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Claude Adam: «Je suis en faveur d'une croissance qualitative»

Le français, langue pivot dans le travail au Luxembourg, est en perte de vitesse parmi les Luxembourgeois. Avant les élections législatives d'octobre prochain, nous avons décidé d'interroger les députés sur leur rapport à la langue de Molière, à travers une série d'interviews que nous publierons régulièrement jusqu'à l’été.

© PHOTO: Gerry Huberty

Virginie Orlandi

Après Françoise Hetto (CSV) et Gilles Baum (DP), Franz Fayot (LSAP), c'est Claude Adam du parti déi gréng qui s'est prêté au jeu. L'homme politique est francophile bien qu'élevé dans une famille germanophone. Amoureux des belles lettres, l'ancien enseignant aime se plonger dans des romans en français, il lit en ce moment la correspondance entre Albert Camus et Maria Casarès, et nous a reçu au siège de la fraction des Verts en ville. Le petit vélo orange garé dans le corridor du 4, rue Saint Esprit indique que Claude Adam est dans les murs, le député l'enfourche dès qu'il doit se déplacer en ville mais pour l'instant, il est tout à nos questions.

Quand on est député et enseignant de formation, quel rapport entretient-on avec la langue française?

Mon pays est trilingue voire quadrilingue avec l'émergence de plus en plus prononcée de l'anglais, j'utilise donc le français au même titre que les autres langues à ceci près que nos textes de loi sont rédigés en français, je le lis donc beaucoup.

En tant qu'enseignant, je suis très sensible à la bonne utilisation des différentes langues notamment du luxembourgeois qui est souvent écorché par les Luxembourgeois eux-mêmes. Et j'aime à me dire que lorsque je me rends en vacances en France, dans le Quercy, le Périgord et le bassin d'Arcachon qui sont des lieux que j'affectionne particulièrement, je le parle correctement! Car je suis issu d'une famille plutôt germanophone. Nous regardions la télévision allemande, nous lisions des journaux allemands. A mon époque, les Luxembourgeois étaient proches de la culture allemande. Mais maintenant, je me sens largement européen.

Avez-vous néanmoins des préférences en ce qui concerne les deux pays francophones qui entourent le Luxembourg?

En tant que député Vert, je suis plus proche du mouvement écologique en Belgique qu'en France où les écologistes sont très divisés. On peut se détruire si on ne mise pas sur ce qu'on a en commun et c'est ce qui est arrivé au mouvement écologique en France. En Belgique, les Verts sont soudés et nous nous inspirons beaucoup de ce qu'ils font.

Cependant, je suis très intéressé par le changement radical de la scène politique française: l'écroulement du parti socialiste m'a marqué et le "phénomène" Macron également. Cet homme a mis une année pour arriver au pouvoir alors que d'autres mettent des années. C'est surprenant.

Ce qui me surprend c'est le vote pro Le Pen en Moselle. Comment les gens qui viennent travailler au Luxembourg peuvent-ils voter pour un parti qui veut fermer les frontières?

Justement, quand le Luxembourg comptera près d'un million d’habitants vers 2060, il comptera aussi environ 350.000 travailleurs frontaliers, selon les projections du Statec et de la Fondation Idea. Est-ce pour vous plutôt une richesse ou un défi pour le pays ?

Pour moi, il s'agit tout autant d'un défi que d'une richesse. Cependant, je suis sceptique quant à la véracité de ces prévisions. Il est difficile de chiffrer l'évolution du nombre de frontaliers dans les prochaines années.

La seule question à se poser pour moi est celle de la croissance. Quel avenir voulons-nous pour notre pays? La politique de croissance quantitative menée depuis toujours dans ce pays a pour répercussions la mobilité difficile et l'immobilier onéreux que nous connaissons aujourd'hui.

Cela fait-il encore du sens d'attirer une entreprise au Luxembourg quand on sait qu'il y a 95% des salariés qui vont être frontaliers? On ne peut pas tout mettre au Luxembourg et la Grande Région doit aussi pouvoir accueillir des entreprises.

Et puis, il y a un nouveau phénomène ces dernières années: de plus en plus de frontaliers s'installent au Luxembourg et la planification territoriale doit se faire en fonction de ce nouveau paradigme.

"Je pense que la cohésion sociale se construit dès le niveau communal. Pour pouvoir s'intégrer, il faut s'intéresser les uns aux autres et les initiatives des fêtes de quartier me semblent une bonne chose".

"Je pense que la cohésion sociale se construit dès le niveau communal. Pour pouvoir s'intégrer, il faut s'intéresser les uns aux autres et les initiatives des fêtes de quartier me semblent une bonne chose". © PHOTO: Gerry Huberty

Au cours de la prochaine législature, le nombre de résidents étrangers pourrait dépasser le nombre de Luxembourgeois. Comment garantir la cohésion sociale dans ce cadre ?

Je pense que la cohésion sociale se construit dès le niveau communal. Pour pouvoir s'intégrer, il faut s'intéresser les uns aux autres et les initiatives des fêtes de quartier me semblent une bonne chose. On constate dans les classes de préscolaire des écoles communales qu'il y a de plus en plus d'enfants qui ne sont pas luxembourgeois et les enseignants s'adaptent aux différentes langues tout en continuant à promouvoir notre langue nationale. Il faut changer le système scolaire et c'est ce qu'on est en train de faire. Cela passe par la place que nous voulons accorder à la langue luxembourgeoise.

Elle doit unir les gens et non les séparer. Je suis convaincu que le luxembourgeois a un rôle important à jouer dans la cohésion sociale mais pour cela, il doit être une langue qu'on choisit d'apprendre, pas qu'on nous impose.

Est-ce que le résultat du référendum sur le vote des étrangers a changé la perception des étrangers au Luxembourg ?

Le monde politique luxembourgeois a été profondément marqué par le référendum. Je pense que le gouvernement a voulu avancer à trop grands pas et la population a arrêté net sa course en lui répondant par un non massif. Aujourd'hui, on a vraiment abandonné l'idée de donner le droit de vote aux étrangers pour les élections nationales. C'est un dossier clos pour les prochaines décennies et il faut l'accepter.

Mais pour moi, la participation politique commence au niveau communal où les résidents étrangers ont la possibilité de s'investir et de faire entendre leurs voix. On a vu lors des dernières élections, l'arrivée d'élus étrangers comme à Larochette ou Bettendorf.

Vous êtes aujourd'hui conseiller communal à Mersch. Le conseil communal est-il composé de beaucoup d'étrangers?

Non, il n'y en a aucun mais plusieurs personnes résidentes étrangères sont engagées dans des associations de la commune. Mais les lignes bougent dans la commune! Lorsque j'ai débuté en 1999, nous étions onze hommes et aujourd'hui, sur 13 membres du conseil communal, quatre sont des femmes. Il faut du temps pour mener la réflexion et pour que les mentalités évoluent.

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