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Passerell en danger

Comment une organisation d'aide s'écroule sans crier gare

Il manque 60.000 euros au total pour combler le trou budgétaire de cette année. Le ministère de la Justice et le ministère des Affaires étrangères prennent clairement position : il n'y aura pas de soutien de la part de l'Etat.

Pour le ministère des Affaires étrangères, il est clair qu'il n'est pas en mesure d'assumer les difficultés financières de Passerell.

Pour le ministère des Affaires étrangères, il est clair qu'il n'est pas en mesure d'assumer les difficultés financières de Passerell. © PHOTO: Pierre Matgé

«Je ne pense pas que nous devions prendre position sur toutes les associations caritatives qui ferment leurs portes par manque de moyens financiers». La réponse d'un collaborateur de l'Office national de l'accueil (ONA) illustre l'attitude réservée des acteurs de l'immigration qui donne le ton et qui pourrait coûter la vie à une association humanitaire dans les prochains mois.

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L'association Passerell qui conseille depuis 2016 les demandeurs d'asile sur les questions juridiques liées au regroupement familial ou au statut d'asile, et qui promeut la socialisation des réfugiés dans notre pays, apporte une contribution essentielle au domaine de l'immigration et de l'intégration - il n'y aurait pourtant pas de soutien de la part des ministères compétents pour aider l'ASBL à sortir de ses difficultés financières.

«Personne n'a de problème avec notre travail, tout le monde le loue, mais personne ne veut nous soutenir financièrement. C'est tout simplement décevant», dénonce Marion Dubois de Passerell. La chargée de projet fait partie des trois employés à temps plein de l'association qui, selon la situation actuelle, pourraient perdre leur emploi fin août. Une interprète à temps partiel est également concernée. Lors de la Journée mondiale des réfugiés, à la conférence de presse du Conseil luxembourgeois pour les réfugiés, la coordinatrice de projet de Passerell Ambre Schulz a annoncé ce qu'il adviendrait de l'association.

Depuis 2016, Passerell conseille les demandeurs d'asile sur les questions juridiques au Luxembourg. Sans un soutien supplémentaire de l'État, l'association devra réduire ses activités.

Depuis 2016, Passerell conseille les demandeurs d'asile sur les questions juridiques au Luxembourg. Sans un soutien supplémentaire de l'État, l'association devra réduire ses activités. © PHOTO: gettyimages

Il manque actuellement 60.000 euros

Dubois confirme que depuis le début de l'ASBL, on s'inquiète d'un financement à long terme. Le budget mis à disposition par l'Œuvre Grande-Duchesse Charlotte en 2016 avait certes permis de couvrir la majeure partie des coûts, mais on craignait chaque année de ne pas pouvoir joindre les deux bouts.

La diversification des sources de financement disponibles, qui s'est intensifiée ces dernières années, avec des donateurs privés, diverses entreprises, des subventions institutionnelles limitées dans le temps et des appels aux dons, a permis d'atteindre un autofinancement de 60%. Le trou budgétaire lié à la fin de la subvention de l'Œuvre Grande-Duchesse Charlotte a néanmoins persisté.

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«Ce souci permanent d'argent a souvent entravé notre travail. Nous n'étions pas naïfs et savions que la subvention de l' ''Œuvre Grande-Duchesse Charlotte'' ne durerait pas éternellement», souligne Dubois. Les 14.000 euros mensuels nécessaires pour faire fonctionner Passerell et continuer à traiter les 800 dossiers suivis depuis août 2021 vont donc manquer à partir du mois d'août.

«Depuis janvier de cette année, nous savons que nous commençons à atteindre nos limites. Maintenant, le moment est venu : il manque 60.000 euros et nous n'existons plus que pour un temps», explique Dubois. Si aucun donateur n'est trouvé d'ici le mois d'août, Passerell devra réduire son activité. En tant qu'entité juridique et association de bénévoles, l'association continuera d'exister grâce à ses 35 avocats bénévoles. Cinq à dix consultations par jour étaient la norme jusqu'à présent, à partir de maintenant et jusqu'à la fin du mois d'août, il n'y en aura plus que trois à cinq - ensuite, les consultations en présence seront complètement arrêtées.

Une fois que nous ne serons plus là, de nombreux demandeurs d'asile se retrouveront à la porte sans savoir où aller.
Marion Dubois, chargée de projet Passerell

Les appels à projets se font rares

Après la manifestation lors de la Journée mondiale des réfugiés, Passerell allait devoir réduire une grande partie de ses activités à partir du mois d'août, un communiqué de presse de l'association a été rendu public le lendemain. Les acteurs concernés y mettaient en avant leurs mérites des dernières années. «Nous sommes un acteur essentiel de la défense des droits fondamentaux des demandeurs d'asile au Luxembourg. Les familles séparées par la guerre ou les femmes victimes de viols et de persécutions trouvent chez nous un soutien», souligne la cofondatrice et présidente de Passerell Catherine Warin.

D'autres organisations d'aide s'engagent également pour les droits des demandeurs d'asile, mais aucune d'entre elles n'est aussi bien établie que Passerell dans le domaine de l'assistance juridique. «Une fois que nous ne serons plus là, de nombreux demandeurs d'asile se retrouveront à la porte sans savoir où aller. Les ministères se rendront alors compte de ce qu'ils avaient à faire avec nous», déclare Dubois. Même l'ONA s'adresse régulièrement à Passerell pour des questions juridiques.

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L'association d'utilité publique continue cependant à se montrer combative. Malgré la situation financière difficile, elle continue à pointer du doigt les institutions publiques. Alors que les projets culturels et sociaux sont prioritaires, les projets dans le domaine de la justice ont été négligés - rendant ainsi impossible le financement de Passerell par le biais d'appels à projets.

«Le Luxembourg s'engage en faveur des droits de l'homme, mais ne soutient que rarement des projets qui traitent du droit d'asile. Cette incohérence fait douter de l'honnêteté du gouvernement luxembourgeois», critique Catherine Warin.

Nous ne pouvons pas financer une seule association à long terme. Vous savez très bien que nous n'avons pas les moyens de le faire. Un budget est un budget.
Jean Asselborn, ministre des Affaires étrangères (LSAP)

Espérer un soutien de l'État

Passerell espère désormais des appels à projets de l'AMIF (Asylum Migration and Integration Fund), des initiatives privées, mais aussi l'aide des ministères. Dubois confirme que l'association a déjà pris contact avec le ministère des Affaires étrangères et le ministère de la Justice - une réponse reste à donner pour le moment.

Interrogé par le Luxemburger Wort, le ministère de la Justice exprime ses regrets face à la situation de détresse de Passerell. L'ASBL est active dans un domaine qui ne relève pas directement de la compétence du ministère de la Justice, mais il a soutenu Passerell en 2020 à hauteur de 1.500 euros et leur a accordé une subvention de 5.000 euros au cours des deux dernières années.

Le ministère de la Justice ne s'estime pas en mesure de combler à long terme le trou budgétaire de Passerell.

Le ministère de la Justice ne s'estime pas en mesure de combler à long terme le trou budgétaire de Passerell. © PHOTO: LW

Ce soutien financier serait dû au fait que l'ASBL effectue un travail important de conseil et d'orientation des demandeurs d'asile et de mise en forme de la jurisprudence des tribunaux administratifs en matière de regroupement familial. «Cependant, le budget du ministère de la Justice ne permet pas de répondre à leur demande d'augmentation de la subvention», indique-t-on du côté du ministère.

Personne n'a de problème avec notre travail, tout le monde le loue, mais personne ne veut nous soutenir financièrement.
Marion Dubois, Projektkoordinatorin Passerell

En contact avec le ministère des Affaires étrangères

Du côté du ministère des Affaires étrangères, le ministre Jean Asselborn (LSAP) s'est exprimé auprès du Luxemburger Wort sur la situation critique de Passerell. Il y a environ deux semaines, le ministre a reçu une lettre de l'association demandant un soutien financier. «J'ai immédiatement pris contact avec mon équipe et je leur ai demandé ce que nous pouvions faire. Nous ne disposons pas des crédits nécessaires pour faire face aux sommes requises par Passerell», confirme Jean Asselborn.

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Au fil des années, le ministère des Affaires étrangères a soutenu Passerell à hauteur de près de 30.000 euros (une somme contredite par Passerell qui parle d'un montant de 7.500 euros entre 2018 et 2019), et ce bien que l'«assistance juridique» pour les demandeurs d'asile soit déjà financée par l'Etat. «Nous ne pouvons pas financer une seule association sur le long terme. Vous savez très bien que nous n'avons pas les moyens de le faire. Un budget est un budget», a déclaré Jean Asselborn. Son ministère peut aider à hauteur de 5.000 euros, car le travail de l'association est apprécié, mais Jean Asselborn est conscient que l'argent n'apaisera pas les difficultés financières de l'association.

Selon les derniers développements, des discussions seraient en cours entre le gouvernement et l'Œuvre Grande-Duchesse Charlotte afin de garantir une nouvelle période de financement de l'association. Ces discussions devraient permettre de déterminer si ce revirement inattendu portera ses fruits et si le budget nécessaire pour renflouer l'association pourra être trouvé.

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