations sportives luxembourgeoises en 2022. Pourtant, le pays compte un peu plus de 1.300 clubs répartis sur tout le territoire.
Mais, malgré une évolution du nombre de femmes inscrites dans les fédérations ces vingt dernières années, l’écart ne s’est pas resserré entre les hommes et les femmes.
Bien sûr, la présence des femmes varie selon les sports pratiqués. Mais, sur les 55 fédérations agréées par le ministère des Sports, seulement trois comptent une majorité de femmes. Il s’agit de l’équitation, de la gymnastique et des sports de glace.
Plutôt des sports individuels
Au contraire, des sports comme l’aéronautisme ou le tir sportif comptent dans leurs rangs moins de 10% de femmes. C’est aussi le cas du football. Pourtant, avec plus de 42.000 inscrits à travers une centaine de clubs, ce sport est le plus populaire du pays. Même constat pour le tennis ou encore le basket, qui comptent tous plus de 5.000 licenciés mais à peine un tiers de femmes pratiquant en clubs.
Attention, cela ne signifie pas que les femmes ne font aucun sport. « Au Luxembourg, il manque des données plus globales sur l’activité physique en général, comme la marche ou le vélo. Des études à l’étranger montrent que les femmes sont moins intéressées par les lieux de pratiques sportives [encadrées] et pratiquent plutôt des sports individuels », explique Enrica Pianaro.
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Un problème que la sociologue a rencontré en 2021, alors qu’elle réalisait un rapport sur la présence des femmes dans le sport luxembourgeois à la demande de la ville d’Esch-sur-Alzette. Cela étant dit, il reste clair que dans les licences sportives, que ce soit pour le loisir ou la compétition, les statistiques parlent d’elles-mêmes. Les clichés semblent avoir encore la dent dure dans le sport.
Minoritaires aussi dans le sport de haut niveau
Et, du côté du sport de haut niveau, le constat est peu différent. Les femmes y sont aussi minoritaires. Au sein du comité olympique, par exemple, 37 athlètes sur 101 admis sont des femmes, contre 64 hommes. La section sport d’élite de l’armée compte, elle, 27 personnes, dont seulement 5 femmes. Enfin, les femmes sont moins nombreuses que les hommes à profiter d’un congé pour se consacrer à plein temps à leur sport. Sur 463 congés sportifs attribués en 2022, 313 concernaient des hommes, indique le ministère des Sports.
Pourtant, au Luxembourg, les sportives de talent ne sont pas des exceptions. Anne Kremer au tennis, Christine Majerus en cyclisme, Jeanny Dom en tennis de table, ou encore Nancy Kemp-Arendt en natation. Toutes ces femmes ne sont que quelques exemples d’athlètes s’illustrant ou s’étant illustrées dans leur sport respectif. Si de tels modèles existent, pourquoi les femmes semblent-elles toujours avoir une place minoritaire dans le sport luxembourgeois ?
De gauche à droite, Jeanny Dom, Nancy Kemp-Arendt, Christine Majerus, Anne Kremer. © PHOTO: Yann Ellers, Fernand Konnen, archives Luxemburger Wort
Pourtant, au Luxembourg, les sportives de talent ne sont pas des exceptions. Anne Kremer au tennis, Christine Majerus en cyclisme, Jeanny Dom en tennis de table, ou encore Nancy Kemp-Arendt en natation. Toutes ces femmes ne sont que quelques exemples d’athlètes s’illustrant ou s’étant illustrées dans leur sport respectif. Si de tels modèles existent, pourquoi les femmes semblent-elles toujours avoir une place minoritaire dans le sport luxembourgeois ?
À performances égales, médiatisation inégale
La cycliste Christine Majerus multiplie les performances depuis le début de sa carrière. Elle a, entre autres, participé à trois reprises aux Jeux olympiques, est devenue championne du monde du contre-la-montre par équipe à Doha, en 2016, mais a aussi remporté plus d’une dizaine de fois chacune des compétitions nationales de cyclo-cross, de vélo sur route et de contre-la-montre. Pour elle, mettre en avant les femmes dans le sport relève d’une « responsabilité partagée » entre les médias d’un côté et les sportives elles-mêmes de l’autre. « Même si souvent, nous avons l’impression que c’est fastidieux et sans grand résultat final, il faut que nous, les sportives, nous réalisions que c’est important [d’être disponibles pour les médias]. Cela ouvre des portes pour les générations futures. Après, nous ne pouvons pas forcer les médias à parler de nous. »
Elle note cependant une hausse du nombre de courses féminines retransmises à la télévision. « C’est une bonne tendance, et les gens adorent. Mais, ils auraient aussi adoré il y a cinq ans. C’était le même sport, les mêmes dynamiques de courses. Mais ce n’était pas montré à la télé. Dès qu’il y a de l’offre, il y a de la demande. Et ce sont les médias qui disposent de ce levier-là », appuie-t-elle.
« Le public veut l’égalité », confirme Andrea Wimmer, journaliste indépendante spécialisée dans le sport depuis plus de vingt ans, et collaboratrice du Luxemburger Wort. Elle donne l’exemple des vives critiques envers la télévision luxembourgeoise lors du week-end de délibérations des finales des championnats féminins et masculins de basket. L’événement masculin était en effet diffusé à l’antenne, tandis que celui des femmes n’était retransmis en direct que sur internet.
Toutefois, la journaliste note que « depuis quelques années, beaucoup de choses ont changé. Je trouve que la visibilité est plus grande pour les femmes, même si ce n’est pas encore l’égalité ». Selon elle, les articles sur le sport masculin sont encore davantage tournés vers le jeu, tandis que les femmes sont plus souvent interrogées sur leur personnalité.
La responsabilité des fédérations
Mais, le problème peut aussi venir d’un manque d'événements sportifs féminins, souligne Andrea Wimmer. « Au Luxembourg, il est aussi vrai que, parfois, les femmes ne sont pas aussi bien soutenues dans les fédérations que les hommes. Par exemple, de manière très nette dans le football, les femmes n’étaient pas bien encouragées à jouer, donc l’équipe nationale était moins encouragée et jouait peu de matchs, donc nous ne pouvions pas faire beaucoup de reportages, et ainsi de suite… »
Pour briser ce cercle vicieux, une première solution pourrait être d’intégrer plus de femmes dans l’encadrement des sports. En effet, selon le rapport rédigé par la sociologue Enrica Pianaro pour la ville d’Esch-sur-Alzette, les postes à responsabilité des fédérations sont eux-mêmes occupés en majorité par des hommes. Sur les 55 fédérations observées, seules 21% des personnes composant les conseils d’administration étaient des femmes en 2021. Et, à leur tête, les femmes se font encore plus rares. Elles étaient seulement 4 présidentes sur 53 fédérations analysées par la sociologue.
Cependant, pour la footballeuse Amy Thompson, en attendant que les femmes intègrent les postes à responsabilités, « il faut aussi sensibiliser les hommes ». L’attaquante du FC Mamer et joueuse de l’équipe nationale, prend sa propre expérience de coach comme exemple. « J’avais récupéré deux ou trois filles qui jouaient avec les garçons. Elles disaient qu’elles n’étaient pas intégrées, que le coach ne voulait pas d’elles. Mais cela dépend des coachs […] Moi, j’ai joué huit ans avec les garçons. J’ai eu des coachs qui me motivaient, qui ne faisaient pas de différence. »
Ouvrir un nouveau chapitre de l'histoire du sport
Pour expliquer l’origine de ce manque de sensibilisation actuel, Amy Thompson rappelle que « le football, à la base, est un sport très masculin, qui existe depuis plus longtemps chez les hommes ». C’est aussi ce poids de l’histoire du sport que souligne Enrica Pianaro. Elle rappelle que ce n’est que depuis le 20ème siècle que les femmes de toutes les classes sociales peuvent faire du sport comme loisir.
Résultat de cette « masculinité » encore prégnante, les infrastructures sportives sont parfois moins adaptées pour les femmes. Ainsi, le manque de visibilité de modèles de sportives, n’encourage pas les femmes à se lancer dans de nouveaux sports. Enfin, le manque de temps lié à la charge supplémentaire qui incombe aux femmes de s’occuper davantage de la maison, des enfants ou des ainés, entraîne un décrochage vis-à-vis du sport à leur sortie de l’adolescence.
« Effectivement, dès l’enfance, les instances de socialisation (famille, école, médias, groupes de pairs et plus tard aussi travail, institutions de loisir/culture) fonctionnent comme des instances de "normalisation" du genre », écrit Enrica Pianaro dans son rapport. « Le sport en tant que lieu d’interactions et de relations sociales participe lui aussi à la fortification et au maintien de normes et de stéréotypes de genre. »
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Elle ouvre ainsi la réflexion sur la distinction même faite dans le sport entre hommes et femmes. « Les catégories de poids et de taille sont nécessaires pour garantir une certaine équité entre concurrents, comme dans les sports de combat ou la natation. Mais, pourquoi alors, ces compétitions restent non mixtes ? Serait-ce lié à la peur, dans une compétition mixte, de voir une femme victorieuse par rapport à un homme ? », s’interroge la sociologue. Et ces règles amènent parfois à exclure des femmes, des hommes, ou des personnes n’appartenant ni à un genre ni à l’autre, qui ne respecteraient pas les critères liés au poids ou au taux de testostérone. Cela les empêche de pratiquer leur sport comme les autres.
Ainsi, dans le sport, comme le souligne Christine Majerus, « ce n’est pas seulement le sport féminin qui nécessite de faire des adaptations, mais le sport qui inclut tout le monde. La problématique devient de plus en plus large, mais plus intéressante aussi car la promotion du sport s’ouvre à un public plus large. »
Diffuser les bonnes pratiques
Pour proposer une solution à ces problématiques, redonner confiance aux femmes et éduquer les acteurs du monde sportif, les responsables des Sports et de l’égalité de la ville d’Esch-sur-Alzette, Norma Zambon et Nicoles Jemming, ont pris une initiative, en collaboration avec Joëlle Letsch, de l’ADT-Center. Après avoir commandé un rapport sur le sujet à la sociologue Enrica Pianaro, la ville a ainsi organisé un colloque en 2022 pour discuter de la question de la représentation des femmes dans le sport. Il en est ressorti une charte de bonnes pratiques. Mise à disposition des fédérations et d’autres communes pour s’en inspirer, elle pourrait permettre de remettre le sujet du sport féminin sur la table. Joëlle Letsch explique que cette charte se fonde sur « six principes importants, [...] pleins d'idées, d'actions concrètes et de bonnes pratiques dont chaque club sportif peut s'inspirer ».
Mais, tout cela doit s'accompagner d'un plan d'action au niveau national, précisent les porteurs du projet. Contacté, le ministère des Sports indique préparer « un plan d’action d’égalité dans le sport que le ministère de l’Égalité entre les femmes et les hommes entend mettre en place prochainement ». À l’heure où nous écrivons ces lignes, encore aucun calendrier précis ne nous a cependant été dévoilé.
Notre série «Femmes au Luxembourg»
Cet article fait partie de notre dossier «Femmes au Luxembourg». Toutes les mercredis, pendant six semaines, Virgule vous propose de vous interroger sur la place des femmes dans notre pays. À travers leurs témoignages, des chiffres et des éclairages d’experts, nous essayerons de répondre aux questions suivantes :
Pourquoi le coût de la vie est-il plus élevé pour une femme ?
Pourquoi la douleur des femmes est parfois moins prise en compte ? (à lire le 31 mai)
Pourquoi les femmes sont moins présentes dans les lieux de pouvoir ? (à lire le 7 juin)
Pourquoi les femmes sont plus soumises à la violence ? (à lire le 14 juin)