Ces nouveaux citoyens qui votent pour la première fois
Après des mois d'attente, les législatives sont arrivées et permettent à tous les nouveaux citoyens ayant profité de la loi de 2008 de glisser leur bulletin dans l'urne. Sébastien et Laurent sont deux d'entre eux.
© PHOTO: Anouk Antony
Par Jean Vayssières
Depuis début 2009, la loi d'octobre 2008 sur la double nationalité permettait aux étrangers d'obtenir la nationalité luxembourgeoise sur présentation de l'acte de naissance d'un aïeul luxembourgeois direct, né après l'année 1900.
Un grand nombre d'individus sont ainsi devenus citoyens officiels du Grand-Duché: rien qu'en 2016, pas moins de 3.950 naturalisations ont été accordées de cette manière, faisant fi des tests de langue et des cours d'instruction civique, d'habitude nécessaires à l'obtention de la citoyenneté.
Qui dit citoyenneté dit vote: ces nouveaux Luxembourgeois seront autant - ou presque - de nouveaux bulletins glissés dans les urnes pour les élections législatives de ce 14 octobre. Mais comment vote-t-on lorsque l'on vient d'être adoubé citoyen?
Sébastien, frontalier français... et luxembourgeois
Français d'origine, Sébastien est frontalier depuis février 2016. À 47 ans, depuis son domicile de Koenigsmacker, il traverse chaque jour la frontière pour venir travailler au Luxembourg, en tant que consultant en sécurité dans une institution européenne. Voilà trois ans, depuis 2015, qu'il a obtenu la nationalité luxembourgeoise par la voie des aïeux.
Le droit de vote ne faisait pas partie de ses motivations. «C'était pour avoir le choix» dit-il, «parce que je pouvais l'avoir, tout simplement. Je ne m'en suis pas privé: ma fille aura le choix plus tard, et la nationalité est toujours bien vue». Pour lui, le vote est une conséquence de l'obtention de la nationalité, pas une cause.
Pourtant, le frontalier nourrit un réel intérêt pour la politique du Grand-Duché. «Depuis que je suis luxembourgeois, je m'intéresse beaucoup plus au Luxembourg, qu'avant je considérais comme un voisin chez qui j'allais acheter de l'essence et des cigarettes. Maintenant je suis la politique autant que faire se peut, je suis abonné à des journaux, je suis les news du pays...»
Cette année, par un concours de circonstances, Sébastien ne votera pas pour les législatives, n'étant pas inscrit sur les listes électorales. «Je m'y suis pris un mois à l'avance en pensant que ce serait suffisant» regrette-t-il, «mais les démarches prennent 40 jours pour les non-résidents. C'est dommage, je commençais à faire des recherches sur les partis politiques».
Malgré ce contretemps, le vote demeure un acte essentiel pour lui. «Je pense qu'il est important que les frontaliers qui le peuvent aillent voter. C'est un pays où on passe beaucoup de temps et les décisions politiques ont une influence, que ce soit sur les infrastructures, le salaire, l'imposition ou simplement la façon d'être perçu».
© PHOTO: Guy Jallay
Pour lui, le vote est non seulement un devoir, mais également un moyen de se forger une crédibilité auprès des autres citoyens du Grand-Duché. «J'ai toujours senti les Luxembourgeois un peu mitigés par rapport aux frontaliers» confie-t-il. «Certains nous voient comme des gens qui viennent prendre leur salaire pour le dépenser à l'étranger. Le fait de voter au Luxembourg donne une forme de crédibilité, par l'intérêt porté au pays».
L'afflux de votants créé par la loi de 2008 est une bonne chose aux yeux de Sébastien. «Pour faire cette démarche, il faut nourrir un vrai intérêt pour le Luxembourg, un lien affectif, une envie d'en faire partie». Un intérêt d'autant plus fort de la part des personnes ayant passé les tests de langue et suivi les cours d'instruction civique.
«Je pense qu'il est bien meilleur pour un pays d'avoir des gens de l'extérieur qui veulent en faire partie que des gens qui y sont déjà sans trop y réfléchir» poursuit-il. «Pour prendre une référence caricaturale, c'est un peu la différence qu'il y aurait entre un habitant de la vieille Europe et un habitant de l'Amérique, qui a choisi de traverser une mer pour y aller et est fier de s'y être installé».
Laurent, le Luxembourg dans le sang
La situation de Laurent est tout autre: ce Français né à Strasbourg, d'un père français et d'une mère luxembourgeoise, a «perdu la nationalité luxembourgeoise à la naissance». Demander la double nationalité en 2016 fut donc pour lui un retour naturel à des racines binationales. Ce médecin en hôpital, qui réside au Grand-Duché depuis 2001 et se sent «plus européen que français ou luxembourgeois», a la nationalité dans le sang. «Du côté de ma mère, c'est plus de 10 générations de Luxembourgeois», raconte-t-il.
Le statut particulier de Laurent l'a toujours incité à garder un œil grand ouvert sur le Grand-Duché.
«J'ai toujours eu un intérêt pour la politique luxembourgeoise, même sans y résider. Mes parents m'en ont toujours parlé. Maintenant que j'ai le droit de voter, c'est quelque chose d'énorme ! Je peux me dire « enfin, je peux voter dans mon propre pays!» Un intérêt partagé, selon lui, par ses camarades résidents. «Ils ont un réel intérêt pour la politique. Je vois beaucoup de gens qui aimeraient voter et qui ne peuvent pas. Ils aimeraient donner leur opinion car ils travaillent, payent leurs impôts, résident dans le pays, achètent des maisons, investissent, possèdent des sociétés... et n'ont malheureusement pas voix au chapitre. Ces gens-là sont un petit peu blasés du système».
Le 14 octobre, bien qu'il ait déjà participé à plusieurs élections communales, il glissera pour la première fois un bulletin dans l'urne pour les législatives. Pour lui, il est «très important d'aller voter quand on est résident». Sa réflexion va même plus loin et se veut largement inclusive. «Tous les résidents, même non luxembourgeois, qui fournissent un effort pour le pays, devraient pouvoir voter», livre-t-il.
Les étrangers résidents devraient pouvoir voter
«Je trouve ça dommage que des gens payent leurs impôts au Luxembourg et n'aient pas le droit de voter pour des élections législatives. Cela devrait être un droit fondamental. Ce serait une logique administrative égalitaire: ils participent pleinement à l'économie». Un principe qui, toutefois, exclut les frontaliers, qui «font le choix d'habiter en France. C'est leur choix, mais cela ne devrait pas leur accorder le droit de voter pour les législatives».
Pour Sébastien comme pour Laurent, dont le regard binational peut raconter beaucoup sur le Grand-Duché, le paysage politique luxembourgeois est foncièrement différent de celui de ses voisins. «À douze kilomètres de chez nous, on a un pays qui fonctionne très différemment de la France» s'étonne le frontalier. «La réactivité au Luxembourg est beaucoup plus forte: dès le lendemain des inondations dans le Mullerthal, en juin, 30 millions d'euros étaient levés pour les sinistrés, Xavier Bettel était sur place...»
De plus, pour ce Français d'origine, le spectre politique du Grand-Duché semble moins large qu'à l'étranger. «Les partis politiques, malgré leurs différences, semblent tous aller dans le même sens», dit-il. «De par la nature même du Luxembourg, il n'existe pas de parti anti-libéral comme chez nous. Tout le monde est plutôt d'accord avec l'économie. Tout est plus nuancé, comme si tous étaient membres d'un même parti, à différentes positions sur le même spectre».
Pour Laurent, la différence du Luxembourg avec ses voisins se joue sur d'autres tableaux. «Le paysage politique luxembourgeois possède une très grande particularité», estime-t-il. «On a surtout un ancien Premier ministre devenu président de la Commission européenne après un mandat de plusieurs décennies».
«Mais il y a également d'autres gens importants: certains, comme le Premier ministre actuel, ont des particularités dans leur vie personnelle» constate-t-il, faisant évidemment référence à l'homosexualité de Xavier Bettel. «Ce ne sont pas tous les pays qui acceptent cela, et je trouve ça vraiment bien».
Écologie, mobilité, immobilier: thèmes essentiels du mandat à venir
Aujourd'hui, les premières législatives depuis les élections anticipées du 20 octobre 2013 frappent à la porte des citoyens du Luxembourg. En tant que frontaliers et résidents votant pour la première fois - ou presque -, quels sont les thèmes que Laurent et Sébastien aimeraient voir mis en avant par le prochain gouvernement ?
Pour le résident, médecin en hôpital, il s'agit de l'écologie, étroitement liée aux problèmes de mobilité. «Il y a vraiment des choses à faire à ce niveau-là. Si on veut devenir un grand pays, il va falloir réformer tout le système. J'habite au milieu de la campagne et tous les jours, des milliers de voitures passent devant chez moi. Le tram au centre ville, je trouve ça génial! Mais il faudrait qu'il circule dans tout le pays. Qu'on soit à Dudelange, à Remich, à Echternach, que l'on ait accès à des moyens - gratuits de préférence - pour se déplacer».
Sébastien, lui, prend quelques secondes pour réfléchir avant de répondre. «C'est peut-être une forme de gratitude envers cette loi qui m'a permis d’être luxembourgeois, mais je prends le Luxembourg comme il est», livre-t-il enfin. «Je suis beaucoup moins râleur qu'en France. Je les trouve pragmatiques et j'ai une sorte de confiance en la politique, l'impression que personne ne prend de mauvaises décisions pour le pays».
Ne résidant pas au Luxembourg, le frontalier reconnaît être moins concerné que les résidents par la politique du Grand-Duché. «Ce n'est pas faute de vouloir y habiter pourtant, mais le problème, c'est le prix des loyers». Peut-être, alors, pourra-t-il espérer des changements à ce sujet au cours du mandat à venir.