Ça chauffe entre les parlementaires et la Justice
La procureure générale Martine Solovieff et Jean-Claude Wiwinius, président de la Cour suprême, sont las de devoir expliquer le rôle de leur institution dans la gestion du fichier de la police. De quoi agacer les députés CSV qui posent régulièrement des questions parlementaires sur ce dossier mais aussi fâcher la Chambre qui ne compte pas se voir dicter son rôle.
La procureure générale et le président de la Cour suprême reprochent à la Chambre de ne pas tenir compte de la séparation des pouvoirs. Et réciproquement! © PHOTO: Guy Jallay
(pj avec Danielle SCHUMACHER) Alors qu'il commentait le discours sur l'état de la Nation du premier ministre Xavier Bettel (DP), le député d'opposition Gilles Roth (CSV) a glissé quelques mots qui n'ont pas manqué de faire tendre l'oreille. «Il est inacceptable que des parlementaires soient restreints dans leurs fonctions par une autre institution au motif que la limite de ce que l'on peut raisonnablement attendre a été dépassée.» Un tacle directement adressé à l'encontre de l'institution judiciaire du pays.
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En effet, depuis des mois, les parlementaires d'opposition ont fait de l'exploitation des données contenues dans le fichier central de la police grand-ducale l'objet de maintes questions parlementaires. L'accès aux informations confidentielles pouvant prêter à discussion, tout comme le contenu même des données collectées aux yeux des élus CSV, Gilles Roth et Laurent Mosar en tête.
Le pouvoir législatif, en l'occurrence le président de la Chambre Fernand Etgen (DP), a validé toutes ces interpellations. Le pouvoir exécutif, à savoir le gouvernement, a systématiquement répondu aux questions. C'est donc bien le troisième pouvoir, le judiciaire, qui se retrouve pointé du doigt.
Sous la suspicion des élus
Le courroux du député CSV trouve son explication dans une lettre cosignée par le procureur général Martine Solovieff et le président de la Cour suprême Jean-Claude Wiwinius. Le courrier, en date du 21 août et adressé à la Chambre, voit les deux personnalités exprimer leur mécontentement face aux innombrables questions parlementaires au sujet du fichier central et du rôle de la Justice.
Car si l'institution veut faire preuve de transparence et se montrer coopérative, elle accepte moins que son action se retrouve scrutée et sous la suspicion des élus. Autrement dit: Martine Solovieff et Jean-Claude Wiwinius soulignent qu'il incombe aux parlementaires de contrôler le gouvernement, mais pas le pouvoir judiciaire.
Les députés Gilles Roth et Laurent Mosar (CSV) ne cessent d'attaquer le gouvernement sur la gestion des données du fichier central de la Police.De fait, le travail de la Justice se retrouve sous les feux des accusations parlementaires. © PHOTO: Guy Jallay
Les deux magistrats rappellent ainsi à l'ensemble des parlementaires que le pouvoir judiciaire luxembourgeois est indépendant. Et comme plusieurs questions portent sur le fonctionnement interne de cette institution, selon eux, «la Justice a été amenée à devoir se justifier par rapport à son fonctionnement interne, ce qui, à l'évidence, est irrecevable au regard du principe de la séparation des pouvoirs».
Entre les lignes, la Justice demande au président de la Chambre de mieux examiner la recevabilité des questions parlementaires à l'avenir. Un souhait qui heurte l'opposition autant que le président de la Chambre qui ne saurait valider pareille intrusion dans son propre champ d'action. En cela, il a d'ailleurs reçu le plein soutien de la conférence des présidents, soit l'ensemble des fractions. Les cinq membres de ce groupe estimant qu'il n'appartient pas à la magistrature de s'immiscer dans les affaires du Parlement. Retour à l'envoyeur.
Une plainte pour ingérence
Aussi, Fernand Etgen s'est-il fendu d'une réponse au procureur général et au président de la Cour suprême. Le président de la Chambre y rappelle, à son tour, son rôle et son attachement à la séparation des pouvoirs. Signifiant toutefois qu'il n'entendait pas limiter ses demandes auprès de l'autorité judiciaire. Le chiffon brûle donc, et le conflit pourrait même être attisé d'ici quelques jours.
En effet, la fraction CSV devrait demander qu'un courrier de plainte officiel pour ingérence soit adressé aux représentants du pouvoir judiciaire luxembourgeois pour signifier la colère des parlementaires.