Comment le Luxembourg s'adapte au télétravail
Le home office s'est imposé. Pourtant, cette pratique recèle un certain potentiel de conflit au sein des entreprises.
Depuis la pandémie, le travail à domicile est devenu une pratique quotidienne pour de nombreux travailleurs. Il existe néanmoins des pièges. © PHOTO: Shutterstock
Pendant le confinement, des centaines d'entreprises luxembourgeoises ont été contraintes de passer du jour au lendemain au télétravail. Dans la plupart des cas, cela a étonnamment bien fonctionné, si bien qu'aujourd'hui, presque plus aucune entreprise ne souhaite renoncer totalement au télétravail.
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Dans l'idéal, l'employeur et l'employé profitent tous deux de cet arrangement. Les travailleurs sont plus flexibles, moins coincés dans les embouteillages et parviennent plus facilement à concilier vie familiale et vie professionnelle. De leur côté, les employeurs ont des collaborateurs plus motivés et plus satisfaits. Ils peuvent même parfois économiser de l'argent s'ils ne doivent plus mettre à disposition des bureaux pour tous leurs employés.
Dans le même temps, il s'est avéré dans de nombreux cas que le travail à domicile peut parfois freiner la communication et la coopération entre collègues et diminuer le sentiment d'appartenance à l'entreprise.
Le travail hybride s'impose
C'est pourquoi c'est surtout une forme mixte entre le télétravail et la présence au bureau - le travail dit «hybride» - qui semble s'imposer. «En travaillant uniquement au bureau, les collaborateurs ont l'inconvénient d'être peu flexibles, et en travaillant uniquement à domicile, ils risquent de s'isoler. Le travail hybride a les avantages du télétravail tout en compensant ses inconvénients», explique David Büchel de la Chambre des salariés Luxembourg (CSL).
Le travail hybride a les avantages du télétravail tout en compensant ses inconvénients.
Ainsi, Sylvie Leick, qui conseille les entreprises pour l'organisation de leurs ressources humaines pour EY, estime qu'entre 70 et 80 % de ses clients proposent une forme ou une autre de travail hybride - bien sûr uniquement dans les fonctions où cela est possible.
David Büchel affirme que, selon un sondage récent, environ 35% de tous les employés au Luxembourg travaillent au moins plusieurs fois par mois depuis chez eux. Mais seuls 4% d'entre eux travaillent entièrement à domicile. Il n'existe pas de droit légal au travail à domicile pour les employés au Luxembourg, et l'employeur ne peut pas non plus obliger ses employés à travailler à domicile. Les deux parties doivent être d'accord.
L'agitation qui règne dans les bureaux en open space fait que de nombreux employés se tournent vers le home office pour les tâches de concentration. © PHOTO: Shutterstock
Une meilleure productivité dans le bureau à domicile
Le travail hybride est également rentable pour les entreprises, même si elles doivent faire face à des coûts plus élevés dans un premier temps, car elles doivent fournir l'ordinateur portable à l'employé et prendre en charge les frais de communication. «Certaines études ont montré que les gens sont plus productifs en télétravail et qu'ils travaillent plus en somme», explique David Büchel.
Il faut aujourd'hui proposer le travail hybride pour pouvoir rester dans la course aux talents.
Du point de vue de la conseillère Sylvie Leick, l'aspect central pour les entreprises est de trouver de nouveaux collaborateurs et de les fidéliser à l'entreprise. «Mon impression est qu'aujourd'hui, en tant qu'organisation, il faut avoir le travail hybride dans son offre pour pouvoir rester dans la course aux talents. Nous entendons souvent de la part de nos clients que les candidats refusent des offres d'emploi s'il n'y a pas de possibilités de télétravail ou si celles-ci sont insuffisantes du point de vue des candidats», déclare Leick.
Laurent Derkum, directeur des ressources humaines de la Banque Raiffeisen, a lui aussi fait l'expérience de candidats qui, lors d'entretiens d'embauche, demandent spécifiquement à connaître le concept de travail hybride.
Sylvie Leick, du cabinet de conseil EY, considère la possibilité de travailler à domicile comme un élément central dans la chasse aux talents. © PHOTO: EY
La recherche de la formule magique
Il n'existe pas de «formule magique» pour définir l'équilibre idéal entre le home office et le bureau, explique Sylvie Leick. Beaucoup de choses dépendent du mode de travail, de la dynamique ou de la culture d'une organisation. Mais dans de nombreuses entreprises, la solution idéale est deux jours à la maison et trois jours au bureau - ou l'inverse.
L'un des défis pour les entreprises est d'éviter tout «sentiment subjectif d'injustice» lorsque des règles différentes s'appliquent aux différents collaborateurs, explique David Büchel. «C'est pourquoi les entreprises doivent définir clairement et justifier objectivement qui peut être en télétravail et qui ne le peut pas», explique le psychologue du travail.
C'est pourquoi certaines entreprises ont désormais des règles complètes pour le télétravail, afin d'harmoniser l'organisation du travail avec les exigences de l'entreprise. «Certaines des entreprises que nous conseillons n'autorisent par exemple pas le télétravail le lundi et le vendredi, afin d'éviter de donner l'impression que cela constitue une prolongation du week-end», explique Leick.
Jusqu'à 100 jours en télétravail
Ainsi, la Spuerkeess a déjà adopté un règlement interne en janvier 2022. «À condition que le collaborateur soit au bureau au moins deux jours de travail complets par semaine, nous autorisons au maximum deux jours de télétravail par semaine», explique une porte-parole de la banque. Les employés à temps partiel doivent également être au moins deux jours au bureau et au maximum un jour en home office.
Ils peuvent toutefois choisir librement leurs jours en accord avec leur équipe et leur supérieur. «L'important, c'est qu'il n'y ait pas de surcharge de travail. Le travail doit bien entendu être effectué à la maison et dans le cadre des horaires définis. Les nouveaux collaborateurs ainsi que les étudiants et les stagiaires ne peuvent pas travailler à domicile», laisse entendre la banque.
David Büchel de la Chambre des salariés Luxembourg se penche sur la question de la satisfaction au travail. © PHOTO: Chambre des salariés
Ils peuvent toutefois choisir librement leurs jours en accord avec leur équipe et leur supérieur. «L'important, c'est qu'il n'y ait pas de surcharge de travail. Le travail doit bien entendu être effectué à la maison et dans le cadre des horaires définis. Les nouveaux collaborateurs ainsi que les étudiants et les stagiaires ne peuvent pas travailler à domicile», laisse entendre la banque.
À la Banque Raiffeisen, les collaborateurs peuvent travailler jusqu'à 100 jours en home office. En principe, il n'y a pas de directives sur la manière dont cela se répartit sur l'année, explique Laurent Derkum: «La responsabilité d'organiser cela incombe aux équipes. L'important, c'est que le travail soit fait.»
Bien sûr, la possibilité de travailler en home office varie selon les fonctions, ajoute-t-il. «C'est plus facile pour le collaborateur du back-office que pour le collègue de la filiale», explique Laurent Derkum.
Pour les CFL également, le home-office est une composante élémentaire des modèles de temps de travail flexibles, écrit la société ferroviaire sur demande. «Notre règlement interne autorise nos collaborateurs à travailler jusqu'à deux jours en télétravail par semaine, pour autant que le poste de travail en question soit compatible avec le home office», précise-t-on.
Les tâches de concentration migrent vers le bureau à domicile
L'organisation interne du travail des équipes aurait également changé suite au travail hybride. «Il s'est avéré que c'est justement le concept d'open space, toujours vendu comme un grand avantage par les employeurs ces dernières années, qui pousse de plus en plus de personnes vers le home office si elles veulent travailler de manière concentrée», explique David Büchel.
Sylvie Leick d'EY confirme que les employés travaillant en open space ont tendance à s'organiser de manière à ce que les tâches nécessitant un haut niveau de concentration, comme la rédaction de rapports, soient effectuées à domicile.
Au Luxembourg, la nouvelle flexibilité ne va pas encore jusqu'à ce que les entreprises laissent leurs collaborateurs décider eux-mêmes de leurs horaires de travail. «Ce n'est pas comme si certains collègues commençaient à travailler à 9 heures et d'autres à 12 heures. Les horaires de travail attendus correspondent généralement à ceux du travail de bureau normal», explique Sylvie Leick. «Je ne pense pas que cela soit dû à un manque de confiance, mais plutôt aux exigences de l'entreprise. Les entreprises doivent s'assurer que les coéquipiers peuvent collaborer efficacement et être disponibles pour les clients».
Protection contre l'auto-exploitation
Pour David Büchel, il s'est avéré que de nombreux employés ressentent une certaine pression pour se justifier lorsqu'ils travaillent à domicile et pensent qu'ils doivent démontrer qu'ils travaillent réellement. «Quand les gens ne sont pas au bureau, ils doivent se faire remarquer autrement. Ils veulent montrer à quel point ils sont productifs. Cela les amène souvent à travailler volontairement bien plus que ce que leur employeur leur demande», explique-t-il.
À domicile, la frontière entre le temps de travail et la vie privée risque de s'estomper de plus en plus. Les employeurs ont donc la responsabilité de préserver le droit des employés à ne pas être joignables. Certaines entreprises bloquent par exemple l'accès aux serveurs à certaines heures, de sorte que les employés n'ont pas la possibilité d'accéder à leurs e-mails et aux données de l'entreprise.
Problème de l'imposition
La problématique de l'imposition des nombreux travailleurs frontaliers dans le pays est la même pour toutes les entreprises. Alors que les salariés résidant en France et en Belgique pourront tout de même travailler 34 jours en télétravail à partir de l'année prochaine sans que cela n'ait d'impact sur leur impôt sur le revenu, le seuil de tolérance de 19 jours seulement s'applique toujours aux salariés résidant en Allemagne.
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Cela limite les employeurs luxembourgeois dans la quantité de travail à domicile qu'ils peuvent accorder et peut représenter un danger pour la paix sociale. Pour les entreprises qui ont besoin de personnel hautement spécialisé, cela peut constituer un désavantage concurrentiel. Chez ses clients, il est déjà arrivé plusieurs fois que des candidats décident de ne pas travailler au Luxembourg pour cette raison, explique Sylvie Leick.
C'est pourquoi certaines entreprises, comme la Banque Raiffeisen, créent des bureaux satellites à proximité de la frontière afin de satisfaire leurs employés des régions voisines.
Cet article est paru pour la première fois sur wort.lu/de