Cultiver sa différence
Depuis janvier 2015, six cultes ont officiellement paraphé une convention avec l'Etat. Découvrez tous les jours de cette semaine, l'une de ces communautés de l'intérieur. Aujourd'hui, les anglicans.
Christopher Lyon est prêtre au Luxembourg depuis 2002 © PHOTO: Gerry Huberty
PAR MARC VANACKER
Quelque 6.000 Britanniques sont installés actuellement au Luxembourg, deux tiers environ sont baptisés dans l’Eglise anglicane. Depuis 1958, elle est installée au Luxembourg et n’a cessé de se développer.
Christopher Lyon en est la figure centrale. Originaire du Pays de Galles, Christopher Lyon a atterri au Luxembourg en 2002 avec sa femme Joan, également prêtre. A l’époque, il a été reçu par Mgr Fernand Franck. « Je me rappelle très bien de cet accueil très chaleureux. Monseigneur Franck disait qu’il était très content de rencontrer une femme prêtre, ce qui a beaucoup ému ma femme. »
Des liens forts avec l'Eglise catholique
Les liens entre l’Eglise anglicane avec l’Eglise catholique sont très forts. L’anglicanisme est une confession du christianisme. Elle est née lorsque le roi d’Angleterre Henri VIII rompit avec le pape et Rome. « Notre relation est très intéressante. Les traditions sont les mêmes, mais nous avons une autre façon de penser », explique M. Lyon.
Au Luxembourg, cela se traduit de la manière suivante. Tout d’abord, le lieu de culte choisit par les Anglicans est le Centre Convict situé dans la capitale, un lieu qui appartient à l’Eglise catholique.
En outre, les Anglicans ne participent ni à l’Octave ni à la Procession dansante à Echternach.
"Je suis invité cette année à l’Octave pour donner une méditation sur la Vierge Marie. Donc je vais y aller. Mais notre dévotion pour la Vierge Marie n’est pas aussi grande que dans l’Eglise catholique. L’Octave ne fait pas partie de notre calendrier. Cela ne nous concerne pas vraiment et je dois dire que je ne suis pas un grand ami des vieilles traditions. La même chose vaut pour la procession dansante qui a lieu chaque année à Echternach. Je trouve que l’Eglise catholique est trop attachée au « vieux ». Mais si Jean-Claude Hollerich m’invitait à y participer, j’irais quand même », note Christopher Lyon qui par cette phrase résume bien la relation avec l’Eglise catholique. «Des différences de vues, mais un grand respect mutuel. »
Parlons encore des différences : l’Eglise anglicane pratique l’ordination des prêtres femmes. Il existe même des évêques femmes. Autre différence, les prêtres ont le droit d’être marié et d’avoir des enfants. Christopher Lyon est d’ailleurs marié et père de quatre enfants. « Pour autant, je dois dire que je comprends pourquoi l’Eglise catholique a choisi le célibat. Il est en effet très prenant de gérer une paroisse. D’un autre côté, avoir une famille est une expérience tellement riche. Et puis, la plupart des questions que les gens qui viennent me voir me posent tournent autour de la famille"
Une communauté particulièrement généreuse
L’Eglise anglicane au Luxembourg bénéficie de la convention depuis 2004. Au-delà de l’argent qui rentre par le biais de la convention à l’Etat, la paroisse peut compter sur une communauté particulièrement généreuse. Ainsi, en 2014, les dons des paroissiens se sont élevés à 135.000 euros.
« Nous nous portons bien. Ce qui ne veut pas dire que nous n’avons pas nos soucis. Ainsi, le Centre Convict doit être démoli. Nous ne savons pas encore où aller.»
Actuellement, les messes se tiennent encore au Centre Convict. Tous les dimanches, à 9h30, il y a une messe dite. A 11 heures, il y a une deuxième messe avec des chants. Parallèlement, des activités sont organisées pour les enfants. « 10 à 20 personnes viennent en règle générale pour celle de 9h30, 60 à 100 personnes pour la messe chantée », note Christopher Lyon qui célèbre 4 à 5 mariages et entre 10 à 20 baptêmes par an au Luxembourg. « Travailler avec les expatriés est quelque chose de spécial. Ainsi, la plupart des mariages se font en Grande-Bretagne. A d’autres rendez-vous importants comme Noël ou Pâques, les paroissiens sont également souvent partis. »
Christopher Lyon a une façon bien à lui d’expliquer sa relation avec les paroissiens. « L’Eglise préfère les choses concrètes, on est toujours en train d’infantiliser les croyants qui sont souvent plus cultivés que les prêtres. Je reste persuadé que ce sont les raisons principales pourquoi les gens vont de moins en moins à l’église. »
Fort de ce constat, Christopher Lyon préfère écouter que de sermonner. « Les sujets que les gens se posent tournent toujours autour de la question : qu’est-ce que je dois faire de ma vie ? Comment puis-je pardonner ? Ce sont des questions hautement spirituelles. La première année au Luxembourg, il n’y avait rien à faire, seulement dire la messe et puis, tout d’un coup, les gens sont venus me parler», dit-il en rigolant et d’ajouter, « J’ai toujours été à l’écoute des gens, c’est peut-être de là qu’est née ma vocation pour devenir prêtre. »
La tradition anglicane veut que l’Eglise n’existe pas pour elle-même. Christopher Lyon:« Ce n’est pas un slogan, mais une vraie intention qui se traduit en une méthodologie et une façon d’agir pour le bien de la société humaine. Nos activités sont ouvertes à ceux qui ne participent pas au culte, et beaucoup de gens en profitent régulièrement. Un nombre impressionnant de nos fidèles portent des responsabilités parfois lourdes soit au travail, soit dans la communauté sociale. Beaucoup d’entre eux sont à l’écoute de leurs amis, voisins ou collègues d’une manière simplement humaine. Très peu d’entre eux affichent leur adhérence chrétienne, ce qui est typique de l’anglicanisme libéral, mais leur attitude d’altruisme est néanmoins ressourcée par leur foi et leur participation au culte et d’autres activités de l’Eglise constituent, pour eux, une ressource substantielle. »
Evelyn et Michael Sweert © PHOTO: Tania Bettega
Michael et Evelyn Sweerts, une famille d’expatriés anglicans engagée au niveau social, témoignent: « Nous nous sentons bien au Luxembourg. Nos enfants vont à l’école publique. La langue utilisée à la maison est l’anglais mais pour les enfants c’est l’anglais et le luxembourgeois. Moi je me débrouille en luxembourgeois », raconte Evelyn qui parle encore le néerlandais, l’allemand et le français.
Evelyn était professeur d’histoire et de géographie avant de venir au Luxembourg. Aujourd’hui, elle s’occupe de leurs quatre enfants.
Michael travaille à la Cour des comptes européenne. Les Sweerts sont venus au Luxembourg en 2007. Leur histoire est aussi intéressante qu’atypique. Michael, d’origine néerlandaise et élevé en tant que catholique, a grandi un peu partout dans le monde ; né aux Pays-Bas, il a notamment vécu en Grèce, au Japon et en Grande-Bretagne.
Evelyn est également née aux Pays-Bas avant de déménager à l’âge de 5 ans avec ses parents au Canada, puis en Arabie Saoudite avant de rejoindre la Grande-Bretagne où elle a rencontré Michael en 1999. « Nous nous sommes mariés en 2001 à Bruxelles où nous vivions à l’époque, avant de venir au Luxembourg pour des raisons professionnelles. Notre mariage a été célébré de manière catholique et protestante », note Evelyn qui exprime ainsi une façon bien propre des Anglicans de penser la religion.
Michael explique: « Ma priorité est Dieu. Les Anglicans sont ouverts. Pour moi, l’Eglise anglicane constitue la meilleure façon d’exprimer ma foi. Je ne suis pas un grand adepte des étiquettes. Ici, tu peux avoir tes propres opinions. La communauté est très diverse. Nous vivons avec ces différences et c’est enrichissant.» Et Evelyn d'ajouter: « L’Eglise anglicane s’efforce d’inclure et non d’exclure. »
Michael aime quant à lui l’idée que des femmes puissent devenir des prêtres et que les prêtres puissent se marier. Michael et Evelyn vont régulièrement à l’église.
«Selon moi, être anglican ne veut pas dire qu'il faut faire ou ne pas faire certaines choses. Le plus important ce sont Dieu, les gens, l’amour, la justice et la prière. Christopher Lyon a d’ailleurs construit la communauté autour de cette idée. Au coeur, c'est un invitation du Dieu: on est libre d'y répondre ou non», note-t-elle.
Michael est le trésorier et membre fondateur de Serve the City © PHOTO: Tania Bettega
L’idée d’engagement social est très présente chez de nombreux Anglicans tout comme chez les Sweerts. Michael est ainsi l’un des fondateurs de « Serve the City» au Luxembourg. « Il ne s’agit pas d’un organisme religieux. Nous sommes des personnes qui voulons aider ceux qui en ont vraiment besoin en collaboration avec de nombreux organismes bien établis au Luxembourg. C’est un endroit pour être généreux», explique-t-il.