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"Dans ma famille, nous sommes 100 à avoir acquis la nationalité luxembourgeoise"

L'article 89 de la loi sur la double nationalité permet d'acquérir la nationalité luxembourgeoise grâce à un aïeul né avant 1900. En 2017, 1.958 Français et 1.334 Belges ont bénéficié de cette mesure qui se terminera à la fin de l'année. Qui sont-ils? Pourquoi ont-ils fait cette démarche? Et comment envisagent-ils les élections législatives, les premières, pour eux?

En 2017, 4.087 personnes ont acquis la nationalité luxembourgeoise grâce à l'article 89 de la loi sur la double nationalité. En 2009, ils étaient 22.

En 2017, 4.087 personnes ont acquis la nationalité luxembourgeoise grâce à l'article 89 de la loi sur la double nationalité. En 2009, ils étaient 22. © PHOTO: Guy Wolff

Virginie Orlandi

En 2017, 1.958 Français et 1.334 Belges ont acquis la nationalité luxembourgeoise grâce à l'article 89 de la loi sur la double nationalité. Cet article prévoit qu'une personne descendant en ligne directe d'un aïeul luxembourgeois avant 1900 peut recouvrer la nationalité luxembourgeoise.

Laurent est médecin, vit dans l'est du pays et a pu bénéficier de cet article grâce à l'initiative de son cousin qui a contacté toute la famille en 2016 pour les informer de cette disposition de la loi.

"Il nous a envoyé un e-mail à tous", débute-t-il, "pour nous expliquer que nous pourrions redevenir luxembourgeois après les nombreuses péripéties que nos aïeux ont vécues et qui les ont obligés à quitter le Luxembourg à cause des guerres et du nazisme".

Ainsi, dans la famille de Laurent, ils sont 100 à avoir acquis la nationalité luxembourgeoise en 2017, puisque une grande partie de la famille vivant en France, a souhaité renouer avec ses origines.

Né en France mais ayant résidé dès sa venue au monde au Luxembourg, Laurent s'est toujours senti luxembourgeois même s'il déplore un racisme ordinaire à son encontre: "Oui, je me sens luxembourgeois depuis toujours et l'obtention de la nationalité n'a fait que renforcer ce sentiment", poursuit-il, "mais je dois dire que les Luxembourgeois m'ont fait souvent sentir dans ma vie que je n'étais pas leur égal étant donné que je suis né de l'autre côté de la frontière".

Pourtant, Laurent parle parfaitement la langue que ses grands-parents lui ont apprise lorsqu'il était enfant, et connaît bien l'histoire et la culture de son pays.

Passeport luxembourgeois: "Sésame, ouvre-toi?"

Autre témoignage, autre réalité. Même si le point commun réside dans le fait d'avoir un aïeul luxembourgeois, Sébastien a une tout autre histoire.

Il a acquis la nationalité luxembourgeoise en février 2016, au moment où il commençait une activité professionnelle sur le sol du Grand-Duché.

"Je suis gendarme de profession", explique-t-il, "Je suis à la retraite maintenant et je travaille à la BEI dans le service de la sécurité".

L'homme de 47 ans est frontalier et habite dans un petit village dans la campagne lorraine. Il est devenu luxembourgeois grâce à son arrière grand-mère originaire de Beaufort. Une branche de sa famille vient également de Fischbach.

"J'ai décidé de demander la nationalité luxembourgeoise car il m'a semblé intéressant de pouvoir bénéficier de deux nationalités et on sait bien que le passeport luxembourgeois permet de voyager beaucoup plus facilement", explique l'ancien policier, "la procédure a été très rapide: j'ai dû prouver grâce à l'acte de naissance de mon arrière grand-mère qu'elle était luxembourgeoise et ensuite introduire une demande au ministère de la Justice".

"On aimerait bien y vivre"

Sébastien est marié et père de famille. Sa femme et lui sont frontaliers et quittent chaque matin l'Hexagone pour rejoindre le Kirchberg, leur lieu de travail. Leur fille va à l'école en France.

Quand on acquiert la nationalité luxembourgeoise par le biais de l'article 89, on n'a pas besoin de passer un test de langue ni d'éducation civique: la seule filiation suffit.

Quand on acquiert la nationalité luxembourgeoise par le biais de l'article 89, on n'a pas besoin de passer un test de langue ni d'éducation civique: la seule filiation suffit. © PHOTO: Guy Wolff

"On aimerait bien vivre au Luxembourg puisque nous sommes luxembourgeois", reprend-il, "mais là où nous vivons, nous avons une belle et grande maison avec vue sur la forêt! Au Luxembourg, on n'aurait pas la moitié de ça, tellement les prix de l'immobilier sont exorbitants".

Autre phénomène qui retarde l'arrivée de Sébastien et de sa famille: la langue luxembourgeoise que personne dans la famille ne maîtrise.

"Ma femme et ma fille ne le parlent pas et moi, je peux saluer et me présenter mais cela s'arrête là", déplore-t-il, "il est difficile d'apprendre une nouvelle langue quand on travaille déjà 40 heures par semaine... Mais j'aimerais m'y mettre et que ma fille l'apprenne aussi car notre intégration ne pourrait se faire qu'à cette condition".

La langue ne fait pas tout

Quand on acquiert la nationalité luxembourgeoise par le biais de l'article 89, on n'a pas besoin de passer un test de langue ni d'éducation civique: la seule filiation suffit.

La langue comme facteur d'intégration, Laurent confie que ce n'est pas ce qui fonctionne toujours et Stéfanie, née au Grand-Duché dans les années 80, parlant couramment la langue et ayant fait le choix de la nationalité belge à ses 18 ans, confirme cette vision.

"Oui, je parle le luxembourgeois comme n'importe quel natif mais il y a toujours eu dans mon parcours de vie cette fissure: au Luxembourg, j'étais la petite Belge et en Belgique, la petite Luxembourgeoise.

Avoir la possibilité d'être une partie des deux pays grâce à la double nationalité contribue à la découverte de soi-même

Si Stéfanie a fait le choix de prendre la nationalité belge à ses 18 ans, c'est car elle trouvait injuste de devoir choisir entre les deux pays: "Je suis née ici mais de parents belges et j'ai toujours habité au Luxembourg et je trouvais injuste de devoir renoncer à l'une pour l'autre et comme j'avais opté pour des études à Louvain-la-Neuve, j'ai décidé de rester belge pour pouvoir me sentir enfin native d'un des deux pays".

Depuis 2009, elle est belgo-luxembourgeoise et au contraire de Laurent et Sébastien, elle a dû passer un test de langue et suivre des cours d'instruction civique.

Et le vote dans tout ça?

L'évolution de la loi pour l'acquisition de la nationalité luxembourgeoise est telle que les profils des gens qui l'ont acquise depuis 2008 sont variés. Cela peut-il avoir un impact sur l'électorat du pays?

Si Laurent connaît très bien le système de vote luxembourgeois et a conscience de ses différentes possibilités grâce au panachage, Sébastien, lui, dit "n'y connaître rien et devoir si intéresser très vite".

En octobre 2018, Laurent et Sébastien voteront pour la première fois aux élections nationales et n'arrivent pas dans les urnes avec le même bagage en matière de culture politique. Si le premier sait exactement pour qui il va voter et comment, le second est en pleine découverte.

Je ne connais pas encore vraiment les partis luxembourgeois, ni les noms des personnalités politiques", confie-t-il, "mais je sais d'ores et déjà que je ne vais pas transposer mes idées de Français sur le Luxembourg. Je vais plutôt essayer de découvrir les idées qui sont véhiculées ici.

Stéfanie, elle, a déjà voté en 2013 mais pense qu'en cinq ans et au travers de son travail dans le monde du social, elle a pu peaufiner ses opinions politiques: "Entre les idées personnelles et mon travail sur le terrain, j'ai pu constater un décalage et je ne vais pas voter comme je l'aurais fait si je n'avais pas fait ce métier".

L'article 89 sera en vigueur jusqu'au 31 décembre 2018 où il sera possible de présenter une demande en certification de la qualité de descendant d'un aïeul luxembourgeois. Jusqu'au 31 décembre 2020, il sera possible de souscrire la déclaration de recouvrement de la nationalité luxembourgeoise devant l'officier de l'état civil.

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